News - 04.02.2025

5G, digitalisation, IA, startups et compétences spécialisées: Les grands chantiers du ministre des Technologies de la communication, Sofiane Hemissi

5G, digitalisation, IA, startups et compétences spécialisées: Les grands chantiers du ministre des Technologies de la communication, Sofiane Hemissi

Déploiement des services de communication mobile de la 5e génération, extension de la connectivité le plus largement possible, accélération de la digitalisation des services publics, stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (IA), renforcement des capacités tunisiennes en modèles, datacenters et calculs puissants, accroissement des effectifs spécialisés et soutien aux startups : les défis du secteur des technologies de la communication sont aussi nombreux que stratégiques. S’y ajoutent les questions fondamentales de la gouvernance de l’IA et de la souveraineté digitale.

Dans une interview exclusive à Leaders, le ministre des Technologies de la communication, Sofiane Hemissi n’a éludé aucune question. La Tunisie est fin prête pour le lancement, dès la mi-février, par les 3 opérateurs de télécommunications de leurs offres commerciales pour la 5G, affirme-t-il. Elle sera ainsi le premier pays de l’Afrique du Nord à s’y mettre. Une nouvelle approche favorisera la numérisation des services publics les plus sollicités. L’interopérabilité entre les départements et les organismes publics sera accélérée et de nombreux documents déjà disponibles ne seront plus exigés. Une stratégie nationale pour l’IA sera présentée d’ici fin février. Nous devons mettre au point nos modèles, développer nos datacenters, acquérir des supercalculateurs, et faire de la Tunisie une référence en matière d’IA.

Pour la gouvernance, on opterait plutôt pour la régulation, avec quelques règlements précis nécessaires. Une charte d’utilisation est envisagée.

L’exercice de notre souveraineté nationale en matière de digital et d’IA est essentiel et nous œuvrons, ajoute-t-il, à nous en donner tous les moyens. De nouveaux programmes de formation et de reconversion seront lancés pour renforcer les compétences. Des mesures effectives sont prises en faveur des startups : lancement du Startup Act 2.0, création de «marchés publics innovants» en leur faveur et de nouvelles lignes de financement. Un vaste programme mis en chantier.

Entretien.

5G : Démarrage à partir de mi-février

Les licences attribuées, comment se fera le déploiement des services de 5G ?

Les trois opérateurs de télécommunication sont prêts à lancer la commercialisation de leurs offres 5G à partir de mi-février. La Tunisie est le premier pays en Afrique du Nord à déployer cette technologie pour le grand public, comme pour tous les autres usagers. Cela ouvre de larges perspectives d’avancée dans de nombreux domaines et accroît l’attractivité des investissements extérieurs. Avec un renforcement de la connectivité et la qualité des services, nous améliorerons notre position dans les classements mondiaux.

Comment seront les prix ?

A chaque opérateur sa propre stratégie. Mais nous veillerons à ce que les offres se rapprochent des prix actuellement en vigueur. Nous estimons que le modèle économique se renforcera par l’élargissement du nombre des usages et l’accroissement des volumes de données. La 5G n’est pas une évolution technologique ou un passage de la 3e à la 4e génération, mais un tout autre modèle économique.

Quel est le cœur de cible pour ce premier démarrage ?

La première demande viendra des utilisations domestiques, à l’instar de la fibre optique. La migration de la téléphonie mobile sera progressive. Le parc actuel des smartphones compatibles avec la 5G ne dépasse pas les 10%. Mais, la progression ne tardera pas à se faire.

La politique de la fibre optique sera-t-elle abandonnée ou du moins ralentie ?

Nullement ! Nous menons les deux : le déploiement de la 5G et l’extension de la fibre optique. Aucune technologie ne saurait dans ce domaine tuer l’autre.

Qu’est-ce que vous attendez le plus de la 5G ?

La multiplication des cas d’usage, l’amélioration des utilisations, le développement de solutions à très forte valeur ajoutée qui bénéficient directement au citoyen et à son bien-être, ainsi qu’à l’économie, la santé, le transport, l’énergie et tous les autres secteurs.

Quel secteur sera le premier candidat à l’utilisation de la 5G ?

Celui de la santé, dans un couple mixte avec l’intelligence artificielle. L’e-Health devient une priorité. Des solutions de télémédecine sont très utiles, surtout pour les populations des zones éloignées. Notre défi consiste à garantir la connectivité globale, couvrant équitablement la quasi-totalité du territoire national : c’est un droit pour le citoyen et un devoir de l’Etat.

Quel sera l’impact de la 5G sur l’écosystème ?

Très bénéfique. Les startups constituent les premiers producteurs d’applications grand public. Nombreuses parmi elles travaillent actuellement sur la santé, l’agriculture de précision, la fintech, et autres. C’est une bonne opportunité qui s’offre à elles pour concevoir des solutions appropriées aux demandes effectives. Le gaming est, avec le streaming, le premier secteur rentable pour les startups. Ils seront appelés à se développer eux aussi.

Digitalisation : Priorité immédiate aux projets à haute valeur ajoutée pour les citoyens

Où en sommes-nous en termes de digitalisation ? Les défis se multiplient, surtout par rapport aux attentes des citoyens et des entreprises vis-à-vis des services gouvernementaux ?

Le problème majeur, c’est que la digitalisation dans les services publics a souvent été conçue comme une couche supérieure à ajouter à la réforme administrative dans un débat non résolu : on réforme d’abord, ou on commence par digitaliser ? La décision est prise : les deux ensemble ! A la fois simplification des procédures et numérisation, en y allant activement. Les projets de numérisation sont en fait des projets de transformation de l’organisation, ce qui exige une longue haleine et une stabilité du management. La forte rotation des dirigeants d’organismes et établissements publics, au cours de la décennie précédente, l’a pénalisé. Tout comme le manque de ressources spécialisées dans le secteur public.

Nous manquons de talents capables de conduire de grands projets. On arrive à identifier les projets, à mobiliser les financements, mais les compétences de haut niveau ne sont pas toujours disponibles en nombre suffisant.

Un plan d’action adopté en Conseil ministériel le 24 novembre dernier comprend de nombreuses mesures effectives. Nous allons commencer par la digitalisation des services publics les plus demandés par les citoyens et travailler de manière progressive, renonçant à la pratique du tout ou rien. Les services seront regroupés dans un même portail, facilement accessible.

Nous œuvrons également à la généralisation et à l’accélération des services d’interopérabilité permettant les échanges entre les différents organismes. Un projet de décret a été élaboré dans ce sens interdisant par ailleurs toute demande d’un document déjà disponible dans les bases et registres publics, comme par exemple l’extrait de naissance ou autres, et ce, dans le respect de la protection des données personnelles.

Nous nous attelons à réformer et à réviser en profondeur le système de légalisation de signature et la copie conforme des documents, qui seront limités dans une liste restreinte « négative » exigée par les services administratifs. Avec les ministères de l’Education et de l’Enseignement supérieur, l’interopérabilité permettra d’accéder directement aux registres de diplômes.

IA : Une stratégie nationale sera présentée fin février

L’IA connaît un développement spectaculaire. La majorité des pays s’y préparent avec des stratégies nationales, des plans d’action sectoriels et des projets budgétisés. Où en sommes-nous ?

Il y a des initiatives et des projets pilotes qui méritent attention. Nous sommes sur le point de finaliser une stratégie nationale pour le développement de l’IA. Une première version a été mise en concertation avec des experts tunisiens et près de 30 Tunisiens établis à l’étranger, experts dans ce domaine. Sur la base de leurs commentaires et enrichissements, une deuxième version sera soumise mi-février à diverses parties (universités, chercheurs, écosystème, secteur privé, administration publique, etc.) pour recueillir leurs avis.

Quels sont les fondements de cette stratégie ?

D’abord les piliers communément mentionnés dans les divers documents de l’ONU, de l’IUT et d’autres instances, mais en tenant compte de nos besoins, de nos capacités, de nos valeurs et usages. Il s’agit pour nous de développer l’écosystème, d’envisager un cadre légal qui protège les utilisateurs, de développer les compétences, tant pour produire que pour utiliser, de définir la gouvernance et de renforcer l’infrastructure.

Quels sont les besoins en infrastructure ?

Dans l’ensemble, la partie infrastructure est prête. Les datacenters sont à multiplier et à développer. Ce qui manque le plus, c’est la puissance de calcul, avec des supercalculateurs. Des projets existent au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, mais nous devons aller encore plus loin et nous doter de supercalculateurs. Ils seront mis à la disposition des chercheurs, des développeurs, du secteur privé, de l’administration et autres usagers.

Et pour les datas ?

Deux problèmes majeurs se posent : l’accès aux données publiques (autres que stratégiques, et dans la protection des données personnelles et des droits de la propriété) et la fiabilisation des données. Données non fiables, c’est des résultats non fiables. Les défis sont multiples : garder les données hébergées en Tunisie, ce qui relève de notre souveraineté nationale, créer un modèle IA tunisien qui garantit cette souveraineté et respecte nos valeurs et notre société.

Notre préoccupation majeure est que l’IA soit au service du citoyen et de l’humain. La rentabilité économique est certes nécessaire, mais ne saurait constituer l’unique objectif.

Gouvernance : Nous opterons plutôt pour la régulation

Comment se passera la gouvernance de l’IA en Tunisie ?

C’est un débat entre réglementation et régulation. La tendance actuelle est à la régulation, en réservant quelques règlements à des questions très précises, l’ensemble dans le respect des droits de propriété et des données personnelles.

Nous nous orientons vers la régulation et cherchons un régulateur pour les datas, en désignant une structure de régulation pour l’utilisation. Nous réfléchissons à l’élaboration d’une charte d’utilisation, avec quelques règlements spécifiques, tout en restant prudent. Nous prenons garde de ne pas mettre d’obstacles pour la recherche et l’innovation. Cette démarche, nous l’inscrivons dans une réflexion globale qui veillera à ne pas créer de nouvelles structures, mais reconfigurer les missions de certaines existantes.

Nous envisageons par ailleurs la mise en place d’un centre d’excellence en IA devant servir de laboratoire pour les demandes et les productions, en collaboration avec l’écosystème, les pôles technologiques, etc.

Souveraineté digitale : Nous approprier pleinement notre décision

Comment la Tunisie compte renforcer sa souveraineté ?

L’exercice de notre souveraineté porte sur la protection de nos données, de nos ressources et de notre territoire. Nos deux lois en matière de cybersécurité et de cybercriminalité y concourent. Une donne majeure s’impose: l’appropriation de la décision. Notre souveraineté digitale repose sur un triangle bien défini : développer des modèles qui respectent notre société, nos convictions, notre langue et notre mode de vie ; s’approprier nos données publiques, les gérer à l’échelle nationale, et, pour les traiter, disposer d’une grande puissance de calcul que nous maîtrisons.

Former, reconvertir, certifier…

Les compétences tunisiennes dans le digital sont de plus en plus reconnues et prisées à l’international. Comment la Tunisie envisage-t-elle de répondre à cet appel d’air de l’étranger pour garantir la conduite de ces projets nationaux dans le digital et le développement d’un secteur à forte valeur ajoutée ?

Notre démarche s’articule sur divers niveaux. Nous tâchons de compter sur les compétences tunisiennes installées à l’étranger, en les mettant en réseau et en sollicitant leurs contributions. Les échanges à distance facilitent cette collaboration. Leurs réponses ont été aussi promptes qu’enthousiastes et enrichissantes, comme c’est le cas tout récemment dans l’élaboration de la stratégie nationale de l’IA.

De plus, nous œuvrons en collaboration avec le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle à mettre en œuvre une série de programmes adéquats : certification des compétences, reconversion professionnelle de diplômés dans des spécialités autres que digitales en leur offrant une formation complémentaire et autres.

Pour l’Administration publique, un programme sera lancé avec l’ENA pour la formation des compétences et la reconversion en vue de conduire de grands projets. Nous nous sommes également rapprochés du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique afin de multiplier le nombre de diplômés dans les différentes spécialités requises.

Financement des startups : Vers un Startup Act 2.0 et de nouvelles mesures

Beaucoup de ces startups ont des difficultés à faire valoir leurs compétences et innovations localement pour conquérir les marchés étrangers. Certaines peinent à obtenir un financement pour accompagner leur développement. Quelles réponses sont prévues face à ces attentes ?

Le grand défi pour chaque startup est de décrocher un premier client, avec un bon produit qui répond à ses besoins effectifs et recueille sa satisfaction. Le chemin est long et peu facile à emprunter avec succès. D’où, comme partout dans le monde, un taux de mortalité de près de 80%. Les success stories tunisiennes sont impressionnantes. Le grand obstacle demeure l’accès au financement, l’accompagnement et le développement en collaboration avec l’utilisateur.  
De nouvelles mesures sont envisagées. Le Startup Act a été utile. Nous comptons le renforcer en lançant un Startup Act 2.0, avec de multiples lignes de crédit et en favorisant l’accès au financement.

Nous mettons en place un cadre de marchés publics innovants réservés aux startups et leur permettons de bénéficier de procédures assouplis, de collaboration avec les acheteurs publics et de paiements rapides. Nous souhaitons en effet que les utilisateurs publics s’impliquent avec les développeurs dès la conception du projet et les accompagnent jusqu’à son appropriation et son déploiement. C’est une nouvelle approche qui sera mutuellement bénéfique.
Nous invitons le secteur financier et bancaire à prendre plus de risque si nécessaire et soutenir davantage les startups et l’ensemble des développeurs et producteurs de solutions digitales, en leur apportant le financement approprié.

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