News - 18.04.2025

Abdelaziz Kacem - La Nahda se meurt: À qui la faute ?

Abdelaziz Kacem - La Nahda se meurt: À qui la faute ?

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La Nahda, notre Renaissance, on ne le répètera jamais assez, est née au forceps de l’Occident. Grâce à Bonaparte, d’abord, puis aux anciens de l’Expédition d’Égypte, la France des Lumières a pris en charge les pionniers arabes du renouveau culturel. Mais les services coloniaux ont fini par sentir le danger que représentaient, pour leurs intérêts, ces élites formées à leur école. 

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Me vient à l’esprit Jean Mons, l’un des Résidents généraux les plus acquis à l’instauration de sérieuses réformes en Tunisie. En 1950, il accorde une audience à Bourguiba. Au cours de l’entretien, le leader tunisien fit le procès de la colonisation. Excédé, le haut représentant français s’exclama : «Mais alors, M. Bourguiba, voilà une heure que je vous entends déblatérer contre la France. Alors, elle n’a rien fait de bien, la France, dans votre pays ?» Et Bourguiba de répondre superbement : «Si, elle a fait un homme comme moi et qui vient maintenant lui demander des comptes».

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Depuis lors, nous avons été prévenus par plus d’un observateur. Pour Maxime Rodinson, on semble tout faire pour accentuer la dégénérescence des pays orientaux. «Leur redressement, leur modernisation éventuels, affirme-t-il, ne suscitent aucun enthousiasme. Ils risqueraient d’y perdre cette touche d’exotisme qui fait leur charme». Les politiques coloniaux s’alliaient, le plus souvent, aux «conservateurs indigènes» et traitaient, ajoute-t-il, «les intellectuels nationalistes, qu’ils soient réformateurs ou révolutionnaires, socialisants ou non, de pâles imitateurs de l’Europe, poussés par des idées abstraites et mal comprises, à détruire leur propre patrimoine»

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On sait le rôle primordial joué par Mohammed Ali d’Égypte pour la modernisation accélérée du pays. C’est lui qui envoie en France la première mission estudiantine arabe. Or l’Occident, se préparant à faire main basse sur les destinées du monde arabe, voyait d’un mauvais œil les ambitions du monarque égyptien, décidé à faire de son pays une puissance capable de prendre le relais de l’Empire ottoman. Or «l’Homme malade» devait être maintenu en vie tant que les puissances coloniales ne se seraient pas entendues sur la part qui reviendrait à chacun dans la succession. Ibrahim Pacha ayant arraché aux Turcs la Syrie, une coalition le contraint par le traité de Londres (1840) à restituer sa conquête et à se contenter de l’Égypte et du Soudan. Amin Maalouf écrit à ce sujet : «La conclusion que les Arabes tirèrent alors et tirent encore de cet épisode, c’est que l’Occident ne veut pas qu’on lui ressemble, il veut seulement qu’on lui obéisse».

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Mais c’est surtout l’Occident anglo-saxon qui a asséné à la volonté de progrès chez les Arabes le coup le plus handicapant. En 1928, pour endiguer les aspirations de plus en plus pressantes des élites à parler d’égal à égal avec les suprémacistes coloniaux, un instituteur archaïque nommé Hassan al-Banna, avec l’aide britannique sonnante et trébuchante, crée l’Association des Frères musulmans. Il fallait, pour les autorités anglaises, lancer les barbus contre une intelligentsia arabe sachant argumenter et convaincre. 

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Cela fait maintenant presque un siècle que les Frères musulmans font tout pour effacer les «séquelles» de l’Expédition d’Égypte. Pour tous les conservateurs du monde, le progrès, voilà l’ennemi ! Tout le XXe siècle arabe est à refaire. La Nahda, dont le nom même a été usurpé par un mouvement qui lui est hostile, est à recommencer.

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Les ulémas sont désemparés. Ils ont tremblé pour leur fonds de commerce. Leur réaction est allée dans toutes les directions. Pour la plupart, Dieu nous éprouve pour vérifier notre foi. Le postulat que tout est dans le Coran aboutira au stupide concordisme et aux miracles scientifiques dans le Livre saint. D’autres, plus stupides encore, pensent que l’essentiel est de consolider la foi des ‘ajâiz (les vieillardes). L’un des charlatans les plus influents dans le monde arabo-musulman, cheikh Metwalli al Sharawi, se trouvait à Alger en juin 1967. Quand la défaite arabe fut consommée, il avoue avoir remercié Allah en deux génuflexions. Pour quelle faveur, ce remerciement ? lui demande son fils, étonné.

«Dieu, rétorque-t-il, vient de sauver l’islam d’une victoire militaire arabe qui aurait consacré la mainmise du communisme athée sur les terres de la Oumma.» Au diable, la patrie, c’est la foi qui compte. 

À la question pourquoi les Occidentaux découvrent et inventent, en l’absence quasi-totale des musulmans ? Il répond, imperturbable: Allah les a réquisitionnés pour ces nécessités. Ils nous en déchargent afin que, nous autres, nous nous consacrions à sa dévotion.  

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L’Occident est passé maître dans la manipulation d’un islam monopolisant la vraie foi et toujours prêt à en découdre avec l’athéisme d’où qu’il vienne. Le Royaume-Uni invente, en 1945, dès le début de la guerre froide, la Ligue des États arabes pour contrer toute velléité communisante en terre arabe. Nasser a essayé de faire détourner cet organe de sa tare de naissance pour défendre la cause arabe. Sa décennie tunisienne a déterminé son action en faveur du développement arabe commun. Retournée au Caire, depuis les années 90 du siècle précédent, elle a retrouvé sa vocation première, obéir au bon vouloir du bon patron anglo-saxon. 

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La manipulation occidentale culmine dans les années quatre-vingts, quand, en Afghanistan, ils ont armé, entraîné et lancé des hordes de barbus fanatisés contre l’armée soviétique athée. L’hostilité que nourrissait le fondamentalisme à l’égard de l’Urss et ses satellites était stupide à plus d’un titre. Le bloc communiste n’avait pas de contentieux avec le monde arabe, il était quasiment son seul soutien dans les instances internationales. D’ailleurs, l’effondrement de l’Union soviétique a été catastrophique pour l’équilibre politique mondial et les Arabes ont été les premiers à en pâtir. Ils ont bien coupé la branche sur laquelle ils étaient assis. D’autres branches sont menacées.

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L’une des raisons de l’échec de la Nahda, n’ayons pas peur des mots, est due à l’islam califal, un islam cadenassé par des interprétations abusives et surannées. Il est ahurissant de voir à quel point les cancres maltraitent les concepts et prennent des libertés avec la sémantique. Contre ce passéisme stérilisant, nombreux ceux qui, comme le polémiste Abd el Qâdir al-Mâzini (1889-1949), appelaient à «mettre fin à l’emprise des morts sur les vivants, à la mainmise du passé sur le présent.»

Abdelaziz Kacem