News - 15.04.2024

Tunisie: Avec le réchauffement climatique, préserver la santé de nos plantes est primordial

Tunisie: Avec le réchauffement climatique, préserver la santé de nos plantes est primordial

Par Ridha Bergaoui - En ce début du XXIe siècle, l’objectif principal de l’agriculture est de nourrir une population de plus nombreuse. Il devient important d’assurer au consommateur, une alimentation diversifiée, suffisante et au moindre cout.

Malheureusement, le réchauffement climatique, avec ses phénomènes météorologiques extrêmes et plus particulièrement la sécheresse, conduit à une diminution des disponibilités hydriques et limite la production agricole. Par ailleurs, une partie importante de la production est perdue, lors de la récolte et le transport, et gaspillée au niveau du consommateur. Une partie non moins négligeable est directement prélevée par les maladies diverses et les insectes qui ravagent les cultures. La FAO estime qu’entre 20 et 40% de la production agricole mondiale est détruite chaque année par les parasites, dont le tiers par les insectes ravageurs.

Changement climatique et maladies des plantes

Les agents pathogènes et parasites des plantes sont très nombreux et très divers comme les bactéries, champignons, insectes, acariens, nématodes, virus… Le réchauffement climatique favorise la croissance de ces agresseurs, améliore leur prolificité et augmente le nombre de générations/an. Il rallonge la durée de la saison favorable de croissance et de reproduction de ces agresseurs. Il entraine également la migration de ces organismes vers des zones autrefois plus froides et moins favorables. Associée à de l’humidité, la chaleur accélère la multiplication des pathogènes et le développement rapide des maladies.Au contraire, les plantes, exposées aux stress thermique et hydrique, sont fragilisées et résistent beaucoup moins bien à ces attaques. La multiplication de ces bioagresseurs phytophages va entrainer une augmentation des dégâts et des pertes agricoles. Sachant que ces agresseurs ont une formidable capacité d’adaptation et en l’absence de prédateurs naturels, ils deviennent envahissants et difficiles à combattre.

La globalisation: une menace pour l’agriculture

Les phytoravageurs ne connaissent pas de frontières, peuvent se déplacer très rapidement et envahir de nouvelles zones géographiques. Les maladies ont fortement augmenté ces dernières années avec la mondialisation des échanges, l’amélioration de la logistique et l’augmentation de la mobilité des personnes. Des plants ou parfois des fruits, légumes, graines, racines peuvent être introduits par certaines personnes, pour de nombreuses raisons parfois tout simplement à titre de souvenir (article artisanal ou produit de terroir), et se révéler par la suite porteurs de parasites et à l’origine d’infection. Ces ravageurs, qui sont capables de s’adapter et s’acclimater rapidement, vont se multiplier et commettre des dégâts importants surtout que ces ennemis sont importés et n’ont généralement pas de prédateurs locaux.

Cette importation est normalement interdite et les agents du contrôle aux frontières sont sensés empêcher l’introduction de matériel végétal étranger d’une façon anarchique. Toutefois il y a toujours moyen de tromper la vigilance des contrôleurs ou d’importer illégalement par voix de contrebande. Le proverbe tunisien l’exprime bien, « le voleur triomphe du veilleur » (« اللي يسرق يغلب من يحاحي »).

En effet, la Tunisie connait, depuis quelques années, de nouvelles pathologies graves introduites d’une façon accidentelle et maladroite.  On peut citer ici quelques exemples plus ou moins récents et pour lesquels la situation est actuellement bien maitrisée:

La mineuse des agrumes (حفارة أوراق الحمضيات) introduite en 1994, a également causé beaucoup de dégâts sur les jeunes pousses
Tuta absoluta (حفارة أوراق الطماطم), la mineuse de la tomate apparue en Tunisie en 2008 a constitué au début un grave danger pour nos cultures. La larve qui vit en mineuse dans le fruit, la feuille ou la tige, creuse des galeries et attaque le plant de tomate depuis le stade jeune plantation jusqu’au stade de maturité
Le charançon rouge du palmier (سوسة النخيل الحمراء), introduit dans les années 2010, est actuellement bien maitrisé et limité autour de Tunis surtout sur le palmier d’ornement.
Le feu bactérien (اللفحة النارية بأشجارالاجاص) introduit en 2011, a décimé de très grands pans de nos vergers de poirier.
Les acariens rouges des palmiers dattiers (عنكبوت الغبار) peuvent causer d’importants dégâts en s’attaquant aux fruits avant maturité et en les desséchant. Le traitement à base de soufre pour prévenir et réduire l’impact de la maladie sur les récoltes est recommandé. Des campagnes de prévention, s’appuyant sur le nettoyage de la palmeraie, sont régulièrement organisées.
La cochenille du cactus (الحشرة القرمزية لنبات الصبار) a fait son apparition en Tunisie en 2021. Ce petit insecte sans ailes a pu s’introduire chez nous et commettre de très graves dégâts dans plusieurs régions du pays. Une stratégie est en place pour préserver les zones indemnes du centre et du Cap-Bon.

Deux autres maladies graves existent tout près de chez nous et pour lesquels il est indispensable d’être extrêmement vigilant. Il s’agit du Bayoud du palmier dattier (مرض البيوض). C’est un champignon qui a dévasté, il y a plusieurs années, les palmeraies du Maroc et de l’Algérie. La Tunisie a toujours été vigilante pour éviter l’introduction de ce ravageur surtout que l’importance socio-économique du palmier dattier est évidente aussi bien pour les écosystèmes oasiens que pour les personnes qui sont concernées de près ou de loin par le palmier dattier. Sur le plan national, la Tunisie étant un exportateur important de dattes, celles-ci contribuent à l’équilibre de la balance commerciale. Toute importation de produits ou d’une partie de palmier et de dattes est formellement interdite.

Récemment une bactérie très grave est en train de faire d’énormes ravages en Europe et a tué des millions d’oliviers principalement en Italie (surtout la région des Pouilles). Il s’agit de la bactérie tueuse Xylella fastidiosa (او مرض التدهور السريع للزيتون اللّفحة البكتيرية). Cette bactérie peut, en cas d’introduction chez nous, tuer nos oliviers et porter d’énormes préjudices à notre agriculture et notre économie.

Une fois introduits, la lutte contre les nuisibles est difficile et couteuse. La solution est de prendre les mesures nécessaires pour empêcher leur introduction sur le territoire national. La protection des frontières et la sensibilisation des passagers sont deux mesures essentielles pour lutter contre l’introduction potentielle de phytoravageurs et donc de maladies qui peuvent se révéler très graves, difficiles à combattre et causer des dégâts très importants. Cette mesure reste toutefois insuffisante et ne fait que retarder l’introduction des ravageurs qui tôt ou tard finiront par arriver, rentrer et s’installer. Le renforcement des capacités de surveillance, de contrôle et de détection précoce est primordial. La prévention et la réponse rapide sont également nécessaires pour maitriser et étouffer toute menace.

Organisation de la protection des végétaux

En Tunisie, la protection des végétaux relève, au sein du Ministère de l’agriculture, des ressources hydriques et de la pêche maritime (MARHP) de la Direction générale de la santé végétale et du contrôle des intrants agricoles (DG-SVCIA). Ses attributions sont très vastes et très nombreuses. Elles concernent les semences et plants, les pesticides, le contrôle de la commercialisation, l’analyse des résidus, l’homologation, les programmes de lutte contre les fléaux de quarantaine et les maladies végétales. Elle est responsable également du suivi et des campagnes de lutte contre le criquet pèlerin, les rongeurs et les oiseaux. La DG-SVCIA dispose d’un laboratoire central sis à Tunis (le Laboratoire de contrôle et d’analyse des pesticides) et de trois stations régionales de défenses des cultures (Béja, Sousse et Sfax). Au niveau des frontières (ports, aéroports et points de passage terrestres), le contrôle des végétaux, parties et produits de végétaux importés est effectué par les services du contrôle phytosanitaire.Par ailleurs, il a été créé, une Instance nationale de la sécurité sanitaire des produits alimentaires (INSSPA) par la loi n° 2019-25 du 26 février 2019 et le décret n°2021-74 du 21 janvier 2021. Placée sous l’autorité du Ministère de la santé, l’INSSPA est chargée du contrôle de tout ce qui a un rapport avec les produits végétaux, animaux et les aliments pour animaux afin de garantir la sécurité sanitaire des produits alimentaires destinés au consommateur final, à l’importation ou à l’exportation. La santé végétale et animale, les pesticides et même le bien-être animal font également partie de ses attributions. Le texte de création de l’INSSPA prévoit le transfert du personnel, des dossiers et archives, des laboratoires, chargés du contrôle de la sécurité sanitaire, de la phytosanitaire et de la qualité des produits alimentaires et des intrants, placés sous la tutelle des ministères de la santé, agriculture et commerce.

Avoir un seul organisme responsable du contrôle sanitaire des aliments et des aliments pour animaux présente certainement de nombreux avantages. Toutefois, rattacher toute la santé végétale et animale et la qualité des intrants utilisés en agriculture à l’INSSPA, c’est amputer le ministère de l’agriculture de deux piliers majeurs, indissociables de la production agricole. Par ailleurs le MARHP, grâce à ses services régionaux et locaux, est présent partout sur le territoire national ce qui lui permet de suivre et contrôler la situation sanitaire des cultures et des élevages pour réagir sans tarder et maitriser la situation. Afin d’être à l’abri de tout disfonctionnement du système, prêt à affronter efficacement toute menace phyto ou zoo-sanitaires, il est préférable d’opter pour l’échange d’informations et la coordination entre l’INSSPA et la DG-SVCIA, plutôt que le rattachement des structures.

Conclusion

Le changement climatique va affecter profondément et réduire les disponibilités hydriques. Il fragilise également les plantes soumises à un stress thermique et hydrique. La production agricole connait une baisse importante alors que la demande en produits alimentaires ne cesse d’augmenter en rapport avec la croissance démographique et l’amélioration du niveau de vie des consommateurs.

Le changement climatique favorise les ravageurs. Devenus de plus en plus envahissants et nocifs ils représentent une menace croissante aux cultures et plantes. Par ailleurs, l’introduction non volontaire de nouveaux pathogènes est toujours possible. Ces ravageurs, qui n’ont généralement pas de prédateurs dans le pays d’accueil, représentent une menace sérieuse susceptible d’avoir des conséquences économiques, sociales et environnementales considérables.

Il est nécessaire de se préparer à toute possible invasion par de la vigilance et une bonne organisation afin d’agir vite et efficacement. Il est nécessaire également d’avoir une stratégie globale comprenant à la fois un aspect contrôle-surveillance-alertes, un aspect intervention et lutte (la lutte biologique par des prédateurs spécifiques est à préférer à la lutte chimique dévastatrice de l’environnement et de la santé) et des mesures d’adaptation comme la sélection de variétés résistantes. Mettre les moyens humains et matériels adéquats et à la mesure du risque est obligatoire.

La recherche représente un levier essentiel pour combattre ces agresseurs aussi bien pour la sélection de variétés résistantes que pour connaitre mieux les pathogènes (comportement, particularités…) et définir les méthodes de lutte adaptées (surtout en introduisant les prédateurs, les multiplier et effectuer les lâchers). La sensibilisation et l’information constituent également un volet important de la lutte contre les ravageurs.

La préservation de la santé des cultures et des plantes est un facteur indissociable de notre sécurité et notre souveraineté alimentaires de plus en plus fragilisées par le changement climatique.

Ridha Bergaoui

Lire également
Lutte contre la cochenille du cactus : le devoir de gagner