News - 11.08.2024

Ridha Bergaoui: Peut-on cultiver le maïs et réduire nos importations ?

Ridha Bergaoui: Peut-on cultiver le maïs et réduire nos importations ?

Avec le réchauffement climatique, la sécheresse et le manque de pluie, les ressources fourragères se rétrécissent de plus en plus. Près du tiers des besoins du cheptel est importé sous forme de composants destinés à produire des concentrés (maïs, soja et orge). On fabrique plus de 2,3 millions de tonnes d’aliments concentrés par an dont 60% destinés à la volaille et 40% aux ruminants. Nous importons chaque année plus d’un million de tonnes de maïs et 650 000 tonnes de soja. La quantité importée est encore beaucoup plus importante en période de sécheresse pour combler le déficit fourrager.

Avantages et inconvénients du maïs

La culture du maïs est pratiquée depuis des millénaires et constitue l’alimentation de base de nombreuses populations d’Amérique du Sud. Le maïs est la première céréale cultivée dans le monde devant le blé et le riz. Il est cultivé dans des conditions très variées sur tous les continents. Il est adapté aussi bien à la petite agriculture qu’à la culture intensive, ultramécanisée.
Il est essentiellement utilisé pour l’alimentation animale sous forme de maïs grain ou d’ensilage. En alimentation humaine, il sert à la fabrication de la semoule exempte de gluten, de l’amidon et l’extraction de l’huile de cuisine. Certaines variétés sont utilisées pour fabriquer du popcorn, d’autres permettent d’avoir du maïs en boîte souvent utilisé en salades. On peut le fermenter pour avoir de l’alcool, du bioéthanol ou du biogaz.Parmi ses inconvénients, on peut citer tout d’abord son besoin élevé en eau, surtout autour de la période de floraison (avant et après) où les besoins en eau sont maximums. Tout apport insuffisant se traduit par une baisse sensible du rendement de la culture. Le maïs préfère les sols fertiles, profonds, à texture fine et bien drainés. Des sols riches en humus, bien amendés avec une bonne fertilisation de préférence organique avec du fumier. Des températures trop élevées (> 50°C) ralentissent la croissance du maïs.

La culture du maïs nécessite du matériel spécialisé allant du semoir au matériel de récolte. Quoiqu’assez résistant, le désherbage et l’utilisation de pesticides spécifiques sont indispensables pour atteindre des performances intéressantes.Les variétés les plus intéressantes sont généralement hybrides et même génétiquement modifiées (OGM) résistantes contre les herbicides et les insectes ravageurs. Cette culture exige l’importation chaque année des semences nécessaires. Selon le poids de 1 000 graines et la densité envisagée (80 à 100 000 pieds/ha), il faut compter 40 à 50 kg de semence/ha.

Perspectives de développement de la culture du maïs

En Tunisie, la culture du maïs est actuellement très secondaire, négligeable, presque inexistante. Cultiver du maïs à grande échelle et d’une façon intensive permettrait en principe de produire aussi bien de la verdure, qui pourrait être utilisée directement pour les animaux ou conservée sous forme d’ensilage, que du grain nécessaire pour la fabrication des aliments concentrés tant pour la volaille que pour les bovins.

La culture du maïs a été jusqu’ici peu envisagée en Tunisie, principalement en raison de ses besoins élevés en eau, surtout que le maïs est une plante d’été, face à des ressources hydriques limitées. Logiquement, avec le réchauffement climatique et l’aggravation du déficit hydrique, on ne pourrait envisager le développement d’une telle culture trop gourmande en eau.Depuis quelque temps, on parle de plus en plus de grandes réserves d’eau dans le Sud tunisien et certains préconisent l’exploitation de ce gisement qui semble très important pour faire de l’agriculture et produire des produits alimentaires dont la Tunisie a un besoin urgent et important. En effet les études indiquent la présence dans le Sud de deux nappes souterraines profondes (le système aquifère du Sahara septentrional ou SASS). Ces deux nappes, communes avec l’Algérie et la Libye, représentent un véritable gisement d’eau couvrant une superficie de 1 million de km², estimé à 60 000 milliards de m3. La Tunisie bénéficie de 8% de ce plan continental, soit 542 millions de m3/an représentant 24,3% des réserves. L’Algérie est autorisée à exploiter 1 328 millions de m3/an et la Libye 340 millions de m3/an. Malheureusement, ces réserves, qui ont mis des milliers d’années pour se former, semblent non renouvelables ou plutôt très peu renouvelables.En Tunisie, ces nappes sont d’une façon générale, peu exploitées.Cette année, en collaboration avec l’Institut national des grandes cultures (Ingc), des essais ont été menés par certains agriculteurs pour la culture du blé dur dans la région de Dhehiba, à Tataouine. Les résultats semblent encourageants et les rendements satisfaisants, compte tenu des conditions difficiles de culture. Cette expérience sera élargie l’année prochaine à Médenine et Kébili. Selon Jarahi, directeur général de l’Ingc (La Presse du 15/05/2024), un potentiel de 430 000 ha de culture de blé dur dans le Sud est envisageable. En réalité, le problème n’est pas de savoir s’il est possible de faire pousser du blé ou du maïs dans le désert. La réponse est connue depuis très longtemps et ces deux plantes adorent les climats chauds et secs et peuvent donner d’excellents rendements. Le problème, c’est de savoir comment leur amener une eau de qualité et suffisante nécessaire pour avoir des performances satisfaisantes et rentables.


En Algérie, dès la fin du siècle dernier, l’Etat avait entrepris de développer la céréaliculture à grande échelle en plein désert en exploitant les eaux souterraines et l’irrigation par des rampes-pivots géantes. Blé et maïs (ensilage et grain) sont produits à grande échelle depuis déjà pas mal d’années. Compte tenu de l’importance de cette expérience, nous dressons ci-dessous rapidement les premières conclusions.

Aperçu sur l’expérience algérienne

Afin d’encourager les investisseurs, l’Etat a dû soutenir massivement les investisseurs pour les encourager à venir s’installer dans le Sahara. Ce soutien va de la facilitation de l’acquisition du terrain à la création des infrastructures (sondages hydrauliques profonds, routes, réseaux électriques…) et la fourniture des intrants nécessaires, tout en assurant l’enlèvement de toute la production. La priorité a été donnée aux céréales avec une récolte de blé au mois de juin suivie de la culture du maïs, récolté au mois de novembre-décembre en ensilage, enrubannée dans de gros sacs en plastique, ou en grains. Les rendements semblent intéressants: pouvant aller jusqu’à 70-80 q de blé/ha et 40-50 tonnes de maïs ensilage ou 90 q en grains. De grands cercles verdoyants impressionnants ont ainsi vu le jour en plein milieu du désert qui connaît une mutation extraordinaire, un changement radical et une dynamique intense. Des pivots géants mobiles déversent de l’eau des profondeurs, de gros engins (tracteurs, moissonneuses-batteuses, semi-remorques géantes, pour le transport du blé) labourent durant toute l’année le sol fragile du désert.

Quoiqu’à priori ces résultats semblent prometteurs, ce modèle d’exploitation pose de nombreux problèmes, dont en particulier la durabilité, surtout avec le non-renouvellement de la ressource et la salinisation du sol. Ce modèle est, pour cette raison, qualifié de «minier».Par ailleurs, le coût très élevé de la production, l’indisponibilité des pièces détachées et d’entretien du matériel, les difficultés d’approvisionnement en engrais et autres intrants, l’éloignement des centres de consommation et de transformation, l’absence de routes, la difficulté de trouver la main-d’œuvre en plein Sahara… sont autant de difficultés qui rendent l’exploitation des eaux souterraines difficile et peu rentable malgré l’important soutien de l’Etat.

L’irrigation par pivots entraîne dans un milieu désertique une forte évaporation de l’eau qui, associée à une forte évapotranspiration des plantes, augmente sensiblement les besoins en eau des cultures. Quoique la salinité de l’eau soit variable, l’accumulation du sel, surtout en l’absence de pluie pour le lessivage, rend le sol stérile et oblige les agriculteurs à changer fréquemment d’emplacement pour leurs cultures. Par ailleurs, le sol du désert est essentiellement sablonneux et pauvre en matière organique et l’activité microbienne est très faible.

Enfin, il est difficile dans les conditions climatiques extrêmes du Sahara de pratiquer un élevage intensif, les animaux sélectionnés supportent très mal la chaleur et le stress thermique. Dans ces exploitations, l’ensilage du maïs produit doit être transporté vers les régions du Nord pour être valorisé par les élevages et on ramène du fumier pour améliorer la qualité du sol. Cette logistique revient très cher et représente une source importante de gaz carbonique (CO², un important gaz à effet de serre).

Utilisation prudente des eaux du SASS

Les eaux souterraines du Sud tunisien ont été jusqu’ici exploitées d’une façon modérée. Avec le réchauffement climatique et le manque de pluies, le nombre de forages anarchiques n’a cessé d’augmenter. En quelques endroits, ils sont surexploités, créant un abaissement du niveau des nappes, la salinisation et le tarissement de nombreux points d’eau.

L’exploitation des ressources hydriques du SASS pose de nombreux problèmes et doit se faire avec beaucoup de précaution et d’une façon bien étudiée. Il s’agit de tirer les conclusions de l’expérience algérienne, de voir les effets à moyen et long terme de cette exploitation « minière » d’une ressource non durable (eaux souterraines), dans un milieu naturel désertique, fragile et vulnérable et dans des conditions socioéconomiques très particulières.Des solutions techniques existent comme l’utilisation de l’énergie solaire pour le pompage et l’électricité, la désalinisation de l’eau saumâtre d’irrigation pour éviter l’accumulation du sel dans le sol, l’utilisation des boues des stations d’épuration et des déchets organiques agricoles et agro-alimentaires des oasis pour enrichir le sol en matière organique, le semis direct pour préserver le sol, l’utilisation de systèmes d’économie d’eau comme le goutte-à-goutte apparent ou même enterré, les systèmes d’irrigation intelligents pilotés par ordinateur, le choix judicieux des variétés résistantes au stress thermique et moins exigeantes en eau.

L’installation à grande échelle de cultures intensives comme le blé et le maïs, malgré des rendements ponctuels très séduisants, doit se faire d’une façon bien étudiée et avec une stratégie cohérente. L’Office du développement du Sud et du Sahara, nouvellement créé, ainsi que les organismes de recherche comme l’Institut des régions arides (IRA de Médenine) doivent être fortement impliqués dans cette stratégie visant l’utilisation d’une eau vitale et cruciale afin de garantir la durabilité de cette ressource et la préservation du sol, de l’environnement et de l’écosystème saharien.

En définitive, quoique très séduisante, la culture du maïs en Tunisie ne peut être développée et restera toujours très marginale en raison essentiellement d’un besoin en eau très important, surtout qu’il s’agit d’une culture d’été qui nécessite de grands apports d’eau d’irrigation.Dans le Nord, les ressources hydriques ne cessent de se réduire, et les services du ministère de l’Agriculture interdisent déjà les cultures maraîchères d’été pour pouvoir subvenir aux besoins de la population en eau potable. Les réserves au niveau des barrages sont au plus bas, le rationnement et les coupures d’eau sont fréquents. Les eaux du Sud doivent être utilisées d’une façon prudente. Le modèle algérien est un modèle non durable, non économique et dangereux à moyen et long terme. Il peut se justifier néanmoins du côté de la sécurité et la souveraineté nationales compte tenu du contexte mondial politique et économique instable. Des solutions existent pour exploiter d’une façon intelligente et rationnelle une partie de nos eaux profondes en s’appuyant sur la recherche et les possibilités techniques actuellement disponibles. Valoriser les eaux recyclées, issues des stations d’épuration, pour faire du maïs est également une bonne alternative et un usage rationnel de nos disponibilités hydriques.

Ridha Bergaoui