Les fleurs coupées: Un secteur contraignant mais prometteur
Par Ridha Bergaoui - Dans une société anxiogène pleine d’angoisses, de stress inhérent à la multiplication des problèmes et des difficultés, des relations sociales plutôt crispées et tendues, les fleurs nous apportent du sourire, du bonheur et de la joie. Elles sont devenues également vecteur de nos sentiments et de nos émotions. L’usage des fleurs se démocratise, se répand tant dans le milieu personnel que dans le milieu professionnel et partout le marché de la fleur ne cesse de se développer.
La floriculture est la branche de l’horticulture qui s’intéresse à la culture des fleurs et des plantes ornementales. Elle a connu, surtout au cours du siècle dernier, de grands progrès en matière de sélection de cultivars et des techniques culturales intensives conduisant à une production de masse et à des prix abordables.
Aperçu sur le secteur des fleurs coupées dans le monde
L’exportation des fleurs coupées
Certains producteurs tunisiens arrivent, malgré les diverses difficultés, à exporter des quantités plutôt limitées, surtout de roses et d’œillets, vers la France. Au sud, dans la région de Nekrif, une ferme florale produit et exporte vers la Hollande des glaïeuls et des œillets.
La Tunisie peut devenir un exportateur important de fleurs coupées et dispose de nombreux atouts :
• Un climat doux et ensoleillé durant toute l’année, favorable à la production des fleurs
• Une main-d’œuvre abondante, pas très coûteuse et une bonne législation de travail
• Des terres agricoles disponibles et un foncier bon marché
• La proximité avec l’Europe et la possibilité d’y faire parvenir des fleurs très fraîches avec des frais de transport (aérien ou routier) réduits et une empreinte carbone faible
• Un réseau routier et d’aéroports convenables
• Des techniciens et des cadres bien formés et des centres de formation professionnelle partout
• Une longue tradition de culture des fleurs dans de nombreuses régions comme Nabeul, l’Ariana, Zaghouan ou Kairouan
Malheureusement, de nombreuses contraintes entravent la production et l’exportation des fleurs coupées. Au niveau de la production:
• Dépendance et importation des intrants nécessaires (matériel végétal, équipement des serres et de conditionnement des fleurs, fertilisants et produits de traitement…)
• Manque d’eau de qualité, il faut envisager la désalinisation des eaux saumâtres ou de mer. En parallèle, il faut choisir des espèces et des variétés les plus résistantes au sel.
• L’aspect gestion des parasites et des pathologies et l’utilisation des pesticides sont très importants, surtout que la France est particulièrement exigeante et refuse tout produit traité avec des pesticides interdits sur son sol. Au niveau de la commercialisation • Un secteur où la concurrence est rude et féroce.
• Un secteur ultrastructuré, très exigeant avec des normes strictes et très sévères et où la qualité est exigée.
• Nécessité d’une excellente maîtrise technique aussi bien au niveau de la production que du traitement et du conditionnement des fleurs pour l’exportation.
• Une organisation et une logistique parfaites.
La floriculture est un domaine très spécialisé où, pour être compétitif et rentable, il faut une maîtrise parfaite des techniques de production. Les fleurs font l’objet d’une sélection très poussée et permanente afin de stimuler les ventes avec de nouveaux produits innovants et de mettre à la disposition du consommateur un produit plus attractif. Les variétés commercialisées résultent de divers croisements et hybridations. Les caractères sélectionnés sont multiples et portent sur la couleur, la taille et les caractéristiques des fleurs, le rendement en fleurs coupées, une bonne longévité en vase, la productivité, la robustesse et la résistance aux maladies. Des tiges robustes, longues et droites sont nécessaires pour un bon maintien de la fleur en vase. La résistance aux manipulations, au conditionnement et au transport sont des critères importants. Les espèces peuvent être annuelles ou pérennes. La multiplication se fait par graines, bouturage, marcottage, greffage, tubercules, rhizomes ou bulbes.
Les fleurs peuvent être cultivées en plein champ, en serre ou sous ombrière. En serre il est possible de les cultiver en hors sol, d’utiliser des substrats artificiels et la fertilisation par l’irrigation. Les serres sont généralement équipées de systèmes de contrôle et de réglage de la température, l’humidité et la lumière.
Les techniques de production sont très évoluées et intensives. Les cultures nécessitent des interventions fréquentes et une main-d’œuvre importante pour effectuer les différents travaux, entretenir les cultures et la récolte manuelle des fleurs. Compétence et dextérité sont de mise. L’irrigation et l’apport des fertilisants se font en fonction des besoins de la plante. L’eau doit être de bonne qualité, pauvre en sel. La lutte contre les parasites et maladies est très importante. Il est conseillé d’utiliser des traitements biologiques et de limiter l’emploi de produits chimiques afin de préserver la santé du personnel et d’éviter la pollution de l’environnement. Après cueillette, les fleurs sont nettoyées, triées, calibrées et placées dans les cartons prévus pour le transport soit dans des camions frigorifiques, soit dans les soutes des avions. Les fleurs doivent arriver au client fraîches et en très bon état. Une installation moderne nécessite des investissements importants et coûteux qu’il faut amortir avec des rendements importants de fleurs de qualité demandées par le marché.
Le consommateur est de plus en plus sensibilisé au problème de la pollution de l’environnement et de l’éthique dans la production des fleurs. Les grandes entreprises spécialisées, basées en Afrique et en Amérique, pratiquant la floriculture intensive sont accusées pour leur exploitation de la main-d’œuvre très mal payée, l’utilisation excessive des ressources (eau et énergie) aux dépens de la population locale et la pollution des eaux et du sol par excès de fertilisants chimiques et de pesticides. On leur reproche également une empreinte carbone élevée. Le consommateur préfère une production plus éthique, écologique, proche et respectueuse de l’environnement.
Un marché mondial très concurrentiel
La demande mondiale en fleurs coupées ne cesse d’augmenter, de nombreux pays investissent de plus en plus et essayent de produire aussi bien pour le marché local que pour l’exportation. En Europe, les Pays-Bas se sont particulièrement spécialisés, depuis longtemps, dans la production des fleurs et essentiellement les tulipes. Aussi bien en plein champ que dans les serres, la culture intensive des fleurs est faite à grande échelle avec le recours à des techniques et des technologies de pointe pour produire toute l’année de grandes quantités et à des prix concurrentiels. La Hollande possède également de nombreuses exploitations en Afrique, ce qui lui permet d’importer de très grandes quantités de fleurs qu’elle réexporte par la suite. La Hollande est le premier pays exportateur de fleurs coupées (près de 60% du commerce international). Elle est suivie de la Colombie, l’Equateur, le Kenya et l’Ethiopie. Ces pays bénéficient d’un climat agréable toute l’année, favorable à la production de fleurs et également d’une main-d’œuvre très bon marché.Les principaux pays importateurs de fleurs sont des pays riches pour la plupart, comme les Etats-Unis d’Amérique, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, la Russie et le Japon. La France importe près de 85% de sa consommation en fleurs vendues chez les fleuristes et dans les grandes surfaces. L’Italie, la Belgique, la Suisse importent également des fleurs. Celles-ci viennent en partie de la Hollande mais également de pays africains comme le Kenya, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud, le Niger… Ces pays africains ont développé la culture des fleurs et sont parvenus à occuper une place importante, malgré une logistique de plus en plus coûteuse, dans le commerce mondial très concurrentiel. Les fleurs voyagent par avion et des camions frigorifiques pour livrer rapidement un produit de qualité, frais et qui a une bonne durée de vie en vase.
La rose demeure la fleur la plus demandée. En Europe, la saison des roses s’étale de mai-juin à novembre alors que la demande s’étale sur toute l’année. L’importation des fleurs se fait surtout durant la période hivernale et de fin d’année qui correspond à une période de forte demande alors que la production est faible en raison du froid.Le commerce mondial des fleurs coupées est très réglementé et ultra-normalisé. Tout est standardisé de la production à la cueillette, le conditionnement et le transport. Les producteurs doivent assurer, à côté d’un prix compétitif, de la fraîcheur et des livraisons en quantité à des périodes bien définies.
Le secteur des fleurs coupées en Tunisie
En Tunisie, la culture des fleurs coupées est très marginale. Les superficies sont faibles (probablement une centaine d’hectares), elle se fait soit dans des serres, des ombrières ou en pleins champs. La production est localisée essentiellement autour de la capitale (gouvernorats de Ben Arous et Manouba) et des régions touristiques (Nabeul, Sousse, Monastir et Bizerte).Kairouan est réputée pour la production de roses, toutefois il s’agit de la rose de Damas destinée à la distillation et la production des huiles essentielles utilisées en parfumerie et l’eau de rose traditionnellement employée dans la cuisine ou à des fins thérapeutiques. La région de l’Ariana est également connue pour ses belles roses (Rosa gallica) utilisées essentiellement comme plante ornementale intéressante pour les jardins et les espaces urbains.
Les espèces de fleurs coupées cultivée sont nombreuses (plus d’une quinzaine), la rose étant la plus cultivée, suivie du glaïeul, l’oiseau du paradis, et l’œillet. La production reste traditionnelle et le manque de qualification tant des producteurs que de la main-d’œuvre est flagrant.La production de fleurs coupées demeure faible, le produit est essentiellement écoulé sur le marché local. Les prix sont relativement élevés par rapport au pouvoir d’achat du Tunisien. Les ventes sont particulièrement localisées durant la saison des mariages en été et, accessoirement, à l’occasion des fêtes de fin d’année et certaines fêtes comme la fête des mères ou la Saint-Valentin. La tradition d’offrir des fleurs coupées, comme cadeau à l’occasion d’événements privés ou professionnels, commence lentement à s’installer. Les hôtels et les restaurants touristiques sont censés être des consommateurs intéressants. Certaines administrations achètent également, lors d’événements importants et de manifestations internationales, des fleurs pour embellir les salles de réunion et autres espaces. Le budget réservé à ces achats demeure toutefois limité. A côté des fleuristes traditionnels, la vente sur Internet, en ligne, fait également son chemin et de nombreuses pages sur les réseaux sociaux proposent des fleurs à la vente et la livraison. Les vendeurs s’approvisionnent généralement directement de chez les producteurs.La floriculture est un secteur de plus en plus important et la demande en fleurs coupées est sans cesse croissante aussi bien au niveau du marché intérieur que pour l’exportation. L’Etat doit encourager et aider au développement de ce secteur à très forte valeur ajoutée et créateur de nombreux emplois. Les retombées au niveau socioéconomique sont multiples. C’est également un moyen de diversification des produits agricoles. Le développement de la production et de l’exportation de la fleur coupée va entraîner le développement du marché intérieur, sachant que les meilleures fleurs, répondant aux critères de fleurs de qualité, seront exportées alors que les fleurs de second choix et qui comportent de petits défauts peuvent être commercialisées à des prix raisonnables sur le marché intérieur beaucoup moins exigeant.
Ridha Bergaoui
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