Mohamed Meddeb: Un journaliste brillant, un homme loyal et digne
Par Mohamed Kilani - Il a été l’une des figures marquantes de la télévision tunisienne dans les années 1970. Journaliste francophone, producteur-présentateur de l’émission Dimanche Sport à partir de la saison 1975-1976, il a pu conquérir le public sportif par sa sobriété, son objectivité et sa rigueur. Mohamed Meddeb représente encore pour plusieurs générations le symbole du renouveau du sport à l’écran.
Né le 9 mars 1942 à Sousse, Mohamed Meddeb est l’aîné d’une fratrie qui se stabilisera à cinq enfants. Son père Mahjoub est caporal de dockers au port de Sousse, travaillant pour Khayat et Bardaa, des alfatiers qui exportaient par Sousse. Mohamed Meddeb fit ses études primaires à l'école coranique de Sousse dite "Ettrikia". Il est en 6e année primaire quand son père décède le 28 novembre 1953, et toute sa classe est venue présenter les condoléances. Il fait ensuite ses études secondaires au lycée de garçons de Sousse, voulant déjà être journaliste. Il apprend le dictionnaire Larousse quasiment par cœur, et son professeur de français l'a beaucoup apprécié et même aimé. Il se déploie aussi comme scout de nombreuses années, ainsi que footballeur au Stade Soussien jusqu'à la catégorie juniors. Il décroche un poste de surveillant-élève à Bizerte qui lui permet de se prendre en charge et de passer avec succès le baccalauréat philo en 1962.
Il part alors étudier le droit en France, mais ne peut continuer faute de moyens. Une année après son mariage, il émigre au Canada pour y séjourner durant deux ans de 1964 à 1966. Puis il rentre en Tunisie, travaillant comme instituteur à Ksar Hellal avant de reprendre ses études de droit en 1968. Il réussit la première année mais, séduit par le journalisme, il abandonne de nouveau le droit.
En effet, la Radio-télévision tunisienne organisant cette année-là un concours pour le recrutement de journalistes, Mohamed Meddeb y trouve une opportunité pour se frayer un chemin dans un domaine qui l’avait fait rêver. Il est admis parmi mille cinq cents candidats qui se sont retrouvée au Lycée technique de Tunis pour les épreuves écrites. Seulement six candidats sont retenus après l’épreuve de diction : Mohamed Meddeb, Mustapha Khammari, Mohamed Lahmar, Mohamed Hachani, Hayet Touil et Neila Rhaiem. Au journal parlé en langue française, le JPF, il devient rapidement une référence, et même le patron du service, Lassaad Ben Hamida, se résout à lui concéder une marge importante. Il est même le correspondant des radios RFI, et aussi RMC, sous pseudonyme. Ses collègues y trouvent motif à lui reconnaître considération, et à lui faire révérence. Beaucoup plus tard, Kamel Chérif parlera de lui avec un émerveillement frôlant la béatitude : «Mohamed Meddeb incarne la loyauté, le calme, l'honnêteté. Il affrontait quiconque l'approchait pour une question journalistique épineuse, peu importait le poids de la personne ou la délicatesse du sujet. Un homme qui nous honorait par son amitié et sa proximité professionnelle.»En 1974, Raouf Ben Ali, premier commentateur de la télévision tunisienne qui a démarré en mai 1966 et producteur-présentateur de Dimanche Sport, informe Mohamed Meddeb, qui a été dans son équipe chargé du basket-ball, de son intention de s'installer à Sousse dès l'été 1975, tout en le sondant sur ses prédispositions à prendre la relève. Mohamed Meddeb se sent honoré, valorisé et motivé.
En septembre 1975, Mohamed Meddeb est donc fin prêt pour démarrer son projet sur la base de l’innovation : désormais, tous les matches du championnat national de football sont couverts, en plus de la retransmission en direct du match-phare. Les téléspectateurs sont surpris, ravis et rassurés. Toutes les équipes sont traitées sur un pied d’égalité. Les téléspectateurs sont ainsi satisfaits de cette évolution brusque et les disciplines sportives ont désormais droit de cité avec une plage horaire conséquente à leur activité, et même la hiérarchisation des sujets obéit au poids de l’événement. Son expérience durera cinq saisons avant qu’il ne se résolve à passer le témoin à Mokhtar Rassaa, en 1980.
En janvier 1981, Mohamed Meddeb, qui a été aussi présentateur d’appoint du journal télévisé en langue française, est chargé par son ami Kamel Chérif de commenter en direct l'investiture de Ronald Reagan. Il s'en acquitte avec brio et permet à l'institution de monter en crédibilité.
En 1982, Tahar Belkhodja, ministre de l'Information, invite Mohamed Meddeb et Kamel Chérif à déjeuner avec Bourguiba. C'est pour eux une occasion propice pour situer l'homme d'Etat. Les deux journalistes peuvent du coup se construire une meilleure opinion sur la culture de l'homme, son génie en géopolitique et sa déconnexion de la réalité socioéconomique dans le pays.
Au journal Le Temps où son ancien collègue Mustapha Khammari coiffe la rédaction, il est chargé de l’édition du lundi et s’en acquitte avec brio durant deux ans. La stature de Mohamed Meddeb prend de plus en plus de l’épaisseur jusqu’à sa promotion en tant que directeur de l’information de la RTT. Il n’est nullement impressionné par la charge, mais les tempêtes dans ce domaine ne peuvent épargner personne, notamment après le 7-Novembre, ce qu’il comprend et admet quand sa mission touche à sa fin. Se reconnaissant inflexible et parfois peu commode, il n’en ressentira aucun remords.Lorsque Habib Ammar est nommé ministre des Communication, en janvier 1995, il fait appel à Mohamed Meddeb. En tant que chargé de mission, ce dernier se retrouve au cœur de l’Etat, découvre la vie du cabinet de ministre, et les contraintes de la gouvernance. Il est de bon conseil de par sa profonde connaissance du système, tout en mesurant la fragilité de la relation de Habib Ammar avec Ben Ali. Le bail durera deux ans, parallèlement au mandat de Habib Ammar, et permet à Mohamed Meddeb de tirer des enseignements supplémentaires sur l’inconfort que connaît chaque ministre, notamment ceux qui ont du caractère ou de l’ambition.
Le 27 février 2004, il passe par le quartier La Fayette pour un rituel rendez-vous avec Kamel Chérif avant de faire le marché de Sidi Bahri. Une heure après la rencontre, Kamel Chérif reçoit un appel téléphonique de la part de Mme Meddeb l’informant du décès brusque de son ami aussitôt ses courses faites, et juste avant de monter dans sa voiture. Mohamed Meddeb est rappelé à Dieu sans connaître la souffrance de la maladie, ni la compassion de ses proches et amis.
Père de 3 enfants nés en France- le médecin-, au Canada- la pharmacienne- et en Tunisie- l’informaticien-, soit sur trois continents, Mohamed Meddeb laisse l’image d’un homme de qualité, respectueux des valeurs communes et soucieux de son image, d’autant que les hommes publics ont toujours été exposés à l’exigence, voire la sévérité de l’opinion.
Mohamed Kilani