News - 24.07.2023

Imed Chaker: Rien sur nous sans nous

Imed Chaker: Rien sur nous sans nous

C’est une belle leçon de vie dans la lutte contre le handicap que nous livre Imed Chaker dans son ouvrage Rien sur nous sans nous, paru aux éditions Leaders. Un titre qui affirme une émancipation résolue. Premier Tunisien malvoyant titulaire d’un doctorat (de la Sorbonne) à enseigner au sein de l’université tunisienne, il incarne un parcours de courage, d’excellence et d’engagement social. Parallèlement à sa carrière d’universitaire, Imed Chaker avait rejoint l’Union nationale des aveugles de Tunisie (Unat), gravissant les différents échelons de ses instances jusqu’à en être élu président. Son rayonnement en Tunisie s’élargira au monde arabe et à l’international, le conduisant à siéger dans de nombreuses organisations.
Le plus poignant, comme il le relate dans son livre, c’est le récit de ses années d’enfance, d’études dans des écoles spécialisées à Bir Kassaa et à Sousse, avant de partir pour la France rejoindre la Sorbonne. Poussant son témoignage, Imed Chaker nous introduit dans les coulisses de l’Union nationale des aveugles de Tunisie, puis d’autres organisations arabes, africaines et internationales et souligne de grandes réalisations accomplies, tout en esquissant des propositions utiles à mettre en œuvre.

Dans sa préface, Mohamed Ennaceur soulignera les grandes qualités d’Imed Chaker, à savoir le courage, la détermination et l’attachement à la cause des handicapés. Pour avoir été chargé, alors jeune attaché de cabinet du ministre de la Santé et des Affaires sociales, du dossier de l’Union nationale des aveugles de Tunisie, l’ancien président de la République par intérim et président de l’ARP a toujours été très proche de cette organisation. Ministre des Affaires sociales à plusieurs reprises, il lui a toujours prêté attention et soutien. On lui doit en effet la loi du 29 mai 1981 relative à la promotion et à la protection des handicapés. «Avec talent, l’auteur a su capter l’attention des lecteurs, leur révélant divers aspects de sa riche personnalité et soulignant son leadership, tout en montrant son engouement pour la musique», écrira-t-il notamment.

L’enfant qui avait failli tout rater

Benjamin d’une famille sfaxienne modeste de 7 enfants, Imed Chaker, né en 1951, raconte son enfance et ses premières difficultés oculaires. Ses parents le conduiront chez plusieurs ophtalmologues qui ont détecté une déficience de la vision et lui ont prescrit des fortifiants dans l’espoir de parer à la dégradation de sa vision. Sans parvenir à des résultats probants. Arrivé à l’âge de la scolarisation, il sera inscrit au kouttab de Haj Khelifa Tayari où, conduit par sa sœur qui a dû renoncer à ses études, il apprendra une bonne partie du Coran sans pouvoir cependant tout mémoriser. Un véritable calvaire, surtout que ses camarades du koutteb y réussissaient.

L’endurance des premiers pas

C’est à l’âge de 8 ans qu’une première lueur d’espoir finira par poindre à l’horizon. L’Union nationale des aveugles de Tunisie avait ouvert à Sfax le noyau d’une école spécialisée dispensant un enseignement utilisant la méthode Braille. Ce fut pour Imed Chaker une planche de salut. Il s’y plaira, sauf que l’école a été fermée et ses élèves transférés à l’école ouverte à Bir Kassaa, dans la banlieue sud de Tunis. Au début, ses parents étaient réticents à y envoyer leur enfant de 9 ans, malvoyant, devant braver seul toutes les difficultés, mais ils finiront par acquiescer, sous sa forte insistance, et les encouragements des proches, surtout que son frère aîné étudiait déjà à Tunis.

La musique en jardin secret

Le récit que nous rapporte Imed Chaker de ses années à Bir Kassaa est poignant : l’internat, les conditions précaires, la malnutrition, le froid, l’éloignement de la famille… Faisant fi de tant d’épreuves, il se concentrera sur ses études et gagnera la confiance de ses camarades qui le choisiront comme délégué de classe. Le président Bourguiba, très attentif à la cause des aveugles, rendra visite à l’école en 1963 et demandera au hasard à Imed Chaker de lire à haute voix un livre écrit en Braille : il en sera émerveillé et ne tarira pas d’éloges à son égard, l’embrassant chaleureusement. Le cycle primaire terminé en cinq années seulement, le jeune Chaker sera admis au lycée spécialisé à Sousse, un véritable changement de cadre et de conditions d’études et de pensionnat. Continuant sur la même lancée, il excellera dans ses études et participera aux différentes activités culturelles, notamment les clubs de chant, de musique, de théâtre et autres. Dénichant un piano très peu utilisé, il s’y exercera, apprenant lui-même à s’en servir, tout en s’adonnant à la percussion et à d’autres instruments.

Les années parisiennes

Imed Chaker passera son baccalauréat lettres, utilisant une machine de dactylographie, et sera admis avec mention bien au grand bonheur de ses parents. Pour la première fois de sa vie, il recevra plein de cadeaux, notamment une montre Braille et un montant de cinq dinars… Sa réussite lui ouvre alors les portes de l’Hexagone pour y poursuivre ses études supérieures en lettres anglaises à l’Université de la Sorbonne 3. Son voyage à Paris, son installation et ses prises de marque feront l’objet d’un récit très émouvant, non dénué d’humour cependant. Imed Chaker s’y plaira. Si pour de nombreux étudiants, un bon moyen d’améliorer leur bourse d’études est de travailler comme veilleurs de nuit dans des hôtels, lui ne pouvait y postuler. Mais, son talent musical lui permettra de se joindre à des petites troupes pour animer soirées et fêtes. Il y trouvera tout son bonheur. Allant plus loin, Imed Chaker ira passer une année en Angleterre en tant qu’enseignant de langue française dans un lycée secondaire. Il adorera.

Revenu à Paris, Imed Chaker reprendra ses études, décrochera successivement sa licence et sa maîtrise. Il ajoutera un DEA en sciences et techniques de la traduction et un deuxième DEA en comparaison de l’usage de l’anglais britannique et celui des Etats-Unis d’Amérique. L’ensemble sera couronné par une thèse de doctorat soutenue avec brio. L’heure du retour ayant sonné, il débarque à Tunis et entame une double, longue et riche carrière d’universitaire et de militant de la cause des malvoyants et des aveugles. Toute la deuxième grande partie du livre y sera consacrée.

Un ouvrage très passionnant, bien écrit, agréable à lire et source d’inspiration.

Rien sur nous sans nous
Du Dr Imed Chaker
Préface de Mohamed Ennaceur
Editions Leaders, 2023, 284 pages, 30 DT
Disponible en librairie et sur www.leadersbooks.com.tn