Quand les puissants parlent, Netanyahou plie… mais il faut le vouloir
Par Mohamed Larbi Bouguerra - C’est devenu une habitude à partir des premiers mois du gouvernement du Premier Ministre Benjamin Netanyahu.
Son parti, le Likoud ou l’un de ses partenaires d’extrême droite (Force Juive de Ben-Gvir) ou ultra-orthodoxes (Shas et Judaïsme Unifié de la Torah) annonce des plans pour transformer les promesses de campagne et les accords de coalition en lois réelles. Puis, à la suite d’un tollé et d’une résistance diplomatique de la Maison-Blanche, des pays européens, de la diaspora juive, ou d’une combinaison de ces facteurs, la décision est reconsidérée et, après une volte-face, la proposition controversée est retirée ou mise en attente. Ainsi, le 9 mai, on devait fêter à Jérusalem, la Journée de l’Europe avec tout le gratin diplomatique. Le gouvernement israélien avait désigné pour le représenter et discourir Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité Nationale. L’homme sent le soufre, condamné en 2007 pour incitation à la haine raciale, poursuivi à maintes reprises pour émeute, discours incendiaires, obstruction au travail de la police, apologie du Dr Baruch Goldstein, assassin de 29 Palestiniens en prière au caveau des Patriarches. Face au refus par la plupart des délégations diplomatiques européennes de voir Ben-Gvir représenter l’Etat d’Israël, la cérémonie dédiée à la Journée de l’Europe à Jérusalem a été tout simplement annulée.
Il en a été de même en février, lorsque le parti Shas a annoncé qu’il ferait pression pour l’adoption d’un projet de loi criminalisant la prière non orthodoxe au Mur des Lamentations et interdisant les vêtements «indignes» (short chez les hommes, bras et dos nus chez les femmes) du caractère sacré du lieu sacré.
C’est sans doute une des raisons pour lesquelles la réforme judiciaire (1- pour sauver Netanyahou de comparaître devant la Cour Suprême, 2- d’éviter tout contrôle de la Cour Suprême sur l’exécutif) – la principale priorité législative du gouvernement – n’a pas été soumise aux votes nécessaires de la Knesset.
Il est vrai que le mouvement de protestation qui a amené des centaines de milliers d’Israéliens dans la rue contre ce chambardement juridique joue un rôle clé, mais de nombreux observateurs croient que c’est la menace d’une réaction sévère de l’administration Biden qui paralyse Netanyahou.
Haro sur les ONG de défense des droits de l’homme
Maintenant, voilà le Likoud – le parti de Netanyahou–qui a clairement indiqué qu’il avait pleinement l’intention de présenter cette semaine à la Knesset une loi ciblant le financement des ONG israéliennes par des gouvernements étrangers. La loi limiterait considérablement la capacité des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme d’accepter les dons de gouvernements étrangers, ce que la droite israélienne tente de faire depuis plus d’une décennie.
Depuis 2009, de nombreuses tentatives ont été faites pour faire adopter une loi qui réduirait les budgets de valeureuses ONG comme Adalah, B’Tselem et Breaking the Silence qui rapportent les faits et gestes de l’armée sioniste, ses assassinats et ses actes illégaux vis-à-vis des Palestiniens ainsi que les menées barbares des colons contre la communauté palestinienne conduites sous la protection de l’armée.
Cette coalition de droite sans précédent actuellement aux commandes a offert la meilleure occasion de punir et de se venger des groupes qui « font du plaidoyer public » tout en recevant des dons de gouvernements étrangers.
Alors pourquoi était-elle bloquée cette fois?
Il n’aurait pas dû être surprenant que les gouvernements concernés protestent et ripostent avec vigueur comme ils l’ont fait par le passé – et ils l’ont fait, avec des pressions diplomatiques venant de Washington et de nombreuses capitales européennes assorties de condamnations publiques.
D’ailleurs, les auteurs de la loi, aveuglés par la haine, ont manqué de noter que la loi ne nuirait pas seulement aux organisations politiques, mais aussi aux groupes voués à l’aide médicale, à l’éducation des jeunes défavorisés et à l’aide aux survivants de l’Holocauste.
Mais étant donné que les ordres de retirer la loi venaient d’en haut, l’élément le plus important était le préjudice que la loi aurait causé à Netanyahou lui-même.
Le premier ministre d’Israël a déjà été encensé pour sa finesse diplomatique internationale, dont il s’est vanté lors de campagnes électorales avec des panneaux d’affichage montrant qu’il embrassait les dirigeants étrangers et un slogan selon lequel il était dans d’une « autre ligue » en matière de diplomatie.
Aujourd’hui, l’aversion des gouvernements étrangers vis-à-vis de lui est patente. Elle est utilisée contre lui; en particulier quand il s’agit des États-Unis: le président Biden ne l’a toujours pas invité à la Maison Blanche comme de coutume pour les Premiers Ministres israéliens sitôt en place.
Des panneaux d’affichage se voient maintenant le long des routes en Israël accusant Netanyahu de mettre en danger la lutte existentielle d’Israël contre l’Iran en aliénant son allié le plus puissant dans cette lutte: les Etats Unis.
Netanyahou a clairement annoncé que ce n’était pas le bon moment pour réaliser le cher fantasme de droite: la faillite des organisations palestiniennes de droits de l’homme. Mais on peut être certain que lui et ses alliés n’ont pas abandonné pour de bon. (Lire Alisson Kaplan Somer, Haaretz, 28 mai 2023).
Pour l’instant, le recul et l’hésitation démontrent que, bien qu’il paraisse indifférent à la résistance contre les propositions extrêmes de son gouvernement par les citoyens de son propre pays, lorsque de puissants dirigeants mondiaux s’expriment, Netanyahou plie.
L’incroyable discours d’Ursula Von Leyen
Face à ces données diplomatiques, le discours d’Ursula von Leyen à l’occasion du 75ème anniversaire de la création d’Israël est proprement renversant. Dans ce discours le peuple palestinien et l'occupation israélienne n'existent tout simplement pas. Quelques jours seulement après l’attaque de Gaza par les F-16 israéliens et l’abominable pogrom de Hawara salué par les fascistes Ben Gvir et Smotrich au sein du gouvernement israélien!
«Aujourd’hui nous fêtons les 75 ans de la démocratie la plus vivante du Proche-Orient» affirme effrontément la présidente allemande de la Commission Européenne oubliant les 7 millions de Palestiniens sous la botte d’Israël, sans droit de vote pour la plupart, mis en prison sans la moindre accusation indéfiniment et continuellement en prison comme à Gaza. Pourtant, l’historien israélien Ilan Pappé a exposé depuis longtemps la manipulation orchestrée de l’Histoire ainsi que la propagande au quotidien que distille Israël pour soigner son image et les sommes colossales investies pour «redorer» cette image après chaque massacre et chaque attaque à Gaza et en Cisjordanie. (Lire Ilan Pappé, «La propagande d’Israël», Investig Action, 2016, Bruxelles).
Lors de son intervention, von Leyen a repris les termes les plus éculés de la propagande sioniste- la hasbara. Et revoilà, «Israël qui fait fleurir le désert», partie intégrante du récit colonial traditionnel et de louer « les ¾ de siècle de dynamisme, d’ingéniosité et d’innovations révolutionnaires». Or, en décembre 2022, l’AG de l’ONU a adopté une résolution pour commémorer la Nakba palestinienne, les plus de 500 villages palestiniens détruits, les expulsions massives et les 750 000 exilés de force qui vont devenir des réfugiés au Liban et ailleurs. L’Agence Media Palestine lui rappelle: «Cette résolution historique, bien qu’elle ne soit soutenue que par deux Etats membres de l’UE, reconnaît les 75 années d’injustice infligées au peuple palestinien. En tant que présidente de la Commission Européenne, une institution qui prétend faire respecter le droit international et l’autorité de l’ONU, vous ne pouvez pas rejeter avec pareille désinvolture les décisions de l’AG de l’ONU.»
De son côté, Amnesty International a critiqué la déclaration ubuesque de von Leyen et lui a demandé de reconnaître qu’Israël commet le crime contre l’humanité qu’est l’apartheid.
Rarement, une déclaration européenne n'aura mis autant en colère l'Autorité palestinienne et accumulé autant de contre-vérités. Une réaction d'autant plus rare que l'Union européenne finance l'A.P. à hauteur de 250 millions par an.
Le discours renversant de Mme von der Leyen remet en mémoire ce texte d’Ilan Pappé (livre cité, p. 78) : «A Yad Vashem, le musée de l’histoire de l’Holocauste à Jérusalem, les visiteurs invités (ce sont souvent des VIP) doivent subir une visite guidée commençant par les camps d’extermination passant par l’insurrection de Varsovie et se terminant par l’histoire héroïque de la revanche en 1948- à savoir que ce sont les Arabes qui ont payé ce que les nazis ont fait aux Juifs.»
Mohamed Larbi Bouguerra
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