Dr Mohamed Adel Chehida - Éducation et santé : Vers une mobilisation collective contre la désinformation
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Par Docteur Mohamed Adel Chehida - À la suite du décès tragique d'un étudiant tunisien (Allah Yarhmou) résident au foyer des étudiants à Rakkada (Kairouan) suite) une méningite fulminante, une maladie contagieuse grave, les autorités sanitaires ont immédiatement lancé une campagne de prévention. Elles ont à juste titre exhorté toutes les personnes ayant été en contact avec la victime à prendre un antibiotique.
Cependant, la réaction de certains étudiants a été surprenante. Plutôt que de participer activement à cette campagne de prévention, ils ont semé le doute en diffusant des vidéos sur les réseaux sociaux. Ces vidéos les montrent en train d’examiner et de fragmenter des comprimés contenant une poudre rouge, évoquant une scène d’un film anthropologique où un Belge dévoile un miroir à des membres d'une tribu en Papouasie-Nouvelle Guinée n'ayant jamais été en contact avec le monde extérieur. Pendant que j'écris ces lignes, d'autres cas de méningite sont déjà suspectés.
Une réaction similaire a été observée suite à l’annonce du ministère de la Santé concernant la gratuité du vaccin contre le virus HPV, dans le cadre de la lutte contre le cancer du col de l’utérus. D’autres exemples pourraient être cités.
Plusieurs questions se posent alors et m’incitent à rédiger ces réflexions. Pourquoi notre société tunisienne, supposément instruite avec un faible taux d’analphabétisme, en est-elle arrivée à ce stade ? Je pense qu’il s’agit là d’un reflet de l'échec du système éducatif en Tunisie, un constat maintes fois évoqué par des intellectuels et des éducateurs qui n'ont reçu que des oreilles sourdes et des réponses inactives, se limitant à des slogans et des propagandes sans mesures concrètes. Clairement notre système n’a pas su faire la part entre enseigner et éduquer.
Aucune réforme significative n’a été entreprise pour faire face à cet abîme qui menace les nouvelles générations en Tunisie. Les ministres de l’Education nationale se succèdent à un rythme effréné et rien de consistant n’a été entrepris depuis feu Mahmoud Messadi.
L’enseignement privé pénalise d'abord les parents capables de financer « l’étude », mais nuit surtout à la santé mentale et physique des élèves qui n'ont même pas le droit à un dimanche de repos pour s'adonner au jeu. On les pousse à ingurgiter des connaissances, sans leur laisser le temps d’intégrer l’information. Un gavage qui interdit toute ouverture d’esprit.
La réaction de ces étudiants en est un exemple frappant. Au-delà de cette analyse personnelle, je me demande si des personnes, qu'elles soient médecins ou non, résidant en Tunisie ou à l'étranger, ne devraient pas briser le silence et réagir, contrairement à une partie de la société qui semble se complaire dans l'inertie.
Cette inertie est palpable et se nourrit d'un climat de méfiance envers les institutions et les autorités. Les réseaux sociaux, bien qu'ils puissent être des vecteurs d'information, servent parfois de terreau pour la désinformation et la propagande.
Les vidéos diffusées illustrent une incompréhension des enjeux sanitaires, mais aussi une défiance grandissante envers la science et les experts. Cela nécessite une communication transparente, mais aussi des efforts pour éduquer la population sur les enjeux de santé publique.
Les campagnes de sensibilisation doivent être ciblées et adaptées à la réalité des jeunes, utilisant des formats qui leur parlent réellement. Les anecdotes, les témoignages et les récits personnels peuvent aider à construire des ponts entre la science et le vécu quotidien des étudiants. De plus, il est essentiel d'impliquer les étudiants eux-mêmes dans ces initiatives.
En les rendant acteurs de leur propre éducation et de la prévention des maladies, nous pouvons commencer à inverser cette tendance. Des ateliers, des débats et des forums peuvent être organisés pour aborder ces sujets de manière ouverte et constructive. La création de groupes de discussion où les jeunes peuvent poser des questions et exprimer leurs préoccupations pourrait également favoriser une meilleure compréhension des enjeux sanitaires.
Enfin, il est crucial de plaider pour une réforme profonde du système éducatif, qui doit aller au-delà du bourrage de crâne traditionnel. L'éducation doit encourager la pensée critique, la curiosité intellectuelle et le respect des données scientifiques. Elle doit encourager l’esprit critique.
En intégrant des cours sur la santé publique et l'éducation à la santé dans le programme scolaire, nous pouvons préparer les générations futures à être mieux informées et moins susceptibles de céder à la désinformation. Il est temps d'agir, de ne plus rester les bras croisés face à des crises qui touchent notre société de plein fouet. Chaque voix compte, et ensemble, nous pouvons créer un environnement où la connaissance et la prévention deviennent des priorités.
La lutte contre l'ignorance et la désinformation doit être collective, impliquant tous les acteurs de la société, des éducateurs aux professionnels de la santé, en passant par les étudiants eux-mêmes. C'est en unissant nos forces que nous pourrons espérer bâtir un avenir meilleur pour notre pays.
Docteur Mohamed Adel Chehida