News - 16.10.2025

Habib Touhami: La confrérie doublement “maudite” des orphelins

Habib Touhami: La confrérie doublement “maudite” des orphelins

Les orphelins, du grec ancien orphanós, un enfant mineur dont le père ou la mère sont décédés, forment une catégorie au sens aristotélicien(*) du terme. Ses membres ne se distinguent pas en raison de leur couleur de peau, de leur origine sociale ou d’un quelconque signe physique distinctif, mais en raison d’un particularisme ayant affecté leur caractère et parfois leur destin lui-même. Beaucoup de femmes et d’hommes, illustres ou anonymes, appartiennent à cette catégorie. Lénine, Trotski et Staline, les trois principaux protagonistes de la révolution bolchévique, étaient des orphelins. Sartre, Camus, Hugo, Proust, Stendhal, Rousseau, Molière, Racine, Tolstoï, Max Weber et Karl Marx l’étaient aussi, de même que Confucius, Richelieu, Washington, F.D Roosevelt, Barack Obama et bien d’autres encore.

Adolf Hitler et Saddam Hussein, deux des dictateurs les plus sanguinaires du 20e siècle, étaient des orphelins, tout comme Néron, Caligula, Claude, Ivan le Terrible, ou Bokassa. Cela ne veut pourtant pas dire que les orphelins sont prédestinés à devenir tous des assassins, des tortionnaires et des êtres malfaisants.

Néanmoins, les orphelins semblent souffrir plus que les autres d’un «développement insuffisant des compétences de régulation». Alors que certains orphelins ont puisé dans l’injustice «immanente» qui les frappe le désir de se venger en faisant souffrir autrui, d’autres y ont puisé un don de soi et une humanité sans borne. Gandhi et Mère Teresa sont deux orphelins eux aussi.  

Pour se rassurer ou se donner bonne conscience, les sociétés modernes feignent de croire que les orphelins sont des enfants comme les autres. Ce n’est pas le cas. Un orphelin reste un orphelin toute sa vie. Même vieux et grand-père, le manque reste là, tapi dans l’ombre. Le temps et l’âge n’y peuvent rien. En fait, les traces du «préjudice originel» ne s’effacent jamais. Croyant bien faire, la religion s’en est mêlée en forçant le trait. 23 fois le mot orphelin est cité dans le Coran, le plus souvent accolé au pauvre et au voyageur (اليتيم والمسكين وابن السبيل). Il est vrai que dans le genre, Mohammad, Ibrahim (Abraham), Moussa (Moïse) et Issa Ibn Mariam (le Christ) étaient des orphelins réels ou putatifs (le père d’Abraham évoqué dans le Coran était en réalité son oncle ou son tuteur selon certains exégètes musulmans).

Toutes les minorités, et les orphelins constituent de fait une minorité au sens statistique au moins, se définissent peu ou prou par l’image que la majorité —les non-orphelins— leur renvoie d’eux-mêmes. Et s’il arrive par étourderie ou hauteur d’âme que l’orphelin l’oublie, il est rapidement ramené à la réalité de sa condition par un regard, un mot ou une réflexion. C’est ce type de réaction qui vaut à l’orphelin de se sentir «doublement maudit». Sa réserve est interprétée comme de l’arrogance, sa distanciation de l’évènement comme de l’impassibilité et son engagement en faveur des plus humbles comme de l’opportunisme.

Habib Touhami

(*) Le terme «catégorie» vient du grec ancien  (katêgoria) qui signifie «qualité attribuée à un objet», et chez Aristote, ce terme est souvent synonyme d'«affirmation». Les catégories sont ainsi les manières d'affirmer l'Être et ses attributs, c'est-à-dire les différentes façons de signifier et de désigner ce qui est en général.