Amina Ben Damir: Cinq beaux récits
Par Béchir Garbouj - Cinq échappées, qui vient de paraître chez Arabesques, est le premier recueil de nouvelles d’Amina Ben Damir. Je dis le premier parce que j’en espère d’autres, au vu des promesses que font entrevoir ces récits qui frappent par leur vivacité, l’évocation des jeunes années parisiennes, la subtile dramatisation d’impalpables menaces. Une jeune fille marche au milieu du périphérique, au risque de se faire écraser en provoquant un carambolage. Elle marche, non comme une somnambule ou une personne décidée à en finir avec la vie, mais comme un être animé d’une détermination plus forte que la mort. Nous sommes dans le Paris des années 70 ou 80 du siècle dernier, et elles sont quelques étudiantes tunisiennes venues entamer ou compléter un cursus ; elles sont jolies, studieuses, avides de puiser aux plaisirs de la vie ; en même temps, elles ont gardé une part d’innocence et une certaine idée de leur dignité. L’innocence vous perd, la dignité vous sauve, à l’instant où tout semble se dérober. Revenons à cette jeune créature égarée au milieu d’un vertige de voitures, son histoire peut servir de fil conducteur pour la suite du recueil. Paris, on le sait, est le lieu des grandes réjouissances mais aussi des périls les mieux dissimulés, ceux que représentent, en l’occurrence, les prédateurs qui avancent derrière le masque de l’amitié ou de la convivialité. Tout se passe d’abord pour le mieux, au cours des soirées ou des sorties auxquelles participent ces jeunes étudiantes, on vous entoure, on vous fait fête, la vie s’ouvre à vous, et c’est au moment où vous commencez à baisser la garde que pointe la menace. La proie découvre, au dernier moment, que la fête n’était qu’un prélude à l’instant où elle va être immolée au désir de la brute grimée en hôte bienveillant. Au moins quatre sur les cinq récits – courts mais intenses – que nous offre le recueil obéissent à ce même schéma: d’abord la découverte de la Ville Lumière – «‘’ elle’’ aimait Paris, et Paris le lui rendait, émerveillée, elle allait à sa rencontre» – ; ensuite, l’instant où tout bascule, où la ville vous révèle soudain sa face lugubre ; enfin, la fuite éperdue dans la nuit. La chance de ces jeunes innocentes est qu’il y a, à chaque fois, au dernier moment, un éveil de l’instinct – ou, à défaut, le réflexe d’une amie moins ingénue – qui vous retient au bord de l’abîme. Il ne reste dès lors qu’à prendre la fuite. Mais ce n’est jamais simple: nous avons vu la silhouette féminine au milieu du périphérique ; nous avons, tout aussi angoissante, cette fin de nuit de la jeune fille prise au piège d’une station de métro dont les issues venaient de se fermer– avec la séquence (éminemment modianesque) où, impuissante, elle voit passer un train fantôme; nous avons également, autre moment de détresse, cette victime que le hasard a jetée au cœur d’un sombre lupanar où elle se heurte au visage obscène de la ville.
Il y a une part de nostalgie (et beaucoup de fraîcheur) dans ce retour par la fiction aux belles années estudiantines. Il y a aussi une suggestion féministe dans l’image de la belle brusquement confrontée à la bête tapie dans l’ombre. Mais l’essentiel réside, me semble-t-il, dans le passage des lumières de la ville aux menaces qu’elle recèle où l’auteure révèle une étonnante maîtrise dans la dramatisation de menaces qui naissent de façon imperceptible et finissent par induire l’oppression.
Cinq échappées d’Amina Ben Damir, un premier recueil de nouvelles captivantes et, à maints égards, abouties. Une belle découverte à faire.
Béchir Garbouj
Cinq échappées
d’Amina Ben Damir
Editions Arabesques, 2024, 15 DT
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