News - 04.06.2025

Habib Touhami: Ce qu’il faut retenir du recensement de la population

Habib Touhami: Ce qu’il faut retenir du recensement de la population

Il n’y a rien dans les résultats du Recensement général de la population et de l’habitat (Rgph 2024) qui soit vraiment extravagant ou inattendu. Tout confirme les tendances révélées par les recensements précédents et crédibilise les projections intercalaires effectuées par les Nations unies ou l’INS. Selon le Rgph 2024, la Tunisie comptait, au 6 novembre 2024, 11,972 millions d’habitants. D’après les projections intercalaires, la Tunisie aurait pu compter en 2024 entre 11,665 millions d’habitants (hypothèse de basse fécondité) et 12,336 millions (hypothèse de moyenne fécondité). Ni l’évolution du taux de croissance démographique (0,87% entre 2014 et 2024), ni les niveaux atteints par l’âge médian et l’âge moyen, ni le vieillissement accéléré de la population du Kef par exemple, ni même la part de la population étrangère dans la population totale ne constituent une réelle surprise.

En fait, la démographie tunisienne a bel et bien évolué entre 2014 et 2024 de façon relativement conforme à ce qui était attendu (hormis la composante migratoire), et ce dans un intervalle encadré par l’hypothèse de basse fécondité et l’hypothèse de fécondité moyenne. Comment expliquer alors tant d’interprétations non fondées qui ont suivi la publication des résultats du Rgph 2024? Certains n’ont pas hésité à évoquer un remplacement démographique ou l’urgence de remettre en cause le Code du statut personnel ? Il convient de souligner l’impact nocif de deux dérapages : les réactions irrationnelles face à la «chose» démographique, l’incurie à soumettre les décisions dans ce domaine au seul terme qui sied à la démographie: le long terme.  

Beaucoup en Tunisie persistent à croire que c’est l’action du planning familial qui est à l’origine de la baisse de la natalité. C’est évidemment faux. Bien sûr le planning familial a joué un rôle important à une certaine époque, mais si on analyse les choses dans la durée, on constate que ce rôle n’est finalement pas plus important que le recul de l’âge du premier mariage, la scolarisation des filles, l’entrée des femmes dans le marché du travail, l’évolution des mœurs, l’urbanisation, etc. En tout état de cause, se marier ou non, décider d’avoir des enfants ou pas doivent rester un choix personnel, pas un commandement de la société ou de l’Etat. J’ai écouté un jour un grand professeur d’université affirmer au cours d’un séminaire que le planning familial a été pour  80% dans la baisse de la natalité. Je lui ai répondu du tac au tac : comment calcules-tu tes 80%. Il n’a pas su répondre.

Le comportement des décisionnaires face aux évolutions démographiques nous interpelle : l’obligation de gouverner impose celle de prévoir. La diminution du rapport démographique (nombre d’actifs pour un seul bénéficiaire de pension) nétait devenue tangible dès les années quatre-vingt-dix et ses  conséquences probables sur les équilibres financiers des régimes de pension étaient prévisibles. Il fallait alors ajuster la logique du financement par répartition aux évolutions démographiques, exogènes pour le coup. La décision a été cependant la généralisation du système de remboursement au niveau de l’assurance-maladie, bien que l’influence de l’âge sur la consommation médicale et les dépenses de maladie soit devenue trop contraignante (celle du sexe existe mais elle est moindre).

Six indicateurs significatifs

1 - La population selon les recensements  

Le taux de croissance démographique en Tunisie a connu une accélération entre 1956 et 1984, passant de 1,59% à 2,48% (taux le plus élevé jamais atteint) puis une décélération progressive jusqu’à atteindre 0,87% en 2024 (2,35% en 1994; 1,21% en 2004 ; 1,04% en 2014). Cette décélération était attendue en raison de l’évolution du nombre de naissances, des décès et du solde migratoire ; soit les éléments concourant au calcul du taux d’accroissement de la population. (Taux d’accroissement de la population entre t et t+1= population t+naissances-décès+solde migratoire enregistrés entre t et t+1/population t, le tout exprimé en %). Tant que les naissances restent supérieures aux décès et que le solde migratoire reste positif, la population continuera à croître. Rappelons que le solde migratoire pour une année est la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées sur le territoire national au cours de l’année et le nombre de personnes qui en sont sorties. Il peut être positif ou négatif et il ne tient pas compte de la nationalité.

Evolution de la population de Tunisie à travers les recensements

Date   Effectifs Etrangers en% Taux accr.
06/03/1921 2 093 939 10,5%  
20/04/1926 2 159 708 11,2% 0,6%
22/03/1931 2 410 692 11,1% 2,3%
12/03/1936 2 608 313 10,9% 1,6%
01/11/1946 3 230 952 10,1% 2,0%
01/02/1956 3 783 169 9,0% 1,7%
03/05/1966 4 533 351 1,5% 1,8%
08/05/1975 5 588 209 0,7% 2,3%
30/03/1984 6 966 175 0,5% 2,5%
20/04/1994 8 785 711 0,4% 2,3%
28/04/2004 9 910 872 0,3% 1,2%
23/04/2014 10 982 754 0,5% 1,03%
RGPH 2024 11 972 169 0,55% 0,87%

Source INS

2 – L’évolution du rapport de masculinité

L’évolution du rapport de masculinité  (effectifs des hommes/ effectifs des femmes en %) à travers les recensements révèle une baisse notable du taux, passant de 104,5% en 1966 à 97.4% en 2024. Jusqu’à 2004, les hommes étaient plus nombreux que les femmes, mais cette tendance s’est inversée après le recensement de 2004. En effet, le Rgph 2014 a enregistré 50.2% de femmes contre 49.8% d’hommes. Les résultats du recensement 2024 montrent que cette relative suprématie féminine se confirme, les femmes représentant 50.7% de la population contre 49.3% pour les hommes. Plusieurs facteurs  expliquent cette évolution : écart en espérance de vie entre hommes et femmes ; baisse du taux de fécondité; impact de la migration internationale, celle-ci étant à prédominance masculine, etc. Le rapport de masculinité à la naissance se situe généralement autour de 105%. On ignore jusqu’à quel point l’excès de naissances masculines par rapport au nombre de naissances féminines est dû ou non à des facteurs génétiques ou biologiques.

3 - La population étrangère

La présence d’étrangers dans notre pays n’est pas une nouveauté, loin de là. Pendant la période coloniale, la population étrangère avait atteint 10% et plus de la population résidente en Tunisie (11,1% en 1931). Avec l’indépendance en 1956 et le départ des Français, le nombre d’étrangers a diminué, passant de 341 473 personnes en 1956 (soit environ 9 % de la population totale) à 66 834 en 1966 (1,5 %). Entre 1966 et 2004, la population étrangère en Tunisie est restée relativement stable, avec un effectif d’environ 40 000 individus, représentant environ 0,5 % de la population totale. C’est à partir de 2004 que l’on registre un accroissement de la population étrangère, celle-ci atteignant 53 490 personnes en 2014, puis 66 349 en 2024. Toutefois, leur part dans la population totale reste relativement faible, ne représentant que 0,55 % en 2024.  

4 - L'âge médian est différent de l’âge moyen

L'âge médian divise la population d’un pays en deux groupes numériquement égaux (la moitié est plus jeune que cet âge et l'autre moitié est plus âgée), alors que l’âge moyen est la moyenne de l'âge des habitants. Dans une famille avec un père de 37 ans, une mère de 36 ans et un enfant de 2 ans, l'âge médian est de 36 ans tandis que l'âge moyen est de 25 ans (37+36+2)/3. En France, l'âge médian est inférieur d'un an à un an et demi à l'âge moyen, alors qu’en Tunisie il est de la moitié d’un an (respectivement 35 et 35,5 ans).

5 – L’incidence de la fécondité sur le vieillissement de la population

Les modèles courants de population montrent que la structure de la population par âge varie quel que soit le niveau de mortalité) à mesure que la fécondité diminue. Lorsque la fécondité diminue, la proportion de la population âgée de 0 à 14 ans diminue en conséquence, alors que celle des personnes âgées de 60 ans et plus augmente. La relation entre la baisse de la fécondité et le vieillissement d’une population donnée est devenue un thème important d’analyse démographique au début des années cinquante. A l’époque, on imputait à l’effet conjugué des baisses de la mortalité et de la fécondité caractérisant les pays occidentaux le vieillissement de leur population. Des analyses ultérieures ont démontré que l’évolution passée de la structure par âge des pays occidentaux est essentiellement attribuable aux baisses de fécondité. Sur ce plan, la démographie de Tunisie se rapproche davantage de celle des pays développés que des pays ayant le même niveau de développement.

6 – Le taux d’analphabétisme

Il est difficile de disserter sur ce taux en raison du sens même du mot « analphabétisme ». S’agit-il de l’état d’une personne qui ne sait ni lire ni écrire ou de l’absence chez l’individu de tout savoir et de toute instruction ? Toujours est-il que le Rgph 2024 nous dit que le taux d’analphabétisme a atteint en 2024 près de 17,3% (22,4% pour les femmes et 12,0% pour les hommes). Tout cela est subjectif en raison des explications données plus haut. Peut-être faut-il privilégier l’analyse de l’évolution de la répartition de la population selon le niveau d’instruction.

On observera à ce propos que 18,3% de la population n’ont pas de niveau d’instruction en 2024 contre 31,7% en 1994; 23,1% en 2004 et 19,0% en 2014. A l’opposé, la part de la population d’un niveau supérieur d’instruction dans la population totale a atteint  16,1% en 2024 contre  3,8% en 1994 ; 7,9% en 2004 et 12,9% en 2014.  

On reviendra prochainement sur ce thème.

Habib Touhami