Mohamed Larbi Bouguerra: Quand le proconsul israélien de Cisjordanie crie victoire…

Israël divise comme jamais
Israël est un pays divisé et très inégalitaire. La religion y tranche en matière de mariage, de divorce, d’enterrement et d’alimentation. La religion interdit les moyens de transport (trains, tramways…) durant le sabbath et la compagnie aérienne El Al est la seule au monde à ne pas voler pendant le sabbath. De plus, tout ce qui relève de la religion se décline suivant deux interprétations (au moins car il y a la Réforme, les Lituaniens…) en ashkénaze et en séfarade. Les libéraux, les non pratiquants comme les russophones d’Avigdor Liberman refusent ces diktats. Actuellement, le pays se déchire gravement sur la conscription des étudiants de la Torah (yeshiva) refusent le service militaire. Il en est de même s’agissant de la guerre et de la paix. Alors qu’Avraham Burg, ancien président de la Knesset -qui dirigeait également l’Agence juive et l’Organisation sioniste mondiale- appelle un million de Juifs (10% de la population juive mondiale) à se rebeller maintenant et à déposer un recours auprès de la Cour Internationale de Justice (CIJ) concernant les crimes contre l’humanité commis à Gaza et déclare : «Ce n’est pas un rejet de notre peuple; c’est une défense de son âme», (Haaretz, 10 août), le proconsul israélien en Cisjordanie, le général Avi Bluth commandant la Cisjordanie crie victoire: en 70 heures, ce «vaillant» guerrier est arrivé à arracher 3100 oliviers et amandiers cultivés avec soin sur les terres appartenant aux Palestiniens du village d’al Moughayyir, au nord-est de Ramallah. Cette brute épaisse avait soumis à un strict couvre-feu ce village et lui a fait endurer la fouille complète de ses 550 maisons avec casses, grenades assourdissantes à l’intérieur, gaz lacrymogène et arrestations musclées.
Ces arbres étaient soignés par les villageois palestiniens depuis deux ou trois générations écrit Gideon Levy qui a visité al-Moughayyir avec son photographe. (Haaretz, 29 août). Un spectacle de désolation qui fend le cœur du plus endurci. Des milliers d’arbres à terre portant encore leurs olives et leurs amandes! Sciés. Dégradés. Cassés. Piétinés. Laissant les Palestiniens sans ressource.
Mais ces arbres en réalité incarnent le lien profond que les villageois entretiennent avec cette terre de Palestine; lien que les colons aidés par les militaires tentent constamment de rompre, surtout depuis la guerre de Gaza.
Un crime de guerre
Pour le général Bluth et ses séides plus nombreux que les habitants de village qu’ils ont envahi, il s’agissait de mettre la main sur un Palestinien qui aurait tiré sur un colon, le blessant légèrement.
Bien entendu, quand un colon tue un Palestinien ou met le feu à sa maison ou à sa voiture, le général est aux abonnés absents et ne bouge pas le petit doigt. Le plus souvent même, il vole au secours du colon ! Car telle est l’occupation sioniste. Car telle est la mission exécrable de Bluth: bouffer du Palestinien !
Le résultat: 3100 arbres pleins d’amandes et d’olives mûres à terre à quelques semaines du début de la récolte. Trois saisons consécutives sans pouvoir récolter pour les agriculteurs d’El Moughayyir. Depuis le 7 Octobre, la violence des colons les a empêchés d’approcher de leurs champs.
Avec cet «exploit» du général Bluth, il n’y aura plus de récolte du tout d’ailleurs.
Le militaire le dit sans détour: punition collective afin que les Palestiniens ne lèvent plus la main sur un quelconque «résident» (c.-à-d. un colon).
En fait, il s’agit d’un crime de guerre prémédité, d’une stratégie de l’armée sioniste car ses bulldozers et ceux des colonies et des avant-postes de colonies étaient déjà stationnés près du village attendant le prétexte pour commencer le carnage pour mettre la main sur des terres tant convoitées.
L’ONU recense plus de 1000 attaques menées par des Israéliens contre les Palestiniens depuis janvier 2025.
Une stratégie diabolique
Les forces d’occupation ont complètement coupé le village du monde et construite des routes au profit des colonies pour le contourner et l’isoler. Elles ont arrêté le président du Conseil local, Amin Abou Alia ainsi que les quatre frères de Hamdan Abou Alia (18 ans), le dernier villageois assassiné par les forces d’occupation. Le prédécesseur d’Amin, Marzouk Abou Naïm âgé, de 65 ans l’a remplacé comme président du conseil local. Il raconte que les villageois possédaient 43 000 dumans (4300 ha) qui vont loin au nord, dans la vallée du Jourdain. Il n’en reste plus que 950 dumans (95 ha). Tout le reste est devenu inaccessible. Les colons violents venant de France, de Brooklyn, de Pologne…. se sont emparés de toutes les collines et empêchent les Palestiniens d’accéder à leur terre et de la travailler. Ces manières de voyous ont commencé bien avant le 7 Octobre, lors de l’apparition d’un petit avant-poste appelé Malachei Hashslom (Anges de paix) en 2015. Aujourd’hui, il y a une dizaine d’avant-postes autour de Moughayyir et leurs habitants ont virtuellement mis la main sur toutes les terres. Samir Abou Alia, une figure locale, déclare que ses 230 oliviers ont été détruits. N’ayant pu récolter ses olives, il enregistre une perte de 9000 dollars à laquelle il faut ajouter le coût de chaque pied d’olivier soit 900 dollars. Au cours des deux dernières années, il lui a été impossible d’atteindre son oliveraie. Armes à la main, les colons lui ont interdit l’accès à sa propriété.
Samir déclare à Gideon Levy que la situation actuelle, après le 7 Octobre, est «200 fois pire» qu’auparavant. Il n’y avait que 2 avant-postes avant la guerre, il y a en 10 actuellement. Avant, on accédait à 35 000 dumans (3500 ha), aujourd’hui, c’est totalement impossible. Avant la guerre, l’armée se comportait différemment, aujourd’hui, elle coopère entièrement avec les colons.
Abdel Attaf Abou Alia, âgé de 55 ans, a tout fait pour sauver ses oliviers. Il a mis des fils de fer barbelés et électrifiés pour garder à distance les colons voyous des avant-postes, affichant des pancartes «Danger extrême. Electrifié.». Tout a été détruit par les bulldozers. Il avait 350 oliviers. Ils ont été tous arrachés l’un avec l’autre, chargés de fruit, sous ses yeux. Il a essayé de bloquer les bulldozers avec son corps. Il a été viré avec un fusil mitrailleur sur la poitrine. Il ne lui reste plus que dix oliviers dans le jardin de sa maison mais l’accès à son oliveraie est à présent hors de question.
Aïcha Abou Alia , 52 ans, a perdu samedi 60 dumans (6 ha). Des trous de balles sont visibles sur la porte de la maison de ses voisins, un tragique rappel de l’assassinat du jeune Jihad Abou Alia (aucune relation avec Aïcha), âgé de 22 ans, tué sur la terrasse de sa maison en avril dernier quand les colons ont commis un pogrom et que les soldats appelés se sont mis à tirer comme c’est l’habitude chez eux.
Les palestiniens doivent partir
Karim Joubran, directeur du département recherche sur le terrain de l’ONG israélienne des droits humains B’Tselem, affirme que le drame de Mouhayyir, véritable action de génocide, l’inquiète beaucoup: il a été déclenché par un incident mineur et il craint qu’à l’avenir, tout ne devienne prétexte à démarrer une réaction folle, disproportionnée de génocide pareille à celle de ce village.
De leur côté, les membres du conseil local du villageois sont aussi très inquiets au sujet du futur. Les politiciens israéliens ont déjà parlé de bus pour transférer les Palestiniens de Cisjordanie vers la Syrie méridionale. La peur du transfert de la population plane, menaçante, sur la tête des villageois d’autant plus qu’il leur semble que le déracinement des arbres est un bien mauvais présage à cet égard.
Pour Abou Naim, l’adjoint au président du conseil local, «Nous faire partir est leur but ultime. La tactique adoptée ici n’est pas celle de Gaza mais la finalité est la même.»
Roger Cohen, célèbre chroniqueur du New York Times, a accompagné Gideon Levy et son photographe lors de leur visite à Mouhayyir. Cohen a demandé aux membres du conseil s’ils soutiennent le Hamas dans la guerre de Gaza. Faraj Nessan, 60 ans, un responsable de longue date lui a répondu: «Ce qu’on nous fait subir n’est pas du fait de notre identité politique palestinienne. Le président de notre conseil n’a pas été arrêté pour appartenance au Hamas mais pour son opposition à l’occupation. Ils ne veulent pas voir les Palestiniens ici, quelle que soit leur affiliation politique. Le 7 Octobre a servi comme prétexte. Quand les soldats ont perquisitionné ma maison vendredi, ils ont trouvé un petit drapeau palestinien. Ils l’ont jeté à terre et l’ont piétiné. Telle est la mentalité de ces militaires: ils sont contre le peuple palestinien et non contre le Hamas.»
Quant à Mustapha Barghouti, secrétaire général de l’Initiative Nationale Palestinienne, venu lui aussi, constater l’affreuse boucherie commise par le général Bluth et ses soldats. Il pense que c’est pire que du temps de la première Nakba car «lors de la cette dernière, il n’y avait pas pareil fascisme parmi les Israéliens.»
L’olivier, symbole de paix de la déesse Athéna, n’est pas du goût de certains Israéliens. Si Burg est pour, Bluth, ses séides et les colons sont contre.
Israël est un Etat divisé, au bord de la guerre civile, si l’on croit Elie Barnavi, historien et ancien ambassadeur d’Israël en France.
Ce qui est par contre sûr, c’est que l’arrachage des oliviers est un bien mauvais présage pour les Palestiniens : c’est leurs terres qu’Israël convoite et c’est leur transfert hors de ces terres qu’il rumine. Des crimes de guerre qualifiés que tous les hommes libres condamnent.
Mohamed Larbi Bouguerra