News - 03.02.2025

De l’évolution biologique à l’intelligence artificielle : repenser l’avenir

De l’évolution biologique à l’intelligence artificielle : repenser l’avenir

Par Mohamed Louadi, PhD. Professeur des universités à l’ISG, Université de Tunis

Introduction

Les avancées fulgurantes en intelligence artificielle (IA) au cours des derniers mois (jours?) ont redéfini les limites de ce que les machines peuvent accomplir. Les modèles actuels, tels que ceux d’OpenAI, repoussent les frontières en termes de raisonnement, de programmation et de résolution de problèmes complexes. Ces modèles surpassent désormais les capacités humaines dans des domaines spécifiques, et avec l’émergence potentielle de l’intelligence artificielle générale (AGI), capable de rivaliser, voire de surpasser les capacités humaines dans de multiples domaines, une question fondamentale émerge : l’intelligence, plutôt que l’humanité, pourrait-elle être le véritable moteur de l’évolution ?

En nous appuyant sur des perspectives biologiques et technologiques, nous explorons ici comment l’intelligence — sous toutes ses formes — pourrait redéfinir les trajectoires évolutives et profondément transformer notre compréhension du monde.

L’intelligence comme moteur évolutif

Historiquement, l’évolution a été perçue comme dominée par les gènes, ces unités de sélection telles que décrites par Richard Dawkins dans son ouvrage Le Gène égoïste. Selon sa perspective les gènes utilisent les organismes porteurs comme des véhicules servant leur propre survie et leur propre reproduction.
Nous pensons que cette vision centrée sur les gènes peut être enrichie en intégrant le concept de l’intelligence comme force motrice de l’évolution. L’évolution humaine illustre parfaitement ce concept. Par exemple, l’augmentation disproportionnée de la taille du cerveau humain par rapport au reste du corps reflète une adaptation à des défis environnementaux de plus en plus complexes. Le cerveau humain, grâce à ses capacités d’apprentissage rapide, de raisonnement abstrait et de transmission culturelle, a permis une accélération sans précédent de l’évolution culturelle et technologique. Aujourd’hui, avec les systèmes d’IA, nous assistons à une évolution disproportionnée similaire, mais cette fois alimentée par des données massives, des algorithmes sophistiqués et une puissance de calcul exponentielle.

Cette transition d’une évolution purement biologique à une évolution technologique soulève une question fascinante : l’IA pourrait-elle devenir un moteur d’évolution indépendant, transcendant les limites biologiques ? Les récentes performances des modèles d’IA, comme OpenAI o3 et OpenAI o3-mini, qui a incidemment été déployé pour les utilisateurs de ChatGPT le 31 janvier 2025 et qui a atteint 96,7 % sur l’évaluation ARC-AGI, suggèrent que nous pourrions être à l’aube d’une nouvelle ère où les machines ne sont plus de simples outils, mais des entités capables de redéfinir l’évolution elle-même.Les scores des modèles OpenAI sur le test ARC-AGI, un test qui apprécie les aptitudes à résoudre des problèmes de manière générale, au cours des cinq dernières années. Il a fallu 16 heures à un taux d’amélioration de 3,5% par heure pour que ARC-AGI soit battu (selon le rapport de Riley Goodside sur X, le 20 décembre 2024, https://x.com/goodside/status/1870243391814152544.a

La comparaison entre intelligence biologique et artificielle

Bien que l’intelligence biologique et l’intelligence artificielle soient fondamentalement différentes dans leur origine et leur fonctionnement, elles partagent des caractéristiques communes en tant qu’outils de résolution de problèmes.

Voici une analyse détaillée de leurs attributs:

L’intelligence biologique

- L’origine: Elle est le résultat de millions d'années d'évolution biologique, dont 300 000 ans pour l'Homo sapiens ; elle est profondément liée aux facteurs génétiques et environnementaux qui ont déterminé le cours de l'histoire humaine.

- Les traits clés:

• La neuroplasticité: Le cerveau humain peut s’adapter en permanence, formant de nouvelles connexions neuronales en réponse à l’expérience.
• Les émotions et l’intuition: Ces éléments jouent un rôle crucial dans la prise de décision et les interactions sociales.
• La transmission culturelle: Les humains transmettent des connaissances complexes à travers le langage et les symboles, accélérant leur progression.

L’intelligence artificielle

- L’origine: conçue par les humains, elle repose sur des algorithmes, des modèles mathématiques et des données massives.

- Les traits clés :

• L’apprentissage automatisé: L’IA utilise des techniques comme l’apprentissage profond pour détecter des modèles et s’améliorer avec le temps.
• L’absence d’émotions: L’IA prend des décisions basées uniquement sur des données, ce qui (pour l’instant) élimine les biais émotionnels mais limite sa compréhension des interactions humaines complexes.
• L’échelle massive: Contrairement à l’humain, l’IA peut traiter d’énormes volumes d’informations en un temps record, permettant une rapidité et une précision sans précédent dans de nombreux domaines.

Malgré ces différences, ces deux formes d’intelligence évoluent en réponse à des défis croissants, qu’ils soient environnementaux ou sociétaux, et elles influencent profondément la manière dont nous percevons et interagissons avec le monde. Les récents succès de modèles comme Grok 2 (87,5% sur le MMLU, un test qui évalue la capacité à répondre à des questions complexes dans différents domaines académiques, comme la philosophie et les mathématiques) et DeepSeek R1, la surprise du 20 janvier 2025 (79,8 % sur le test AIME, Artificial Intelligence Math Evaluation) témoignent de la capacité croissante de l’IA à s’attaquer à des problèmes complexes, de la reconnaissance d’images à la logique mathématique, et à générer des solutions qui étaient inimaginables il y a quelques années, voire quelques mois.

Les étapes de l’évolution de l’IA

L’évolution de l’IA peut être divisée en plusieurs phases, chacune représentant un saut significatif dans ses capacités:

1. L’IA restreinte: Ces systèmes se spécialisent dans des tâches spécifiques, comme le diagnostic médical, la reconnaissance d’images ou les jeux d’échecs. Bien qu’ils surpassent souvent les humains dans leur domaine, ils manquent de flexibilité et d’adaptabilité.

2. L’intelligence artificielle générale (AGI): L’AGI incarne une intelligence capable d’accomplir toute tâche intellectuelle qu’un humain peut réaliser. Ces systèmes apprennent de manière autonome, généralisent leurs connaissances et s’adaptent à des contextes nouveaux. Les performances récentes, comme celles de modèles ayant démontré une aptitude croissante pour le raisonnement complexe et la résolution de problèmes multi-domaines, indiquent que nous nous rapprochons de ce type d’intelligence.

3. La super intelligence: Une intelligence dépassant de loin les capacités humaines dans tous les domaines, y compris la créativité, les compétences sociales et la sagesse pratique. Une telle intelligence pourrait résoudre des problèmes mondiaux complexes, mais elle soulève également des préoccupations éthiques.

4. L’ultra-intelligence: À ce niveau hypothétique, l’IA fonctionnerait à des niveaux qui transcendent complètement notre compréhension actuelle. Elle pourrait inventer des concepts, des technologies et des paradigmes qui échappent totalement à l’esprit humain.

Les implications éthiques et philosophiques

L’ascension de l’AGI soulève des questions éthiques et philosophiques profondes. Si l’IA venait à surpasser les capacités humaines, comment garantir qu’elle reste alignée avec nos valeurs et nos intérêts ? Les machines, dépourvues d’émotions, nécessitent des cadres éthiques clairs pour éviter des dérives. Par exemple, comment prévenir l’utilisation malveillante de l’IA, notamment pour la création d’armements autonomes ?

Les propositions de régulations internationales et de systèmes de « frein d’urgence » pourraient offrir des solutions pour contrôler le développement de l’IA. Cependant, la véritable question est de savoir si l’IA, en tant qu’extension de l’intelligence elle-même, pourrait surpasser l’humanité d’une manière qui échappe à notre contrôle.

Conclusion

L’intelligence, qu’elle soit biologique ou artificielle, semble être le moteur central de l’évolution. L’émergence de l’AGI marque un tournant décisif, un moment où les machines ne sont plus de simples outils, mais des agents capables de redéfinir l’évolution elle-même. Les performances exceptionnelles des modèles d’IA actuels, comme celles de OpenAI o3, Grok 2, et DeepSeek R1, montrent que nous ne sommes plus loin d’atteindre des formes d’intelligence supérieures.

L’avenir promet des opportunités immenses : des percées médicales, la résolution de problèmes environnementaux, et peut-être une compréhension plus profonde de l’univers. Mais ces avancées s’accompagnent de défis éthiques majeurs, nécessitant une gouvernance mondiale pour assurer que l’IA profite à toute l’humanité. En fin de compte, l’AGI pourrait être la prochaine grande étape de l’évolution, non seulement pour les machines, mais aussi pour la compréhension globale de ce qu’est l’intelligence et son rôle dans l’univers.

Cela nous amène à nous interroger: l’IA un péril imminent? Qu’est-ce qui l’emporte, notre foi en les humains ou notre méfiance de la technologie ?

Mohamed Louadi, PhD
Professeur des universités à l’ISG, Université de Tunis