Un prélude pour «le journal d’un maire»*: Ô Ariana, mon doux village
Par Aissa Baccouche - Riche de ses trois mille ans d’histoire depuis la fondation de Carthage et davantage si on remontait le temps jusqu’à l’ère capsienne, la Tunisie est un merveilleux pays de contes.
La Médina de Tunis est vieille de douze siècles. Elle a eu son âge d’or sous la dynastie des Hafsides du 13ème au 16ème siècle. Les vestiges de cette époque sont aujourd’hui autant de signes mémorables de la splendeur d’une capitale dont le prince Al Monstancer obtint, en son temps, la reconnaissance de tous ses pairs dans le monde musulman en tant qu’Emir des croyants.
Ce même prince fit édifier à l’Ariana, proche banlieue de Tunis, un jardin féerique à nul autre pareil et dont la description fut relatée par Ibn Khaldoun historien qui naquit en Tunisie au 14ème siècle avant d’acquérir plus tard une aura universelle.
L’Ariana, jadis village de roses, avait eu déjà au 10ème siècle une relation presque charnelle avec sa ville mitoyenne puisque l’enfant du village, le saint homme Sidi Mehrez, apôtre de la tolérance, devint, à l’âge mur, Sultan de Tunis c’est-à-dire patron au sens mystique du terme, d’une communauté Tunisoise, musulmane et juive, soudée autour de cet homme qu’elle élevait au rang des Justes.
Inoubliables furent les scènes de la vie arianaise au temps des roses, du caroubier, du jujubier et du pommier dont les fruits «rendaient à l’âme son âme».
Dois-je citer les moments forts de la coexistence fraternelle entre nos deux communautés - juive et musulmane- qui constitua, un siècle durant, la richesse de la société arianaise.
Dois-je évoquer les matinée animées au vieux souk, les baignades joyeuses à l’ancien hammam puis au nouveau dénommé El Banna, la rituelle Kharja de la confrérie des Aissouia devant le mausolée de Sidi Ammar, les randonnées «champêtres» jusqu’au Borj Baccouche sur la route des forts qui mène à l’ORT, les escapades en été chez Am Chennoufi marchand de granite, ou bien les va-et-vient, sur recommandation de ma mère, à la bonneterie Albert, grande comme une boite à gants, mais qui grouillait de bonnes femmes qui venaient s’approvisionner en produits de mercerie et qui, comme par miracle, étaient toutes servies avec bonhomie par le maître des lieux?
Mais l’image la plus forte, car la plus symptomatique de la convivialité arianaise, est celle relative au pain de maison.
En effet, les habitantes de la médina avaient coutume de préparer le pain et de le mettre sur une planche devant le perron de leurs demeures. Ainsi la rue était jonchée de quadrilatères sur lesquels reposaient des cercles blancs. Mais ce spectacle était fugace puisque les passants se chargeaient d’enlever tous les pains et les emmenaient jusqu’à la boulangerie Ben Romdhane. Une fois prêts, après avoir été cuits, les pains étaient récupérés par les ayant-droits et ramenés à domicile.
Une belle leçon de vie communautaire que l’Ariana aura léguée à la postérité!
Aissa Baccouche
* Paru ces jours-ci chez Arabesques