Nouveau bâtonnier des avocats: La méthode Bethabet

Détient-il une recette magique ? Porté bâtonnier des avocats du barreau de Tunisie par un vote massif dès le premier tour qui place en lui beaucoup d’espoir, Me Boubaker Bethabet n’aura que trois ans (2025-2028) pour «hisser la profession à un niveau nettement supérieur». «Un changement significatif nécessaire» urge. A lui d’en inventer la méthode.
Rodé au fonctionnement du Conseil national de l’ordre et ancré au sein de la profession, le nouveau bâtonnier n’ignore rien de l’ampleur de la tâche qui l’attend, ni des grandes priorités à traiter. L’échange de lettres qu’il vient d’avoir avec le président de l’Assemblée des représentants du peuple, Me Brahim Bouderbala, lui-même ancien bâtonnier (2019-2022), en donne un avant-goût. S’empressant, au lendemain du scrutin, d’adresser ses vœux au nouveau bâtonnier élu, le président de l’ARP place la défense de l’indépendance de la profession au premier titre des préoccupations, se déclarant persuadé que Me Bethabet se dépensera sans compteer. Il soulignera la relation étroite entre la profession d’avocat et la défense des droits et libertés, et qu’elle demeurera en tête des forces veillant à l’ancrage des valeurs de la citoyenneté et œuvrant à la préserver des tiraillements. Plus qu’un simple message de vœux protocolaire, de bons vœux pour le mandat qui commence.
1. 1958-1961 : Chédli Khalladi
2. 1961-1963 : Abdelrahman Abdennabi
3. 1963-1965 : El Bahri Guiga
4. 1965-1967 : Mohamed Chakroun
5. 1967-1969 : Taoufik Ben Cheikh
6. 1969-1971 : Ezzeddine Cherif
7. 1971-1973 : Taoufik Ben Cheikh
8. 1973-1975 : Mohamed Bellalouna
9. 1975-1977 : Fethi Zouhair
10. 1979-1983 : Lazhar Karoui Chebbi
11. 1983-1992 : Mansour Cheffi
12. 1992-1998 : Abdelwahab El Bahri
13. 1998-2001 : Abdeljelil Bouraoui
14. 2001-2004 : Béchir Essid
15. 2004-2007 : Abdessattar Ben Moussa
16. 2007-2010 : Béchir Essid
17. 2010-2012 : Abderrazak Kilani
18. 2012-2013 : Chawki Tabib
19. 2013-2016 : Mohamed Fadhel Mahfoudh
20. 2016-2019 : Ameur Meherzi
21. 2019-2022 : Brahim Bouderbala
22. 2022-2025 : Hatem Meziou
23. 2025 - … : Boubaker Bethabet
Deux jours après, dans sa lettre de réponse soigneusement rédigée, le bâtonnier Bethabet assure le président de l’ARP que «la profession demeurera fidèle à sa mission». D’emblée, il souligne «l’importance de la restauration du rôle constitutionnel efficace du Conseil supérieur de la magistrature, en tant qu’institution capable de protéger les magistrats, de garantir leur indépendance et de les préserver de toute forme de pression et d’orientation.» L’objectif stratégique est ainsi clairement réitéré.
Des urgences
Deux autres questions fondamentales sont également mentionnées: la mise en place et la consolidation des garanties légales des droits de la défense, et la modernisation du cadre légal de la profession (érigée en noble mission), dans l’intérêt général. Comme il aura l’occasion de l’expliciter dans d’autres déclarations, le bâtonnier Bethabet entend faire aboutir deux revendications essentielles de ses confrères.
• La première est le renforcement du rôle de l’avocat et de sa capacité de s’acquitter pleinement de sa mission sans entrave.
• La seconde est la reprise en main par le Conseil de l’ordre du projet de loi relatif à l’organisation de la profession et son adoption par l’ARP, en révisant et en complétant le décret-loi n°2011-79 du 20 août 2011.
Une urgence sociale s’impose à l’agenda du nouveau bâtonnier et de son équipe : la revalorisation de la pension de retraite des avocats. Affiliés à une caisse indépendante, la Caisse de prévoyance et de retraite des avocats (Capra), héritière depuis 2008 d’une vieille institution du début du siècle dernier, elle puise ses ressources principalement dans les cotisations de ses assurés sociaux ainsi que des recettes au titre du timbre d’avocat devant être apposé sur tout acte entrepris. La modestie de ces ressources et le déséquilibre financier de la Capra rendent la pension de retraite d’environ 1 600 DT par mois. Un montant jugé modique, en fonction du coût de la vie et comparativement à d’autres professions, notamment les magistrats. La proposition immédiate est d’augmenter le montant du timbre d’avocat.
Mais, plus généralement, c’est la refonte du système de prévoyance et de retraite incarné par la Capra qui revêt un caractère d’urgence et exige un appui au plus haut niveau afin de régler définitivement le dossier. «Ce n’est là en fait que l’une des expressions des revendications sociales d’un grand nombre d’avocats», confie à Leaders un proche de la profession. «Sur les plus de 9 000 avocats inscrits au barreau, poursuit-il, la situation financière est difficile pour plusieurs centaines d’entre eux qui font face à de multiples contraintes et charges, peinant à payer le loyer du cabinet, le secrétariat et les collaborateurs, mais aussi à obtenir des clients et des honoraires comme fixés par l’Ordre.»
Une large diversité de la base
Le bâtonnier Bethabet est sans doute sensible à cette situation qui persiste et s’élargit. Il sait combien les solutions efficaces qui y seront apportées conforteront sa position et crédibiliseront sa démarche. Pour cela, un climat de sérénité et un esprit de bonne collaboration avec les autorités et les institutions concernées sont nécessaires à instaurer rapidement, accompagnés de contacts suivis. Echaudés par de précédentes expériences, les avocats fondent cette fois-ci beaucoup d’espoir sur les démarches qui seront entreprises. Ecartant toute confrontation avec les autorités, tant au cours de sa campagne qu’après son élection, Me Boubaker Bethabet a fait part de sa disposition à faire prévaloir la collaboration et l’entente dans le respect mutuel, pour la protection des droits et de la justice.
Il doit cependant y rallier ses coéquipiers membres du Conseil national de l’ordre des avocats de Tunisie. Ce conseil se compose du bâtonnier, des présidents des sections régionales et de quatorze membres élus par l’assemblée générale. Dans la diversité de la représentation des avocats et des propres convictions, l’alignement de tous les membres, ou du moins de leur majorité, sur des positions officielles à tenir n’est guère facile, tout comme l’appui de la profession et son unité. D’où la complexité de la mission du bâtonnier.Dès la fin de la composition du conseil et l’élection du secrétaire général, Me Boubaker Bethabet aura à déclencher «sa méthode» et avancer très rapidement dans un parcours d’efficience. Travailleur et rompu au dialogue, il doit garder le cap sur le stratégique, tout en gérant un quotidien très intense. Avec la volonté de se faire une place honorable parmi ses 22 prédécesseurs, et laisser des réalisations reconnues. La profession en a grandement besoin.
Un bâtonnier fort déterminé
A 55 ans, qu’il accomplira ce 22 octobre, cet enfant de Douz est solidement moulé dans ses valeurs tunisiennes. Son père avait tenté l’expérience d’aller travailler en France parmi la première vague d’émigrés, pour se résoudre finalement à rentrer au pays. Il s’installera avec sa famille à Gabès où il décrochera un travail d’ouvrier-peintre dans une administration publique. C’est dans cette ville que le futur bâtonnier fera ses études primaires et secondaires, avant de « monter» à la capitale pour rejoindre la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Il réussira son certificat d’aptitude à la profession d’avocat en 1994. Quelques années seulement après son inscription au barreau, Me Boubaker Bethabet sera très actif au sein de l’Ordre national des avocats, passant du conseil régional de Tunis (2007-2010) au conseil national (2010 -2013). Il en sera le secrétaire général (2013-2016), lors du mandat du bâtonnier Fadhel Mahfoudh, Prix Nobel en 2015 au titre du Quartet.
A pied d’œuvre, en première ligne depuis 2011
Son grand baptême du feu, Me Bethabet le fera en 2011, lorsqu’il sera désigné par la Haute Instance Ben Achour, membre de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) et en deviendra le secrétaire général, sous la présidence de Kamel Jendoubi. Les élections, le 23 octobre 2011 pour l’Assemblée nationale constituante, seront pour lui une expérience exceptionnelle. Tenace, Me Bethabet se présentera trois fois à l’élection du bâtonnier de l’Ordre. Sans l’emporter. La quatrième fois sera la bonne, tant sa détermination est grande. Soutenu par une équipe de campagne solide et ayant noué des alliances de poids, le nouveau bâtonnier avait sillonné le pays de long en large, écoutant les doléances et débattant sur son programme. Tout en réaffirmant son attachement à l’indépendance de l’Ordre, fondement de son unité et aussi de la justice, garante d’équité, il s’est déclaré lui-même indépendant à l’égard de tout parti politique, bien qu’il soit sensible à certains courants d’idées. Quand on lui demande qui parmi les anciens bâtonniers il se sent le plus proche, il ne cache pas l’admiration qu’il voue à Me Béchir Essid (2001-2004, puis 2007-2010) auprès de qui, affirme-t-il, il a beaucoup appris.
Le nouveau bâtonnier se veut consensuel et fédérateur et aspire à gagner la confiance de la profession et de tous ses confrères. Son acharnement au travail ne doit pas le priver de jouir auprès de son épouse et de ses trois enfants d’agréables moments en famille.
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