Selim Kouidhi: L’intelligence artificielle (IA) sera-elle le catalyseur de la prochaine crise financière mondiale ?
Outre la crise économique qui bouleverse le monde entier depuis le Covid 19, la guerre d’Ukraine et plus récemment celle de Gaza, on n’arrête pas de nous avertir sur une menace imminente qui pourrait bouleverser l’humanité entière à savoir celle de l’intelligence artificielle.
Mais au fait qu’est-ce que l’Intelligence artificielle(IA) au juste?
L’intelligence artificielle (IA), est un processus d’imitation de l’intelligence humaine grâce à l’exploitation des systèmes informatiques, des bases de données et des algorithmes.
L’IA repose principalement sur le ‘machine Learning’, dont les programmes sont munis de qualités «humaines» telles que l’apprentissage et l’auto amélioration issues de l’analyse d’une très grande quantité de données et le raisonnement. Ces techniques permettent de dégager des tendances comportementales et de définir des profils types.
Le lancement en novembre 2022 de ChatGPT par OpenAI a marqué un nouveau virage dans de nombreux secteurs. Cette application a eu une croissance sans précédent dans l’histoire d’Internet, le nombre d’utilisateurs ayant rapidement dépassé les 100 millions.
Selon l’International Data Corp, les ventes de logiciels, de matériel et de services liés à l’IA ont atteint 166 milliards de dollars en 2023 et dépasseront 400 milliards de dollars en 2027. En outre, le supercalculateur d’IA de Microsoft et OpenAI «Stargate» coutera 100 Milliards de Dollars. Ces investissements massifs dans l’IA témoignent des nouvelles priorités.
Par ailleurs, les outils qui font appel à l’intelligence artificielle (IA) et leurs utilisateurs sont devenus indispensables pour les institutions financières et les banques centrales du monde entier à l’instar de la solution IBM Watson.
Les dépenses effectuées en matière d’IA dans le secteur financier d’après l’International Data Corp, vont plus que doubler pour atteindre 97 milliards de dollars en 2027.
Dans le secteur financier, les technologies innovantes proposées par l’IA sont utilisées notamment en termes de personnalisation des offres, l’analyse prédictive et la détection de fraudes sont en train de changer la donne.
L’IA est devenu un outil incontournable dans l’optimisation de l’expérience client des banques et la réduction des délais de traitement de certaines demandes.
Avec des plateformes disponibles 24h/24 et 7j/7, qui génèrent plus de réactivité et de pertinence dans les réponses apportées aux demandes des clients permettant aux conseillers de se recentrer sur une relation plus personnalisée avec leurs clients, basée sur l’écoute, le conseil et l’efficacité. A ce titre, les principaux outils offerts par l’IA dans la gestion de la relation clients des banques sont:
• Les callbots, assistants vocaux, dialoguent par téléphone avec un client et sont basés sur un scénario de discussion préalablement programmé par les équipes métier.
• Les chatbots, robots de discussion virtuels, interagissent avec les clients sur le site web ou l’application mobile de l’établissement financier.
• Le messagingbot, communique via des applications de messagerie comme WhatsApp ou Messenger.
• Le Overflowbot quant à lui, prend en charge les appels non décrochés.
En outre, les outils d’IA sont capables de traiter et de contrôler les documents bancaires rapidement et d’une manière sécurisé notamment pour les virements bancaires, l’envoie de chéquier et le traitement des demandes de cartes de crédit.
Les banques centrales, qui sont par nature plus prudentes, apprennent à utiliser l’IA dans un tout autre contexte et à évaluer les risques qu’elle peut représenter.
L’utilité de l’IA a été démontrée pour diverses fonctions des banques centrales, telles que le contrôle. En 2023, la Reserve Bank of India a fait appel aux sociétés de conseil Accenture et McKinsey pour l’intégration de l’IA et des analyses connexes dans ses activités de contrôle. Quant à la banque centrale du Brésil, elle a construit un prototype de robot pour télécharger les plaintes des consommateurs concernant les institutions financières et les classer grâce à l’apprentissage systématique.
La Banque centrale européenne (BCE) quant à elle, utilise l’IA entre autres pour le classement automatisé des données de 10 millions d’entités privées et publiques, et le suivi en temps réel des prix des produits affichés sur le Web. Cette technologie aide également les contrôleurs bancaires à extraire et à analyser des articles de presse, des rapports de contrôle et des rapports de société.
Par ailleurs, selon le comité de Bâle, l’IA pourrait accroitre l’efficacité des décisions de crédit et de la lutte contre le blanchiment de capitaux. En effet, l’IA permet d’analyser en direct les transactions financières et donc de détecter des fraudes et des anomalies. Elle peut aussi être utilisée en cyber sécurité pour sécuriser les transactions bancaires.
Quant à la bourse et les marchés financiers, ils sont aussi touchés par l’intelligence artificielle, avec les trading bots aussi appelés Expert Advisor (EA). Ces outils permettent d’analyser les millions de données disponibles chaque jour sur internet et en tirent des conclusions stratégiques, des prévisions sur les tendances de marché et de réagir plus rapidement que les humains sur ces marchés. Les trading bots sont même capables de passer des ordres d’achat ou de vente de façon automatisée.
En effet, l’utilisation de l’IA se généralise bel et bien au sein des principales sociétés d’investissement. A titre d’exemple, BlackRock et JP Morgan Chase ont leurs propres groupes de recherche dans le domaine de l’IA, et des représentants de Fidelity et de Goldman Sachs ont fait des déclarations reconnaissant l’utilisation potentielle de l’IA dans la gestion d’actifs.
Pour les investisseurs particuliers, et d’après une étude réalisée par la plate-forme de courtage eToro, un investisseur sur dix utilise l’IA générative, comme ChatGPT. En dépit des risques 61 % de personnes qui se servent déjà de ChatGPT , n’hésiteraient pas à laisser un chabot réaliser des transactions à leur place.
Toutefois, le recours massif à l’IA dans un secteur aussi sensible que la finance est-il exempt de risques?
Les risques liés à la généralisation de l’utilisation de l’IA sont multiples. En effet, les principaux risque sont la sécurité informatique comme la recherche de mots de passe à partir des archives de mots de passe précédents et la prise de décisions sur la base d’informations erronées; «fake» sur internet ou données non mises à jour.
Par ailleurs, lorsque des décisions sont prises de façon automatisée à grande échelle par des algorithmes qui vont obéir, relativement, aux mêmes règles de déduction peut par exemple engendrer même une déstabilisation des marchés financiers s’il n’y a plus d’intervention humaine pour freiner et stopper le processus.
L’IA pourrait finir par «accroître la fragilité financière» de l’économie en assistant les particuliers et les institutions. Tous ces acteurs individuels risquent de prendre «des décisions similaires parce qu’ils reçoivent le même signal d’un modèle de base ou d’un agrégateur de données».
Pour Gary Gensler, président de la SEC (Securities and Exchange Commission) des États-Unis, l’IA pourrait provoquer la prochaine crise financière «la crise de 2027 ou 2032».
Les risques qu’elle fait peser sur la stabilité financière exigent «une nouvelle réflexion sur les interventions systémiques», a-t-il déclaré à la presse en juillet 2023. En effet, selon Gensler l’IA peut accroître la fragilité financière, car elle pourrait favoriser un comportement moutonnier, les acteurs prenant des décisions similaires parce qu’ils reçoivent le même signal d’un modèle de base ou d’un agrégateur.
Concrètement, Gensler redoute que les sociétés, dont de grands acteurs de la finance, n’aient pas beaucoup de choix dans les années à venir et la plupart des entités finiront par se tourner sur un modèle d’IA dominant ou un autre, comme ChatGPT, Google Bard ou Claude par exemple.
Ainsi, la plupart des institutions financières pourraient prendre de mauvaises décisions lorsque ces modèles linguistiques finiront par générer de fausses informations ou des approximations préjudiciables. Les erreurs des IA provoqueront alors une réaction en chaîne lors de laquelle les mauvais investissements vont se multiplier. Au bout du compte, les erreurs de gestion généreront une crise financière massive.
Selon Anselm Küsters, chef du département de la numérisation et des nouvelles technologies au Centre pour la politique européenne de Berlin ,l’IA pourrait provoquer une «polycrise».
En effet, M. Küsters prédit que l’utilisation accrue des applications opaques de l’IA «crée de nouveaux risques systémiques», parce qu’elles peuvent rapidement amplifier les chaînes de réaction négatives.
Face à ces risques accrus, les dirigeants des banques et les gouvernements sont confrontés à ces questions posées par l’évolution rapide de la technologie.
Face à ces signaux, et conscient des risques potentiels du recours à l’IA, plusieurs organes de régulations ont déjà commencé à adopter des mesures préventives. A cet effet, la SEC a commencé à réclamer des informations et des données aux principales sociétés d’investissement afin d’élaborer une réglementation sur l’utilisation de l’IA à Wall Street.
En outre, un accord a été conclu sur la sécurité de l’intelligence artificielle lors du sommet mondial qui s’est tenu en Novembre 2023 au Royaume uni.
L’accord a été signé par des entreprises et des représentants de 28 pays, dont les États-Unis, la Chine et l'Union européenne. Il vise à lutter contre les risques liés aux modèles d'IA dits "pionniers" et à identifier les "risques de sécurité de l'IA d'intérêt commun" et à élaborer des "politiques respectives basées sur les risques dans les différents pays".
Par ailleurs, l’union européenne a voté en Mars 2024 en faveur de l’adoption de l’AI Act qui est un cadre juridique en matière d’IA. L’objectif de cette réglementation est de promouvoir une IA digne de confiance en Europe et au-delà, en veillant à l’IA respecte la sécurité et les principes éthiques.
Ainsi, il est indéniable que l'intelligence artificielle redessine les frontières du secteur financier avec une vitesse fulgurante.
La transition vers l’automatisation doit être savamment maîtrisée ainsi l’IA doit toujours s’appuyer sur la capacité d’analyse de l’être humain, sa faculté d’adaptation aux situations et sa volonté de bien gérer son développement.
La maitrise de l’IA est indispensable afin d’éviter les abus de tout genre.
Toutefois, qu’en est-il de la Tunisie ?Quelles sont les utilisations actuelles de l’IA dans le secteur financier Tunisiens ? En l’occurrence, quelles sont les mesures qui ont été adoptées pour limiter les risques liés à l’utilisation de l’IA dans le secteur financier en Tunisie ? Ou somme-nous contraints à s’enfoncer encore plus dans les abimes d’une récession économique qui risque hélas de durer encore des années ?
Selim Kouidhi
Expert-comptable
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