Pr Amin Makni : Les grands enseignements légués par le Dr Fadhel Samir Fteriche
Un grand chirurgien, doublé d’un illustre fédérateur et inspirateur des équipes médicales qu’il savait mobiliser et dédier aux patients, Fadhel Samir Ftériche, nous quittait subitement le10 mai 2024. L’émotion avait submergé tous ses confrères du Service de chirurgie générale au CHU La Rabta, mais aussi l’ensemble du secteur de la santé. De nombreux témoignages de condoléances et d’hommage ont afflué également de grands hôpitaux en France. En Tunisie, les expressions de compassion et les témoignages de reconnaissance et de considération n’ont cessé de parvenir à ses proches.
Professeur en chirurgie générale, au Service de chirurgie générale au CHU La Rabta, le Pr Amin Makni, également secrétaire général de l’Association Tunisienne de Chirurgie (ATC), collègue et disciple du Dr Fadhel Samir Fteriche, lui rend ci-après un vibrant hommage.
Je te pleure mon cher maître! Est-ce un adieu? ou tout simplement un au revoir?
Je n’ai jamais cessé de raconter cette histoire. L’histoire qui retrace ma relation avec ‘Si Ftériche’, c’est comme ça que je l’appelais depuis le jour de notre première rencontre jusqu’au dernier appel téléphonique que nous avons eu quelques heures avant le traumatisme dont il était victime (et ayant conduit à son décès). A chaque fois j’éprouvais une reconnaissance et une admiration indescriptible, et tout le monde sentait la joie et le bonheur qu’il ressentait en écoutant cette histoire, tel un père fier de son fils ayant accompli une étape importante dans sa vie.
Cette histoire avec ‘Si Ftériche’ a commencé il y a bien longtemps. Le 2 juillet 1997. J’étais en stage d’été après avoir réussi la 1ère année de mes études médicales au service des urgences de l’hôpital la RABTA. Vers 11 heures du matin, je me préparais pour rentrer, et essayer de profiter de mes vacances d’été (amputées de toutes les matinées et ce pour une durée de 30 jours). Soudain, une main venait sur mon épaule… je me retournait… et là je voyais un homme, grand de taille, de tempérament calme, dire avec une voix monotone et inexpressive: tu vas où petit? J’ai dû retourner et lever la tête en sa direction pour répondre en souriant: Je rentre chez moi. Il a enchainé: Tu es de garde aujourd’hui petit. Ma réponse était simple: non, je ne le suis pas selon le tableau. En lançant un petit sourire, il a répliqué : ce n’est pas une question, tu es de garde! vas-y porte une tenue de bloc et rejoins-moi aux urgences. Pour être honnête, j’étais un peu déçu, puisque je voyais tout mon programme tomber à l’eau (déjeuner, sieste, un match de foot avec les amis, une sortie nocturne…). Je me suis dit, ce n’est qu’une garde… Et là, durant cette garde, j’étais l’ombre de ‘SI Ftériche’ entre: les urgences, l’examen clinique des patients qui se présentaient avec des tableaux aigues, la demande d’examens complémentaires, la prise de décision pour opérer les patients, les préparer avant l’acte opératoire et enfin entrer en salle d’opération en assistant en tant que 2ème aide opératoire à 3 interventions chirurgicales l’une qui a duré 30 minutes (une appendicite aigue), la 2ème qui a duré 1h30 (une péritonite par perforation d’ulcère) et la 3ème qui a duré 4h30 minutes (Un cancer du côlon gauche avec nécrose du caecum)… En sortant de la dernière opération, il était 6h30 du matin. D’une voix calme avec la même tonalité que la veille à 11 heures du matin, la même énergie (malgré la nuit blanche) il me disait, on va boire un café à la cafeteria d’en face (à l’institut de neurologie) avec 2 nouveaux assistants en anesthésie réanimation (Qui sont actuellement 2 professeurs et chefs de service : Dr Adel Amous et Dr Chokri Kaddour). En sortant du service des urgences, un infirmier (Samir) de nuits nous a croisé en posant la question à ‘Si Ftériche’, pour le patient que vous venez d’hospitaliser, c’est quoi son programme, docteur ? Avec un air confiant et sûr de lui, Dr Ftériche avait répondu: tu le mets sous antibiotique par voie injectable et on l’installe dans 30 à 60 minutes. Là, je me suis dit: ce chirurgien, cette personne inépuisable, avec cette force mentale (décider d’opérer sans hésitation et sans faiblesse) cette maîtrise technique (opérer, ouvrir des ventres, traiter, fermer des ventres…) des vies sauvées et en plus des connaissances des antibiotiques, leurs voies d’abord, leurs doses! j’étais tout simplement impressionné! Dès lors, les choses étaient plus claires que jamais (moi, un matheux, ayant voulu faire une carrière de mathématicien et se retrouvant par obligation à la faculté de médecine de Tunis) je vais tout faire pour faire Chirurgie !
Ce jour-là qui m’a été amputé de mes vacances était: d’abord, le début d’une relation hiérarchique avec ‘Si Ftériche’ qui est devenu après une dizaine d’année, avec ma réussite au concours d’assistanat en 2007, une relation amicale sincère, Mais aussi le début d’une volonté inébranlable à vouloir faire cette spécialité que j’ai trouvé, je trouve et je trouverais une spécialité extraordinaire!
Depuis 2007 jusqu’au mois d’avril 2024, quelques jours avant son départ, ‘Si Ftériche’ avait le don de nous réunir, une fois par mois, pour manger ensemble, papoter, rigoler et se rappelant à chaque fois de cette anecdote qu’il adorait entendre et que j’adorais raconter: RIP ‘Si Ftériche’
Pr Amin Makni
Professeur en chirurgie générale
Service de chirurgie générale A CHU La Rabta
Secrétaire Général de l’Association Tunisienne de Chirurgie (ATC)
Collègue et disciple du Dr Fadhel Samir Fteriche
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