Mongi Bawendi: Lueur d’espoir
Par Ahmed Friaa - Aucun être humain doté d'un minimum d'humanisme et d'empathie ne peut ne pas être peiné et révolté, en regardant depuis de nombreuses semaines les atrocités que commet l'armée sioniste à Gaza à l'encontre d'une population vivant dans une enclave constituant une prison à ciel ouvert et dont le seul tort est de revendiquer le droit de vivre dignement dans un Etat libre qui lui soit propre.
Néanmoins, le 10 décembre dernier, est apparu un éclair venant de Stockholm, jetant une lumière sur cette actualité sombre et douloureuse.
C'est en effet ce jour-là que notre compatriote, le Tunisien d'origine, Pr Mongi Bawendi, s'est vu remettre le Prix Nobel de chimie au titre de l'année 2023.
Les travaux de ce savant qui ont motivé sa nomination à cette prestigieuse distinction ont des applications majeures dans différentes technologies. Cet aspect est bien exposé dans un brillant article du Pr Mohamed Larbi Bouguerra, grand spécialiste du domaine, paru sur leaders.tn, en date du 7 octobre 2020, sous le titre de «Un Tunisien nominé pour le Nobel de chimie».
Moungi est le fils de feu Mohamed Salah Bawendi, l'un des plus grands mathématiciens à l'échelle mondiale et qui constitua, avec les professeurs Mohamed Amara, Khlifa Harzallah et Fatma Moalla, entre autres, les pionniers de l'école tunisienne de mathématiques.
L'heureux événement que constitue la remise du prix Nobel m’offre l'occasion de conter quelques souvenirs, en mémoire de feu Mohamed Salah Bawendi, dont j'ai eu l'honneur d'être parmi ses étudiants à la fin des années 60 du siècle dernier et qui n'a pas bénéficié de la reconnaissance que lui confèrent son statut de grand savant et ses vaillantes contributions au rayonnement de notre pays.
Le grand mathématicien français, feu Laurent Schwartz, qui fut le premier médaillé Fields français, rapporte dans son ouvrage autobiographique Un mathématicien aux prises avec le siècle qu'en apprenant que Mohamed Salah Bawendi s'est vu refuser, au début des années 60, une bourse pour poursuivre la préparation de son doctorat d'État sous sa direction, il est venu à Tunis rencontrer le ministre de l'Education de l'époque, feu Mahmoud Messaadi, pour le convaincre de revenir sur cette décision et permettre à Mohamed Salah Bawendi de retourner en France en vue d'achever sa thèse dans un environnement approprié pour qu'il puisse, à son retour au pays, contribuer au renforcement du système universitaire national naissant.
Ce qui fut fait et Mohamed Salah Bawendi a pu présenter une brillante thèse, sous l'encadrement du grand mathématicien qu'est Laurent Schwartz.
A son retour en Tunisie, à la fin des années 60, il réussit, avec la complicité de ses collègues Amara, Harzallah et Moalla, à convaincre de jeunes mathématiciens normaliens français de venir passer leur service militaire civil en qualité d'enseignants au département de maths à la faculté des Sciences de Tunis, qui venait de déménager sur le campus d'El Manar, où elle y est jusqu'à ce jour.
Grâce à l'apport de ces différents talents, parmi les plus brillants jeunes mathématiciens, le département de mathématiques de la faculté des Sciences de Tunis a acquis une réputation dépassant largement les frontières de notre pays et s'est trouvé hissé au peloton de tête des grands départements de mathématiques de par le monde.
Mohamed Salah Bawendi se faisait accompagner, parfois, par son jeune fils Moungi, qui devait avoir à l'époque 9 ou 10 ans. Et ce qui nous a toujours agréablement surpris, mes camarades et moi, c’était le sérieux et le calme de ce jeune qui assistait, sans broncher, au cours magistral de son père durant toute la séance qui durait 01h30 en moyenne.
Mohamed Salah Bawendi, ayant une ambition pour son pays, a voulu créer une véritable école tunisienne de mathématiques, d'autant que cette discipline ne fait pas appel à des équipements sophistiqués et coûteux, comme c'est le cas d'autres sciences.
Ce sont surtout les bonnes idées qui comptent, en plus de quelques papiers et des crayons.
Il avait alors créé un groupe d'excellence, dont les membres sont minutieusement choisis parmi les meilleurs étudiants et a demandé à l'administration de la faculté de mettre à sa disposition une salle de classe libre pour donner des cours approfondis, dépassant le programme officiel, à ce groupe.
Malheureusement, l'expérience n'a duré que quelques semaines. Elle fut l'objet d'un puissant courant opposé dont les tenants considéraient que la priorité devait être accordée plutôt aux étudiants en difficulté, sous forme de cours particuliers, en somme. Ce fut un bel exemple de cette confusion entre égalitarisme et nivellement par le bas dont souffre notre pays.
Déçu par cet échec, en plus d’autres considérations, sans doute, Mohamed Salah Bawendi a depuis replié bagage et quitté le pays. Il fut successivement professeur dans différentes institutions universitaires en France, puis aux États-Unis où il dirigea de prestigieux départements de mathématiques. Il fut élu membre de l'Académie des sciences des États-Unis et mourut, malheureusement, à un âge où il pouvait encore beaucoup donner.
Je l'ai revu pour la dernière fois, il y a de nombreuses années, à l'université de Paris 6, à Jussieu, toujours aimable, chaleureux et accueillant. Allah yarhamou !
Et félicitations au brillant scientifique qu’est son fils Moungi.
Ahmed Friaa
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