L’Etat social en Tunisie: Un choix ou une obligation ?
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Par Mongi Mokadem - Etant donné leur rôle dans le développement économique et social, l’Etat et le marché ont toujours fait l’objet de controverses. Si certains se contentent de souligner que: «l’Etat n’est pas la solution mais le problème»(1), d’autres vont plus loin en affirmant que: «L’Etat n’est pas la solution, ni même le problème, il est l’ennemi à abattre»(2). Par ailleurs, on ne manque pas de nourrir de la méfiance vis-à-vis du marché en précisant que: «le marché est un oiseau précieux qu’il faut mettre en cage de peur qu’il ne s’envole»(3). Quelques années après l’application des plans néolibéraux d’ajustement structurel des années 1980, la Banque Mondiale procédait à une réévaluation du rôle de l’Etat en admettant qu’il y a, tout de même, des interventions efficaces de la part de l’Etat et on peut lire, dans son rapport annuel sur le développement du monde de 1997, des formules comme «un Etat efficace et compétent est préférable à un Etat minimum» ou encore «un développement sans Etat échouera». C’est parce qu’il est, en effet, admis de plus en plus que la pauvreté de certains pays ne s’explique pas par le manque de ressources, mais plutôt par la faiblesse de l’Etat.
C’est dans ce débat controversé sur l’Etat et sa place dans l’économie et la société que le concept d’Etat social s’est imposée progressivement comme une réalité dans tous les pays, sans exception. Il revêt des formes différentes et ne se réduit pas uniquement à l’intervention publique de l’Etat. Il s’agit de l’ensemble des interventions sociales exercées par l’Etat en vue de garantir à la population un niveau de vie minimum, notamment à travers une politique appropriée de protection sociale.
Le modèle de l’Etat social est de plus en plus attaqué par le modèle néolibéral qui est actuellement en vigueur et dont le bilan est loin d’être satisfaisant. En effet, sous le néolibéralisme, les besoins sociaux, notamment l’emploi, l’éducation, la sécurité sociale, la santé, le transport, la retraite…sont de moins en moins assurés. D’où le nécessité de réhabiliter l’Etat social qui n’est pas une figure du passé, mais de plus en plus d’actualité et qui est porteur d’une véritable révolution économique et sociale. C’est de la réussite ou non de l’Etat social que dépend l’avenir d’un monde régis par les lois aveugles du marché et de la rentabilité économique.
La Tunisie ne fait pas l’exception. Elle est soumise à ce choix vital entre des politiques néolibérales qui ne font qu’approfondir la crise économique et sociale et une réhabilitation de l’Etat social capable d’améliorer le niveau de vie de la population.
Section I - l’Etat social: de quoi s’agit-il?
I – 1 - Présentation
L’Etat social, appelé aussi Etat-providence, est opposé à l’Etat-gendarme dont le rôle est d’assurer les fonctions exclusives de l’Etat en matière de justice, police, défense nationale, diplomatie…
L’Etat social est appelé à remplir les fonctions de régulation, d’allocation et de redistribution. Et c’est la raison pour laquelle il doit se doter de larges compétences réglementaires, économiques et sociales lui permettant d’allouer des dépenses sociales en faveur de ses citoyens.
L’Etat social est le produit d’une longue évolution au cours de laquelle il a connu de multiple transformations.
La première transformation concerne son parcours vers la légitimation. En effet, les origines de l’Etat-providence remontent à la seconde moitié du 19°siècle avec la naissance des premiers systèmes d’assurance sociale : le système de Bismarck en Allemagne et la loi sur la réparation des accidents de travail en France (1898). C’est surtout avec les deux lois de 1928 et 1930 en France que s’instaure une couverture obligatoire des risques vieillesse, maladie, maternité, décès et invalidité au profit des travailleurs dont le salaire ne dépasse pas un certain niveau. En 1942, il a été mis en place, en Grande-Bretagne, un système d’assistance sociale fortement influencé par l’économiste John Maynard Keynes.
La seconde transformation est celle du développement de l’Etat social après la seconde guerre mondiale. l’Etat-providence va connaître, dans beaucoup de pays, un épanouissement considérable avec, notamment, la création de la sécurité sociale et la généralisation de la protection sociale qui se traduit par la couverture des différents risques sociaux relatifs à la santé, la vieillesse, la famille, l’emploi, le logement, la pauvreté, l’exclusion sociale…La protection sociale marque, par conséquent, une certaine solidarité entre les actifs et les retraités, entre les bien-portants et les malades et entre les salariés et les chômeurs.
C’est à partir du milieu des années 1970, lorsque cette interdépendance entre l’économique et le social s’est bloquée, que l’on commence à parler de la crise de l’Etat-providence, crise qui s’explique principalement par la fin des trente glorieuses et le début d’une crise économique prenant la forme d’une stagflation ayant comme principales manifestations le ralentissement de la croissance économique, l’accroissement du chômage et la montée de l’inflation. Ce qui engendre de plus en plus de difficultés pour assurer le financement de la protection sociale et remet en cause l’efficacité de celle-ci.
I – 2 - La prospérité de l’Etat social
C’est pendant les trente glorieuses (1945 – 1975) que l’Etat social a connu un véritable essor. En effet, durant cette période, le monde développé a vécu une prospérité économique qui s’est traduite par un accroissement du pouvoir d’achat des salariés, un élargissement des classes moyennes, un recul du chômage, un développement de la protection sociale et un renforcement des services publics, notamment l’éducation, la santé, les logements sociaux et les transports collectifs.
L’Etat social se caractérise principalement par quatre principaux facteurs, à savoir l’intervention active de l’Etat dans la vie économique, la forte imbrication de l’Etat social dans la sphère économique, le développement inégal de l’Etat social et l’essor des classes moyennes.
1 – L’intervention active de l’Etat dans la vie économique
L’Etat procède au financement des grands services publics collectifs : l’éducation, la santé, la culture, la protection sociale, les transports collectifs, les logements sociaux, les communications, les équipements collectifs urbains. Pour assurer ce financement, l’Etat fait appel à ses deux principales sources de financement, à savoir les impôts et les cotisations sociales. En procédant ainsi, il transforme, dans une large mesure, le mode de fonctionnement capitaliste de la société. En effet, les différentes actions sociales entreprises par l’Etat ne constituent pas de simples mesures d’accompagnement social, mais sont inhérentes au système capitaliste. L’objectif est d’atténuer les conséquences néfastes de la crise mondiale du capitalisme des années 1930 et, ce, grâce à la croissance économique connue durant les trente glorieuses et aux avancées sociales rendues possibles du fait de cette croissance. Ce qui donne naissance à ce concept ambivalent et ambiguë de l’Etat social capitaliste.
2 – La forte imbrication de l’Etat social dans la sphère économique
Cette imbrication, contrairement à l’Etat-providence, ne sous-entend pas une charité publique accordée à des salariés passifs, mais exprime des acquis sociaux obtenus suite à de grandes luttes. Aujourd’hui, l’Etat social implique l’application de règles sociales et le droit d’accéder aux services publics de telle sorte que l’Etat dit social s’imbrique dans la sphère économique et exprime une régulation économique donnant lieu à une économie mixte et se caractérisant par une division du travail entre l’Etat, le secteur public et le secteur privé. Ce qui consacre une sorte de consensus social basé sur la croissance économique des trente glorieuses. Et ce sont les politiques néolibérales qui vont détruire ces bases.
3 – Le développement inégal généré par l’Etat social
Malgré ses énormes réussites, l’Etat social a généré des inégalités dans la répartition de ses services sociaux. Ce qui s’est traduit par le fait qu’il n’a touché qu’un nombre réduit de pays (Etats-Unis, Japon et Europe occidentale), qu’il n’a pas fait bénéficier les femmes et le monde rural des services sociaux et qu’il a soumis les pays du tiers-monde à une forte exploitation de la part des sociétés multinationales des pays riches.
4 – L’Etat social a favorisé le développement des classes moyennes
L’accroissement de l’Etat social s’explique par le déclenchement d’une dynamique économique liée au développement des services publics et qui a généré une nouvelle répartition des richesses produites grâce au progrès scientifique et technologique et au développement de la formation et de la protection sociale. Et c’est justement dans les pays où cette répartition ne s’est pas réalisée que les richesses sont restées concentrées entre les mains d’une minorité qui monopolise souvent un pouvoir autoritaire, à l’instar des pays de l’Amérique du sud, de l’Asie du sud-est et de l’Afrique.
Ce sont les politiques keynésiennes ayant caractérisé la période des trente glorieuses qui explique l‘épanouissement de l’Etat social avec principalement l’intervention massive de l’Etat par l’intermédiaire d’un secteur public important lui permettant de remplir pleinement son rôle en tant qu’entrepreneur. Et c’est justement la remise en cause de ces politiques keynésiennes qui réside derrière la crise de l’Etat social.
I – 3 - La crise de l’Etat social
C’est avec la crise économique des années 1970 que se déclenche une large vague de privatisation des secteurs publics, vague qui provoque une réorientation du rôle de l’Etat qui, désormais, occupe de moins en moins le statut d’entrepreneur économique. Il s’agit de la mise en application des politiques néolibérales dont la raison d’être consiste à démanteler et privatiser les services publics. En effet, pour le néolibéralisme, le marché doit être le principal régulateur de l’économie et de la société, alors que le rôle de l’Etat doit se limiter à une simple assistance sociale fournie aux exclus du système. Le néolibéralisme considère que les services publics doivent fonctionner selon les normes capitalistes, à savoir le profit, la rentabilité et la productivité. Il préconise des politiques publiques consistant à maîtriser l’inflation et à comprimer les budgets publics, tandis que la satisfaction des besoins collectifs de la population n’est plus un objectif prioritaire.
La mondialisation capitaliste et la globalisation financière à partir du milieu des années 1980 consacrent le triomphe du néolibéralisme et consolident la mise en place d’une régulation néolibérale qui se traduit par des choix de politiques économiques privilégiant la stabilisation des finances publiques et la lutte contre les déficits. Et ce sont les secteurs sociaux qui vont être les grandes victimes avec le déclin de l’école publique et de l’hôpital, le ralentissement de la hausse des salaires, la privatisation des monopoles publics, l’augmentation du chômage et la réduction de l’Etat à son rôle régalien (armée et police). Ce qui n’a pas manqué de provoquer dans les pays appliquant des politiques néolibérales des mouvements sociaux revendicatifs et de fortes résistances de la part des couches populaires et des classes moyennes.
Le néolibéralisme a imposé un nouveau modèle en mettant en exécution de nouvelles politiques économiques, financières, monétaires, commerciales, fiscales et salariales de plus en plus libéralisées et menées selon une approche qui est régie par les lois du profit et qui réduit la place de l’Etat social.
Dans la conception néolibérale, on tient une logique inversée. Selon cette conception, les politiques économiques se préoccupent des effets de la taille de l’Etat social sur la croissance économique, alors qu’en fait c’est l’accroissement du volume des Etats sociaux qui a généré un essor économique considérable dans les pays développés.
Ce qu’il faut souligner, c’est qu’en dépit de cette évolution, les économies continuent de fonctionner avec un marché, certes dominant, mais aussi avec un Etat social omniprésent. En effet, avec les incertitudes et les perturbations générées par la globalisation financière, le marché s’avère incapable de maîtriser les dérives d’un néolibéralisme sauvage affranchi des contraintes du social. Ce qui va aboutir à un nouveau compromis entre le marché et l’Etat par lequel il y a, au cours des années 1990 et 2000, la naissance d’une nouvelle conception de l’Etat dont la raison d’être est, désormais, la régulation et la correction des imperfections du marché.
Mais, la grande crise financière et économique de 2008 bouleverse cet équilibre, puisqu’on assiste à un retour en force de l’Etat pour empêcher le néolibéralisme de s’effondrer, sauver les grandes banques et les grandes institutions financières de la faillite et aussi pour faire face, quelques années plus tard, aux conséquences dramatiques du Covid-19.
Ainsi, chaque fois qu’il y a des difficultés, l’Etat se place au cœur des dynamiques économiques et sociales pour favoriser le social. Il prend en charge la solidarité entre les catégories sociales et entre les générations et ce en engageant d’importants investissements dans les secteurs sociaux, notamment l’éducation et la santé. C’est bien l’hôpital public qui a servi comme avant-garde dans la lutte contre le Covid 19. «Face à la pandémie, écrit Dominique Berns, l’Etat est à nouveau appelé à la rescousse.
Comme en 2008, lors de la crise financière, il est le seul capable de sauver les meubles. Mais son rôle doit-il être uniquement celui du pompier?»(4).
En définitive, le social doit être placé au cœur de tout nouveau modèle de développement économique. Et c’est l’Etat qui doit être le principal animateur de ce modèle.
Section II - L’Etat social en Tunisie
II - 1 – Etapes d’évolution
1 - Dès les premières années de l’indépendance en 1956, l’Etat tunisien a joué un rôle social considérable à travers le lancement d’un vaste programme de développement de l’économie nationale dans lequel l’Etat joue le rôle de l’entrepreneur exclusif. On peut citer notamment l’instauration du planning familial afin de limiter la natalité, la consécration de 30 % du budget de l’Etat à l’éducation ainsi que la construction d’écoles dans les régions les plus reculées avec la prise en charge de la nourriture des élèves et de leur habillement.
2 – L’échec de l’expérience des coopératives des années 1960 conduit l’Etat à ouvrir la voie aux capitaux nationaux et étrangers avec précisément l’adoption des lois de 1972 et de 1974 qui constituent les prémisses de l’économie libérale et qui représente un recul stratégique opéré par l’Etat qui joue de plus en plus le rôle d’arbitre.
3 - L’application, à partir du milieu des années 1980, par l’Etat tunisien du plan d’ajustement structurel et de son contenu néolibéral a entraîné la poursuite du désengagement de l’Etat en restreignant ses domaines d’intervention et en faisant du marché le principal régulateur des activités économiques. Ce désengagement s’est accéléré avec les accords de libre-échange signés avec l’Union Européenne, la priorité accordée aux exportations, la privatisation des entreprises publiques et l’abolition du contrôle des prix intérieurs.
Cependant, il faut souligner que l’Etat en tant qu’arbitre, s’avère incapable de gérer les exigences d’une économie libérale et de faire face à une crise économique et sociale se caractérisant par un taux de chômage élevé, des inégalités sociales et régionales, une expansion de la pauvreté, une dégradation remarquable des services sociaux et un effondrement des acquis de l’Etat social, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et des transports.
4 - Après 2011, l’Etat ne cesse de s’enfoncer dans une crise économique et sociale provoquant un démantèlement progressif de son rôle social, démantèlement dont les principales manifestations sont la baisse du taux de croissance économique, la corruption, l’extension de l’économie parallèle, les difficultés pour subventionner les produits de base (sucre, huile, blé…) et les carburants, la contraction des budgets consacrés à l’enseignement, la santé, le transport, la culture et l’infrastructure et la dégradation du pouvoir d’achat des populations pauvres et des classes moyennes.
Avec de telles conséquences, l’Etat tunisien risque de se retrouver de plus en plus désengagé des domaines sociaux qui sont considérés, auparavant, comme relevant de ses compétences et passe, de ce fait, d’un Etat social à un Etat arbitre.
5 – Actuellement, les principales composantes de l’Etat social en Tunisie sont les suivantes :
• La protection sociale avec ses deux principaux mécanismes : les prestations sociales (pensions de retraites, remboursements des soins de santé) et les prestations de services sociaux (accès à des services fournis à prix réduits ou gratuitement (crèches, hôpitaux).
• Les réglementations du marché du travail,
• Les services publics,
• Les politiques macroéconomiques de soutien de l’activité et de l’emploi.
Ces composantes peuvent-elles permettre de qualifier l’Etat tunisien d’Etat social?
II – 2 - L’Etat social tunisien face au modèle néolibéral
En Tunisie, il y a deux modèles en vigueur : un modèle social qui défend l’appropriation collective des moyens de production, une plus grande intervention de l’Etat comme planificateur et un modèle néolibéral qui défend la propriété privée et la libre entreprise et qui s’oppose à toute mainmise de l’Etat sur l’économie.
La Tunisie est-elle dans l’un ou dans l’autre des deux modèles ou bien peut-elle s’accommoder avec la coexistence des deux modèles?
Dans le discours officiel, l’Etat tunisien s’affirme comme un Etat social jouant le rôle de régulateur de la vie économique et sociale. On parle de plus en plus de la consolidation de son rôle social. Mais, dans la réalité, les politiques néolibérales mises en application ne cessent d’affaiblir les acquis de l’Etat social.
Concrètement, les politiques néolibérales menée pendant des années en Tunisie sont pour la plupart des politiques d’austérité qui se traduisent par:
• La mise en place d’une économie extravertie basée sur les exportations et les investissements étrangers et fondée sur des avantages comparatifs statiques, principalement les bas salaires et les activités à faible valeur ajoutée.
• La mise en exécution d’une politique de libre échange extérieur qui implique l’ouverture des frontières nationales aux importations et l’exposition des entreprises nationales à la concurrence des produits étrangers.
• L’abandon progressif du secteur public, ce qui réduit le rôle régulateur de l’Etat.
• La réduction des dépenses sociales avec la compression des salaires et des recrutements, la suppression des subventions, l’accroissement des taux de cotisation dans les caisses de sécurité sociale, le recul de l’âge de la retraite.
• Dans le domaine des services sociaux, il y a un fonctionnement à deux vitesses particulièrement dans les domaines de l’enseignement et de la santé. En effet, dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, la gratuité n’est pas systématique. On risque d’aboutir à un enseignement à deux vitesses : un enseignement public pour les pauvres et un enseignement privé pour les riches. Il en irait de même dans le domaine de la santé, avec une santé à deux vitesses, celle des riches et celle des pauvres.
• Dans le domaine de la distribution, l’Etat trouve de plus en plus de difficultés dans sa lutte contre la spéculation touchant les produits subventionnés et de première nécessité.
• En outre, l’Etat social doit éviter un manque quasi-permanent de biens essentiels, un taux de chômage élevé, une précarisation grandissante de l’emploi et une crise de logement.
Par conséquent, il est difficile de réaliser l’épanouissement de l’Etat social et encore moins la satisfaction des besoins sociaux dans le cadre d’un modèle néolibéral agissant au sein d’une mondialisation hégémonique dans laquelle la Tunisie ne dispose que de très peu d’avantages comparatifs. Ainsi, les ravages provoqués par le modèle néolibéral ne font qu’affaiblir et déstabiliser l’Etat social.
Ce qui rend vital la réhabilitation de l’Etat social. Celui-ci s’impose de plus en plus comme étant la solution.
II – 3 - Que faire pour réhabiliter l’Etat social ?
Face à une telle évolution, l’Etat social s’impose de plus en plus comme étant la solution pour réparer les dégâts causés par les choix néolibéraux.
Le rétablissement du rôle social de l’Etat ne peut se faire que dans le cadre du choix d’un nouveau modèle à contenu foncièrement social. Ce qui ne signifie, en aucun cas, une remise en cause de l’économie de marché et du secteur privé. Le marché doit continuer à jouer son rôle dans la régulation d’une partie de l’activité économique, mais, l’Etat doit également être en mesure d’assurer la régulation économique et de corriger les imperfections et les dérapages du marché.
Il est, par conséquent, question de rétablir l’Etat social dans toutes ses dimensions et faire en sorte à ce que le volet social soit une option constante des politiques publiques. Le but est de redonner la vie aux services publics de la santé, de l’enseignement, du transport, de la sécurité sociale et aussi de redresser la situation des entreprises et des établissements publics.
Seulement, la réhabilitation de l’Etat social est confrontée à l’insuffisance des ressources financières publiques et aux difficultés de financement des dépenses sociales qui sont, certes, de plus en plus coûteuses, mais aussi de plus en plus vitales. Ces difficultés se trouvent aggravées par la démarche néolibérale selon laquelle la priorité est, désormais, accordée, non pas au développement des investissements et à la création des richesses, mais à l’amélioration des indicateurs financiers tels que l’accroissement des réserves en devises, le remboursement des dettes et l’amélioration de la situation de la balance commerciale et de la balance courante. Ce choix a inévitablement un coût économique élevé en termes d’inflation, de chômage et de manque d’approvisionnement du marché intérieur.
A cet égard, il est important de souligner que toute réhabilitation de l’Etat social doit passer nécessairement par la réussite d’un arbitrage intelligent entre les exigences de l’équilibre financier et celles de la croissance économique. L’objectif est d’assurer les équilibres financiers tout en stimulant les investissements et la création des richesses. Mais la question reste posée sur la capacité de l’Etat à stimuler la croissance économique tout en respectant ses engagements financiers.
La loi de finance 2025 propose des mesures destinées à renforcer le rôle social de l’Etat, à savoir:
• Les exonérations fiscales sur les pensions d’invalidité et d’orphelin et sur le revenu des travailleuses agricoles.
• La création de fonds pour assurer les ouvrières agricoles contre les accidents de travail, les maladies professionnelles et la perte d’emploi.
• Le soutien aux jeunes entrepreneurs en leur accordant des lignes de financement.
• L’intégration des personnes à mobilité réduite en mettant à leur disposition des lignes de financement et en révisant en leur faveur la fiscalité concernant les véhicules adaptés aux personnes handicapées.
• L’amélioration du pouvoir d’achat à travers la révision du barème de l’impôt sur le revenu, notamment pour les retraités et les familles à faible revenu.
• Le soutien aux catégories vulnérables en réduisant la TVA sur l’électricité pour les ménages à faible consommation et en leur accordant des prêts sans intérêts.
• L’augmentation des pensions des retraités et du SMIG.
• L’élimination des formes d’emploi précaires.
De telles mesures peuvent-elles permettre une confirmation du rôle social de l’Etat. Dans tous les cas, il est primordial d’opter pour une approche dans laquelle l’Etat assume pleinement son rôle social et ce dans le cadre d’une nouvelle approche concernant le modèle de développement. Une telle approche s’impose du fait qu’il est impossible de concilier les exigences d’un modèle néolibéral avec celles d’un modèle social dont l’objectif primordial est l’amélioration du niveau de vie de la population. En effet, les politiques néolibérales, même si elles génèrent une certaine croissance économique, celle-ci ne profite qu’à une minorité de rentiers, de contrebandiers, de corrompus et de spéculateurs. A cela s’ajoute le fait que ces politiques pratiquent l’exclusion économique et sociale et entraînent toutes sortes d’inégalités sociales et régionales.
Face au bilan accablant du néolibéralisme, l’intervention publique s’avère primordiale et l’Etat social devient porteur d’une véritable révolution dont la réussite passe nécessairement par la lutte contre corruption, la contrebande, le marché parallèle, le blanchiment de l’argent sale et les importations anarchiques. Cette réussite nécessite également la mise en exécution de mesures sociales et économiques audacieuses capables d’améliorer sensiblement le niveau de vie des populations vivant dans la pauvreté et la précarité.
Derrière toutes ces mesures, il y a un ensemble de régulations qui doivent assurer le développement simultané de la sphère économique et de la sphère sociale. En effet, lorsque le domaine économique rencontre des difficultés dues à l’affaiblissement de la demande, c’est la politique sociale qui vient à son secours en lui fournissant une demande accrue et un emploi suffisant. En retour, c’est la croissance économique qui permet d’alimenter la poursuite et la survie de la politique sociale.
Dans tous les cas, ce dont la Tunisie a besoin, c’est un Etat social fort capable de rectifier les abus et les dérapages du marché néolibéral. Autrement dit, ce qu’il faut, c’est moins de néolibéralisme et plus d’Etat social. L’Etat social n’est pas un choix, c’est une obligation.
Mongi Mokadem
Professeur d’économie
1) Ronald Reagan, Discours d’investiture, 20 janvier 1981.
2) Javier Milei, président de l’Argentine, Le Monde, 18 janvier 2024.
3) Cité par Pierre Judet : «Etat et développement: une réflexion en pleine évolution», Grenoble, Décembre 2000.
4) Journal Le Soir, 4 avril 2020
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