Mohamed Salah Ben Ammar - Haro sur les Nationalismes: Histoires des Peuples qui ont fait leurs Propres Malheurs
«Les autocraties naissent de l’oubli du passé. C’est ce qui arrive quand un peuple, oublieux des leçons enseignées par l’histoire, se met à nourrir à nouveau des rêves insensés» c’est ce que soutient Marc Lefrançois dans son livre «Dans l'intimité des dictateurs.» qui vise à mieux appréhender la personnalité de ces hommes qui ont semé le chaos et la terreur dans leurs pays respectifs.
La tentation dictatoriale est de retour
L’examen de naissance et de mort des dictatures est plus que jamais d’actualité. Nos parents nous ont offert des vies meilleures que la leur et logiquement nous étions en droit d’espérer offrir un avenir meilleur que le nôtre à nos enfants! Un futur débarrassé au possible excès de haine et de guerre. Rien de moins sûr en ce moment.
Comment être confiant, quand les pays de l’Est qui ont tellement souffert de la répression choisissent aujourd’hui librement à nouveau des régimes liberticides? Pourquoi? Comment rester indifférent devant des discours et des actes qui nous rappellent les jours sombres des années 30 du siècle dernier? Des questions lancinantes.
Pour le moment il ne s’agit que de prémisses, mais un homme du siècle dernier peut légitimement être déstabilisé par la popularité des théories des partis d’extrême droite en Allemagne, en Italie, et le mal a atteint la Suède, la Hongrie, le Danemark, les Pays-Bas, Israël, l’Inde, le Brésil, la Finlande et les USA et peut-être bientôt en Espagne où des extrémistes sont au pouvoir ou aux portes du pouvoir. Les pays arabes ne sont pas en reste.
Les discours nationalistes, xénophobes, les théories belliqueuses, s’exposent dans les médias sans retenue. Plus que jamais la menace nucléaire est crédible. Les discours nationalistes réactivent les conflits territoriaux dans toutes les parties du monde.
Objectivement la présence des nationalistes tel que Poutine, Orban, Bolsonaro, Trump, Xi Jinping, Netanyahou, Modi et autres dans les hautes sphères des pouvoirs à travers le monde est inquiétant. Ce sont de réelles menaces pour la paix dans le monde. «Il est remarquable que la dictature soit à présent contagieuse, comme le fut jadis la liberté», prédisait Paul Valéry. Plus inquiétant, ces propos trouvent toujours de larges échos. En fait ces populations ne réalisent pas qu’elles seront les prochaines victimes de la tyrannie.
Un passé qui nous interpelle
Le 9 Mars 1953 lors des funérailles de Staline des centaines de milliers personnes pleuraient à chaudes larmes la disparition du «petit père des peuples», un des plus grands criminels de l’histoire de l’humanité, il en a été de même pour Kim Jong Il, Abdel Nasser ou Mao Zedong.
Les terribles épurations provoquées par la paranoïa de ces autocrates ont-elles été oubliées ou pardonnées ou encore été jugées justes ? Un observateur extérieur est en droit de s’interroger, comment se fait-il que les Goulags et autres déportations, les procès politiques, la révolution culturelle, les condamnations à mort d’opposants, la répression, les faillites économiques des programmes, les millions de morts qu’ont occasionné ces faillites aient été oubliés?
Les despotes, autocrates, dictateurs, potentats, tyrans, oppresseurs et autres ont proliféré au siècle dernier. Hitler, Staline, Mussolini, Salazar, Franco, Mao Zedong, Pol Pot, Fidel Castro, Kim Jong-il, Papa Doc, Ceausescu, Videla, Pinochet, Bokassa, Idi Amin Dada, Sékou Touré, Mobutu, Sassou Nguesso, Saddam, Kadhafi, Abdel Nasser, Moubarak, Assad (pére et fils), Abdallah Salah, Nimeiry, Ben Ali et j’en passe, ils adorent les surnoms, le Führer, le Petit Père des peuples, El Duce, El Caudillo, le Conducator, le Génie des Carpates, le Lider Massimo, le Guide suprême, le Bienfaiteur du peuple…Souvent petits de taille, paranoïaques, psychopathes insomniaques, illuminés, colériques, pernicieux, froids et calculateurs, antipathiques et pourtant ils ont été souvent sincèrement adulés. Peu importe l’idéologie, marxistes-léninistes, fascistes, nationaux-socialistes, nationalistes arabes, militaires, qu’ils soient arrivés au pouvoir après une révolution ou un coup d’État et même ceux qui ont été démocratiquement élus, ils ont été au départ aimés et admirés par une large partie de la population. Tout système dictatorial nécessite un mix de terreur et d’assentiment du “peuple”.
L’histoire est un remake
Jules César avait, après avoir franchi le Rubicon, promis au Sénat d’instaurer une dictature temporaire, 100 jours seulement s’était-il engagé, le temps de rétablir l’ordre. Populiste, stratège et tacticien hors pair, auréolé par ses victoires militaires, il distribue aux Romains des vivres et des terres, il est rapidement adulé par le peuple de Rome. Il finira par devenir un monstre et ne quittera le pouvoir que mort, poignardé par tous les sénateurs, son fils inclus. Entre temps il avait mis en place un système qui a généré, entre autres Caligula et Néron.
Par essence «Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes mauvais.» a écrit Emerich Acton.
Plus proche de nous, c’est au petit matin que la population est informée, par le communiqué numéro 1 du comité de salut public, du changement de régime. Les propos sont d’une banalité à en pleurer, toujours les mêmes thématiques, gloire à la nation, grandeur du peuple, rétablissement de l’ordre, de la justice, suspension de la Constitution, dissolution du Parlement, couvre-feu, et engagement à rendre, dans les meilleurs délais, le pouvoir au civil mais une fois ces objectifs atteints. Étonnamment ils sont à chaque fois cru par une population, souvent désespérée.
Ce scénario nous l’avons vécu un certain 7 Novembre. Comme partout, l'arrivée du futur dictateur a été accueillie chez nous par des scènes de liesse populaire. Avenue Habib Bourguiba sous les fenêtres du ministère de l'intérieur, la rue qui a adulé Bourguiba pendant un demi-siècle, a exprimé sa «joie» sans retenue. De vrais militants démocrates se sont fourvoyés et ont soutenu ce processus anti-démocratique. Ils étaient tellement désespérés qu’ils sont tombés en 88 dans le piège du pacte national. Les plus lucides, ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme et ils étaient rares, ont été traités de tous les noms d’oiseaux. Après une lune de miel relative qui a duré trois ans, le piège s’est refermé sur nous pendant 20 ans. Et il ne pouvait en être autrement, le processus était vicié à la base.
Un mélange toxique: Désespoir, nationalisme et populisme
Ou comment s’installe une dictature. Au commencement fut le verbe… Quand les despotes n’ont pas eu recours à la force, c’est par des discours enflammés que ces autocrates sont arrivés au pouvoir. Classiquement, il s’agit d’un orateur hors-pair qui promet d’instaurer l’ordre, la justice, la discipline sous couvert d’une idéologie ou pas, socialisme, communisme ou une démocratie égalitaire. Ils réussissent à persuader le «peuple» que grâce à eux, il se gouvernerait lui-même. Ils arrivent à persuader le «peuple» qu’ils sont ses meilleurs défenseurs.
A travers le monde, de simples agitateurs aux théories saugrenues, des médiocres toujours, des ratés que personne n’avait pris au sérieux à temps, mais charismatiques et mystérieux ont saisi «le bon moment» pour se présenter comme des réformateurs-sauveurs et un peu par surprise ils se sont installés au pouvoir. Les crises, les périodes où l’exaspération contre la corruption, l’anarchie, un moment où la faillite de l’État atteint son nadir, un homme donne des réponses claires, simplistes et à tous les problèmes.
Leur bellicisme, toujours initialement verbal et dirigé contre les minorités, finit par atteindre tout ce qui les dérange dans leur entreprise de contrôle du pouvoir.
Ils s’engagent au nom des morts et des vivants, le passé, le présent et l’avenir, s’engagent à assurer la grandeur de la Nation. «Il ne parle jamais au conditionnel mais toujours à l’impératif» nous dit Olivier Guez dans «Le siècle des dictateurs»
Ils tutoient l’Histoire, osent des comparaisons insensées. Dans des démocraties perverties, sans réelle séparation des pouvoirs, en l’absence de liberté d’expression avec une mainmise des puissants sur les médias…nulle contestation est possible. Un nationalisme hystérique leur sert de bouclier.
Ils adorent lancer des projets pharaoniques, ils veulent reconstruire la capitale, des bâtisses gigantesques, des palais, des mosquées, des aéroports, des autoroutes, des ponts… et même des fleuves artificiels. Des projets mal étudiés et donc ruineux.
Instrumentalisation de l’histoire
Certains dans leur folie mégalomaniaque ont imposé un nouveau calendrier, une version personnelle de l’histoire. Il leur faut effacer tout ce qui contredit leur approche du passé. Ils font réécrire l’histoire par des pseudo-intellectuels à leur solde, s’érigent en historiens, inventent des légendes et délirent sur la grandeur perdue de leur nation. Ils martèlent leurs versions des faits dans des discours fleuves. Logiquement, ils ont imposé que ne soient enseignées dans les écoles qu’une version officielle de l’histoire. L’école est l’endroit idéal pour formater les esprits des générations futures.
Semer la haine
Pour réussir à maintenir et renforcer leur emprise sur la société, ils exhortent le peuple à les aider à nettoyer la société de ses “ennemis” comprenez les opposants. Sous prétexte d’épurer l’appareil de l’État des “saboteurs”, ils éliminent les supposés «traîtres» qui cherchent à détruire notre «modèle social». Pour arriver à leurs fins, ils utilisent une justice aux ordres.
Ils font croire aux plus pauvres qu’ils sont persécutés. Leurs ennemis sont à l’intérieur et à l’extérieur, ils sortent la nuit, ils sont les puissants, c’est l’élite, les diplômés, les riches, les étrangers, bref l’ennemi est une variable d’ajustement qui varie en fonction des circonstances. Telle une tâche d’encre sur un buvard, le cercle des ennemis s’agrandit pour finir par toucher tout le monde: «Le suspect englobe la population entière… Le châtiment n’est plus fonction du crime…, une conduite exemplaire ne met pas à l’abri.» «À l’aube, la police secrète exécute les basses œuvres, la terreur règne.»
In fine les autocrates ont propagé la peur et la haine entre les couches sociales, les régions et ont désigné «au peuple» ses ennemis. Les capitalistes, les bourgeois, un pays voisin, l’Occident, les communistes, ceux qui avaient une religion différente ont été une variable d’ajustement en fonction des dictateurs…Des manipulations d’opinion qui ont été sources de bien de malheurs. Bien avant d’attaquer l’Iran et d’envahir le Koweït, des communistes ont été pendus sur la place publique en Irak.
La pensée unique
La propagande pratique toujours un langage simple, des phrases courtes, toutes faites, des mots accolés à des concepts que reprennent de puissants relais.
Marteler une pseudo-idéologie à travers des discours fleuves et répétitifs diffusés à longueur de journée par les médias dans l’espoir de formater les esprits est un classique du genre. Kadhafi en est l’exemple le plus criant. Leurs voix, le ton employé, les mots, les formules, c’est des acteurs qui jouent un rôle. Ils se mettent en permanence en scène, leur moindre apparition est théâtralisée, ils embrassent les enfants, aiment les animaux…
Les autocrates mettent en place et entretiennent un véritable culte de la personnalité, photos géantes, le portrait géant de Mao trône toujours à l’entrée de la Cité interdite.
La phraséologie officielle est accolée à des couleurs caractéristiques parfois même, la couleur violette pour Ben Ali par exemple, la couleur rouge pour Chavez, la chemise noire pour Benito Mussolini, la toque léopard pour Mobutu, le col Mao en Iran... Ils nous semblent ridicules dans leurs tenues avec leurs décorations, leurs lunettes de soleil, leurs coiffures, teinture pour Ben Ali, crinière bouclée pour Kadhafi, barbe pour Fidel, crâne rasé pour Mussolini…
La liberté, une ennemie
Dans ce climat, toute forme de liberté représente une menace pour eux. Penser même devient un crime, les procès d’intention sont leur spécialité. La finalité est de faire sentir à chacun qu’il est sous une surveillance perpétuelle. Leur but ultime est de bâtir une société uniforme, figée par la peur où l’autocensure devient une seconde nature. Le niveau de répression n’est jamais constant.
Avec perversion, ils avancent de trois pas dans la répression, puis reculent d’un pas. Ils jouent au chat et à la souris. Arrêtent des opposants, en libèrent d’autres après quelques mois plus tard puis en arrêtent et ainsi de suite. Ils veillent toujours à laisser des soupapes de sécurité, des signes d’espérance. Profitent de certaines circonstances pour corrompre certains opposants.
Ils organisent des semblants d’élections, choisissent leurs adversaires, mettent ceux qu’ils craignent le plus en prison. En d’autres termes, ils détruisent tout et laissent leurs pays en ruine, des corps intermédiaires sans âme, des institutions moribondes, des parlements fantoches et une société civile invisible.
Une fin toujours prévisible
In fine les institutions de l'État se figent. L'urgence pour un autocrate est de façonner l’appareil de l'État selon les allégeances, pas les compétences, ils s’immiscent dans la moindre décision de nomination au sein de l’administration. Plus rien ne leur échappe. Ils placent leurs partisans dans les postes clés, l’armée et les forces de l’ordre d’abord. La valse des nominations donne le tournis dans un premier temps. En voulant tout régenter les dictateurs finissent par concentrer tous les pouvoirs.
Et puis un jour sans crier gare l’exaspération du peuple atteint son maximum. Le plaisir de dépasser la peur, de crier dans les rues sa colère prend un peuple jusqu’ici docile. La suite n’est généralement pas de tout repos. A leur départ du pouvoir, à quelques exceptions près, le système qu’ils ont mis en place entraine tôt ou tard de graves troubles dans le pays. Des guerres civiles, des régions qui se sont rebellées contre le pouvoir central comme cela s’est passé au Soudan, en RDC ou encore en Irak.
Autre anomalie choquante, après une période relativement courte et devant le chaos occasionné par leur départ, beaucoup de leurs concitoyens se mettent à les regretter.
«Du temps de Staline c’était bien», «du temps de Saddam on avait tout ce qu’on voulait» … Des propos entendus régulièrement entendus après le départ d’un dictateur.
Comment les sociétés peuvent-elles se prémunir contre ces dérives ? Le peuvent-elles d’ailleurs ? Ce n’est pas évident tant les facteurs qui mènent à la dictature sont multiples et profonds.
Les démocraties n’ont pas su s’adapter aux défis des temps modernes. Une mondialisation catastrophique où le pouvoir des finances a pris les commandes, des plans d’ajustement structurel, un capitalisme sauvage imposés aux pays endettés ont détruit le système éducatif, la santé, les transports, tous les biens communs.
La communication tous azimuts sans filtre a ouvert la porte de l’enfer, le complotisme est devenu une deuxième façon d’aborder les faits. Les codes ont été dépassés par la technologie numérique, les nouveaux codes tardent à voir le jour. Nous sommes arrivés à un stade où les fake-news peuvent faire et défaire les élections. Hannah Arendt a écrit dans Les Origines du totalitarisme. «Dans un monde toujours changeant et incompréhensible, les masses avaient atteint le point où elles croyaient simultanément tout et rien, où elles pensaient que tout était possible et que rien n’était vrai».
Nous sommes tombés à nouveau dans ce piège. Une opportunité que les autocrates ont su saisir.
Toutefois, en réalisant que les discours nationalistes, la plaie des plaies selon Stefan Zweig, sont des armes qui se retourneront tôt ou tard contre ceux qui les prônent, des armes qui permettent aux dictateurs d’accéder au pouvoir. Que le nationalisme est l’ennemi de la démocratie, que tous les modes de gouvernance qui s’écartent de la démocratie libérale sont des chimères.
Le respect des institutions, de la Constitution, des corps intermédiaires, la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression, le respect des valeurs universelles sont des lignes rouges qui ne tolèrent aucune interprétation. Si les citoyens du monde intègrent dans leur mode de pensée ces quelques principes, le monde peut espérer un avenir meilleur.
Mohamed Salah Ben Ammar