News - 12.05.2023

Tunisie - Les problèmes posés par le transport collectif urbain: Autant chercher à résoudre la quadrature du cercle

Tunisie - Les problèmes posés par  le transport collectif urbain: Autant chercher à résoudre la quadrature du cercle

Par Monji Ben Raies - Le contexte de la mobilité urbaine dans les villes tunisiennes pose des problèmes et des défis qui ne peuvent trouver leur solution que dans une reconception des transports publics, notamment à Tunis. Le Grand Tunis compte plus de trois millions d’habitants, soit plus de 15% de la population du pays, et ce nombre ne cesse d’augmenter. La pression démographique associée à l’étalement urbain se traduisent par une augmentation des besoins de mobilité et un allongement des distances de déplacement. Malheureusement, en Tunisie, il est à déplorer l’absence d’un cadre institutionnel et règlementaire fiable régissant les transports urbains dans les grandes métropoles du pays. La pléthore des acteurs et des niveaux d’intervention (national, régional, local); ainsi qu’une gouvernance inadaptée et obsolète, crée des chevauchements de responsabilités et/ou des vides organisationnels. La cohabitation de plusieurs modes et types d’exploitation (artisanal, anarchique et informel, professionnel et non-règlementé), ne répondant pas aux mêmes critères règlementaires, entraine une désorganisation du marché des déplacements, une dégradation de la qualité de service et une concurrence déloyale voire sauvage entre les exploitants, souvent sans l’intervention de l’autorité publique, défaillante. La vétusté des parcs véhiculaires, la dégradation des infrastructures sans réfection et le non-respect des normes légales et règlementaires, favorisent la dérégulation, le désordre et l’insécurité. A cela il faut ajouter des infrastructures routières insuffisantes et en mauvais état et la mauvaise utilisation de l’espace public pour le tracé des parcours, la principale conséquence étant la congestion du trafic, malgré un taux de motorisation très faible. Les problèmes de financement la démission et le désengagement croissant des autorités publiques se traduisent par l’absence de modes à forte capacité, capables d’assurer un transport collectif de masse fiable, dans de bonnes conditions, alors que la demande potentielle est considérable.

Le transport public collectif est une activité de service public dans laquelle le facteur humain a un rôle primordial et dont les capacités doivent être renforcées. Cela doit commencer par une amélioration de la connaissance des problèmes en matière de mobilité et en matière d’urbanisme. Les enquêtes qualitatives et quantitatives, les comptages, les sondages d’opinion, etc. permettent souvent de mieux comprendre les attentes des parties prenantes et donc de mieux définir l’offre de service. Cette dernière est, par ailleurs, directement influencée par les personnels d’exploitation et de maintenance, qui conditionnent la qualité du service délivré ; ils représentent donc la cible prioritaire en matière de formation professionnelle en ‘’clienteling’’, pour garantir la professionnalisation du secteur et la qualité selon les standards internationaux. Il en va de même des personnels d’encadrement des opérateurs et des autorités de gouvernance ; leurs responsabilités respectives leurs donnent une influence et un poids conséquents en matière de prise de décision. Il est donc indispensable de s’assurer qu’ils possèdent l’expertise et les compétences nécessaires à un tel niveau d’exigence et de responsabilité. Toutefois, le transport urbain collectif reste un domaine qui touche à la sphère publique, voire politique. La volonté politique est donc à la base de toute initiative dans ce secteur pour apporter des solutions durables.

Service public, des maux qui s’aggravent quotidiennement

Le constat est unanime dans les transports ferrés tunisiens, le service public paraît à bout de souffle. Au quotidien, le transport collectif de masse pourrait offrir l’opportunité à des centaines de personnes de se déplacer de manière accessible, confortable et économique en milieu urbain et interurbain. Ce mode de transport pourrait répondre ainsi à une large gamme d’objectifs sociaux, économiques et environnementaux et bénéficier aux utilisateurs, mais également à la collectivité dans son ensemble. Au lieu de cela, vivre en milieu urbain, a fortiori en mégalopole, n’est pas de tout repos, lorsque l’on doit se déplacer. En effet, la ville, ses habitants et leurs milliers de comportements anarchiques en arrivent à constituer un danger de tous les jours pour tous. L’occasion pour la ville de se prendre une grosse honte devant des badauds et des usagers excédés, qui attendent à chaque station de métro ou de bus combles, durant des heures.

La détérioration des services publics suit un même protocole dans tous les secteurs ; la Poste, la SNCFT, la ‘’Transtu’’ et le métro léger de Tunis, les hôpitaux, justifient des mêmes effets ravageurs de l’obsolescence. La dégradation des services publics dont se plaignent les usagers suit un mécanisme qui peut être décomposé en une succession d’étapes qui entraîne un sentiment d’inéluctabilité, alors qu’agir sur une étape pourrait ne pas conduire automatiquement à une autre de la chaîne de fatalité, si une volonté politique en décidait autrement. Le point de départ est un délaissement progressif de l’entretien des infrastructures conduisant à une dégradation des services fournis. Ce délaissement produit alors une moindre rentabilité. Parce que certains de ces services publics présentent les attributs d’un « monopole naturel », c’est-à-dire qu’en raison des coûts très élevés d’exploitation ou d’infrastructures, une branche d’activité est économiquement considérée en position dominante, ils sont peu concurrencés. Les infrastructures, qui ne permettent aucune rentabilité directe, mais sont très coûteuses, sont progressivement délaissées. L’usure du matériel comme l’absence d’investissements sur les infrastructures (rails à entretenir) engendrent une dégradation des services ; très progressive et à peine palpable, quand il s’agit de constater que les rames de métro ne sont pas renouvelées ou que les retards sont récurrents, mais brutale quand le matériel vieillissant non-remplacé provoque des accidents. La dégradation des services n’est pas liée seulement à l’infrastructure ; la saturation des stations, leur encombrement continu crée en effet des conditions d’usage dégradées pour les voyageurs et une mise en danger des personnes. L’exposition aux risques n’est qu’un des symptômes dénoncés régulièrement qui soulignent que la difficulté va au-delà des temps d’attente et de la bousculade occasionnée. Il est aussi à déplorer une faille au niveau de la sécurité des usagers, faille qui tient à l’usure des personnels, du fait des conditions de travail très dures, la simultanéité des prises en charges à assurer en heures de pointe qui aggravent le risque de dépassement. Sans trancher sur la volonté politique, ou son absence, d’entretenir ces processus interdépendants se rappelle à la société ; la singularité des services publics, à savoir leur caractère d’intérêt général et leur utilité sociale, imposent de sortir de ce cercle vicieux pour remettre les moyens de déplacement collectifs en conformité avec les objectifs attendus. Avec des indicateurs de qualité qui comptabilisent et mesurent, et donc hiérarchisent certaines missions sur d’autres, les préoccupations de gestion des coûts ont changé de statut, passant de moyens à prendre en compte pour assurer des missions de service public à une fin en soi.

Le métro léger de Tunis propice au ridicule et à l’ignoble

Plus que tout autre lieu commun, le métro léger de Tunis, fort de sa concentration humaine et de son ambiance sur active journalière, est propice au ridicule et à l’ignoble. Ceux-ci sont tapis derrière chaque marche, chaque portique et chaque rame. La plupart des guichets de billetterie, un après-midi parmi tant d’autres, étant fermés ou si par bonheur, un guichet était ouvert, alors ce serait une demie heure de queue qu’il faudrait endurer pour avoir son ticket. Le personnel est très souvent désagréable et sans considération ni déférence pour les usagers, considérant leur accès au métro comme une faveur qui leur est faite, alors qu’il s’agit d’un droit. Aussi ne faut-il surtout pas avoir besoin d’aide quand on prend le métro à Tunis.

Rames saturées, temps d'attente de plus en plus longs, circulations ralenties, arrêts intempestifs en cours de trajet et faire descendre les passagers, en dehors des stations, insalubrité et délabrement des rames, vitre et portes défectueuses et cassées, graffitis obscènes, … mais depuis ces derniers mois, le trafic des rames de métros à Tunis est particulièrement défaillant et inhumain. Des voyageurs contraints, faute de place, de laisser passer plusieurs rames avant de pouvoir monter ; et qui, une fois à l'intérieur, sont compressés et littéralement collés les uns aux autres au point de ne plus pouvoir bouger ni même respirer, tout cela hors périodes de grèves, auquel cas les usagers sont condamnés à se retourner vers les taxis, pour les plus pressés ou vers les bus dans des conditions non enviables pour arriver en retard à leur travail ou à l’école. Parfois quatre ou cinq rames, voire plus, vides de tous passagers, traversent les stations bondées sans s’arrêter, laissant la foule dépitée et manifestant à tue-tête colère et frustration. Une gestion anarchique et un gaspillage d’énergie et d’argent public, dilapidés par incompétence et le manque de considération et de respect des personnes qui utilisent ce moyen pour se déplacer. Ce quotidien est le lot de nombreux voyageurs depuis des mois, voire des années. Prendre le métro à Tunis est devenu un combat quotidien que livrent tant de femmes, d’hommes et d’enfants. Si le trafic est si perturbé, c'est parce que les équipes de maintenance, qui devraient assurer l'entretien du réseau et des rames, n’assurent pas correctement leur service. Les rames qui tombent en panne ne sont ni réparées, ni remplacées. En conséquence, le parc véhiculaire se raréfie. L’absentéisme du personnel, le laxisme, les périodes de repos interminables au détriment de la fréquence de circulation et sa démission, engendrent une indisponibilité du matériel roulant chronique.

Alors que l’affluence est quotidienne, plusieurs facteurs alimentent donc les perturbations. Il s’ensuit un stress pathologique des usagers qui se traduit par des rixes systématiques, un vandalisme reporté sur les véhicules et des vols à la tire importants autant qu’inquiétants, compte tenu de la promiscuité des passagers compressés les uns contre les autres. Il est fréquent, aussi, de voir le personnel barrer les accès aux sorties de stations pour procéder, manu militari, au contrôle des titres de transport, sans aucune considération et sans ménagement pour les personnes qu’ils ont en face d’eux. Visages renfrognés, paroles désagréables, grossièretés et gestes déplacés et parfois violence physique, autant de voies de fait qu’il n’est pas rare de rencontrer.

Taux de charge indignes qui rappellent les fourgons d’antan

Moins de métros et toujours plus de voyageurs, à Tunis, cauchemar aux heures de pointe. Alors que l’affluence grimpe, la majorité du réseau est toujours en offre réduite. Des quais surpeuplés et des passagers obligés de jouer des coudes pour se frayer une place dans les rames… On croyait ce genre de scène derrière nous. Et pourtant, le métro tunisien renoue depuis quelques semaines avec des taux de charge indignes qui rappellent les fourgons d’antan. Des difficultés qui génèrent une forte lassitude et un stress supplémentaire pour des millions de passagers, qui restent pourtant, la plupart du temps, étrangement dociles, comportement qui, en d’autres circonstances, forcerait l’admiration. Il y a toujours eu des problèmes de transport en commun, sauf que depuis quelques années, cela dépasse la mesure tolérable. Aucun message, aucune explication, pas de communication de la part des responsables sur les difficultés d’exploitation qui engendrent des scènes inhumaines qui se répètent de jour en jour. Une telle gestion est incompréhensible et indigne. Le manque de conducteurs n’est pas une raison acceptable des intervalles exagérés entre les rames et des quais toujours bondés. La vétusté du matériel roulant, qui accuse plusieurs décennies d’existence sur toutes les lignes très fréquentées sans maintenance convenable et sans renouvellement, non plus n’exonère l’administration.

La crise dans les transports en commun est aiguë

Les habitudes des Tunisois ont peu évolué depuis plusieurs décennies en matière de trajet domicile/travail/école. Il faut dire que le métro reste privilégié pour aller travailler ou étudier, devant le bus pas toujours pratique. Mais cet usage des transports en communs est vécu par beaucoup comme une contrainte, une véritable aventure et une épreuve quotidienne ; les trajets dans de très mauvaises conditions, la sur-fréquentation et les incivilités, les retards et problèmes techniques et l'environnement désagréable, influe négativement sur leur humeur. La crise dans les transports en commun est aiguë, avec des racines qui s’entremêlent les unes aux autres et remontent loin. Partout en Tunisie, les usagers pâtissent d’une situation qui atteint des sommets, avec des conséquences en cascade. Beaucoup d’usagers, notamment les travailleurs de première ligne, craquent et rappellent une colère ancienne face à la dégradation continue d’un service public qui leur est dû. Le long pourrissement des infrastructures et l’idée même d’un transport en commun destiné au grand public, démontrent l’ampleur de la chute qui en a résulté, et il est difficile de croire qu’il s’agit de la même ville et du même réseau qu’autrefois. Il est difficile de deviner l’heure à laquelle un train arrivera ; et il est absolument impossible de compter sur une ligne de bus ou de métro pour arriver à temps au travail ou à l’école. Résignés, les travailleurs galères, entre rames supprimées, retards quotidiens et trains qui passent sous leur nez sans s’arrêter bien que vides de tout passagers. Autrement, les rames circulent systématiquement avec des passagers condamnés à être agglutinés.

Le choix du mode de transport est un choix crucial

L’urbanisme, la mobilité de masse et les transitions écologique et énergique, forment des défis complexes et croisés, auxquels la ville tente de répondre. En déployant des infrastructures de transports publics propres et connectés, les villes intelligentes facilitent les trajets sur leurs territoires, de même qu’elles limitent considérablement le risque de pollution atmosphérique et l’émission de gaz à effets de serres. Au vu de l’urgence climatique et de l’accroissement effréné des grandes métropoles, le transport ferré urbain collectif électrique répond au mieux au besoin de concilier innovation, confort de vie et protection de l’environnement. La ville intelligente doit devenir un exemple concret de l’évolution des mentalités et des comportements vers un monde plus soutenable et plus cohérent. Pour ce faire le transport collectif doit se fonder sur une électricité recyclée et des énergies renouvelables.

La mobilité occupe une place importante à la fois dans l'espace, mais aussi dans le temps, urbains. Héritage du XXe siècle, il visait à démocratiser le transport, avant qu’il ne devienne plus "sauvage", et moins réglementé. Le transport collectif urbain a un rôle social important. Écologie, économie et autonomie figurent au centre des objectifs que doit se fixer la ville, auxquels s’ajoutent une gestion optimisée des eaux et de l’électricité ainsi que la volonté de préserver la qualité de l’air. Ces paramètres alimentent également la question du transport, afin que les usagers puissent vaquer à leurs activités sans se soucier d’embouteillages ou de dépenses de carburant et sans avoir à chercher des parkings. Le choix du mode de transport collectif est un choix crucial, poussés par le flux de voyageurs, la vitesse commerciale de circulation et/ou le confort, ou plus simplement par le coût financier ou l'environnement urbain. Le transport en commun accessible deviendrait un élément structurant d’avenir en matière de développement urbain.

En 2050, deux humains sur trois vivront en ville, bien souvent dans des mégalopoles de plus de 10 millions d'habitants. La ville est un lieu d'activités économiques importantes qui oriente vers la nécessité de réguler un système de transport à grande capacité. Avec les transports en commun, il est possible de jouer avec les économies d'échelle, compte tenu de l’espace sur lequel vit, habite et évolue cette population. Aussi, l'espace dédié au système de transport ne peut qu’être circonscrit, et doit être géré en conséquence. Il ressort qu’en matière de mode de transport, faveur doit aller vers ceux prévus pour des distances grandes et moyennes, et qui occuperaient l'espace qu’occupent aujourd’hui les automobiles, celles-ci étant reléguées dans des parkings périphériques. Il faut aussi savoir que la manière de structurer la politique de transports urbains est intimement liée à la manière dont est structurée la ville.

La pollution était un sujet rarement pris comme argument de poids dans la vision des transports urbains, alors qu’il avait un réel impact au quotidien, que ce soit par le dioxyde de carbone et autres gaz ou la pollution sonore, qui devient facilement une gêne. La mobilité durable doit donc prendre en considération la mise en place d’une politique globale des déplacements de masse qui applique les composantes du développement durable aux transports ; permettre aux individus de satisfaire leurs principaux besoins d’accès d’une manière équitable, sécuritaire et compatible avec la santé, un coût raisonnable, un fonctionnement efficace, un choix de moyens de transport s’appuyant sur une économie dynamique ; Le système de transport choisi doit, par ailleurs, minimiser la consommation d’espace et de ressources, s’intégrer au milieu ambiant et réduire de manière appréciable l’empreinte carbone et les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que les déchets. Par exemple en Tunisie, aujourd’hui, les transports représentent30 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour réduire cette pollution, miser sur la technologie ne suffit plus. Il faut que les mentalités et les habitudes citadines changent radicalement, car demain, il faudra se déplacer d’une toute autre façon.

Le transport en commun structurant comme pilier

Dans la conjoncture actuelle, en Tunisie, implanter une politique globale de mobilité durable ne relève plus du choix mais d’un impératif de survie qui implique un changement de modèle d’urbanisme et en matière de transports dans lequel la notion d’accessibilité doit rimer avec celle de fluidité confortable des déplacements collectifs. C’est pourquoi les mesures en aménagement du territoire, pouvant réduire la dépendance à l’automobile, sont intrinsèquement liées au déploiement de transports alternatifs. L’amélioration et la multiplication des options de transport de masse doivent être au cœur des mesures favorisant la mobilité durable. Pour être fructueuse, la mise en place d’une politique de mobilité durable doit s’effectuer avec des cibles claires et des indicateurs précis, et s’appuyer sur un ensemble de mesures et principes structurants ; réduire la consommation d’énergies fossiles et des émissions de gaz à effet de serre liées aux transports ; accroître la part des modes de transport moins énergivores ; améliorer l’efficacité énergétique des véhicules collectifs. Ils visent à modifier structurellement les conditions et les comportements de déplacement en misant sur l’accessibilité et à induire des changements durables et profonds, dont les bénéfices ne dépendent ni de la disponibilité d’une source d’énergie ni d’un choix technologique, mais de la simple présence d’une bonne desserte de transport en commun (Rapport GIEC 2014). La localisation des activités urbaines le long de corridors de transport collectif, plutôt qu’éparpillées en périphérie, serait à même de favoriser leur accessibilité et permettrait l’utilisation de modes de transport collectifs durables au lieu de l’automobile. Dès lors qu'avec le poids démographique, les distances à parcourir au quotidien augmentent, le recours aux modes de transport en commun devient inévitable. Il est alors essentiel d’appuyer l'offre de transport sur un réseau structurant de transport, pouvant servir la population pour la majorité de ses déplacements quotidiens, grâce à une desserte efficace (fréquence, capacité, amplitude horaire, rapidité et propreté). Le transport en commun en site propre, c’est-à-dire un système qui utilise un espace lui étant exclusif (le métro, le train, le tramway), est le plus à même de rivaliser avec l’efficacité ancienne de l’automobile, puisqu’il est plus rapide, plus fiable et plus sûr, et qu'il a une plus grande capacité que les autobus traditionnels.

Favoriser les modes de déplacement durables implique de la part des pouvoirs publics de fournir des infrastructures et des aménagements sécuritaires, efficaces et confortables pour les usagers, tout en assurant le maillage accessible entre l’utilisation des différents modes collectifs. C’est une combinaison de possibilités de modes de déplacement qui permet d’offrir une option valable alternative à l’automobile. Bien planifiée, l’intermodalité améliore l’efficacité des déplacements en optimisant le passage entre les différents modes en place. Elle optimise les équipements de transport en favorisant les synergies et améliore l’accessibilité pour les résidents en multipliant les possibilités de destinations, dans l’espace comme dans le temps. Mais le déploiement de la mobilité durable n’implique pas simplement de valoriser l’offre multimodale de déplacements plus durables, mais exige dans le même temps de reconsidérer à la baisse la part respective des efforts publics consentis pour les déplacements individuels motorisés. Il est ainsi nécessaire de changer la norme sociale pour passer, d’une culture où la possession et l’utilisation régulière d’un véhicule motorisé individuel sont considérées comme la norme, à une culture où sont valorisés les modes de déplacement collectifs les plus durables en matière de développement et les plus bénéfiques pour la collectivité et l’humanité.

Pour une reconquête des espaces

Aujourd'hui est à la reconquête de ces espaces pour les rendre, humains, conviviaux, commerçants, attrayants, par une nouvelle maîtrise de l'espace urbain, en limitant au minimum, les espaces de circulation automobile, et rendre la voiture moins nécessaire et moins agressive et miser sur la sécurité des personnes, et les espaces de stationnement de voitures à la périphérie des agglomérations (création de parcs souterrains) principalement destinés aux riverains, mais aussi accessibles aux personnes de passage, préférant des espaces réservés aux deux-roues écologiques, des zones piétonnes de circulation, des squares et autres lieux de vie publics, ainsi qu’un accès plus favorable aux futures navettes électriques qui permettraient le transport dans la cité. On parle de ville sans voitures, et l’on pense assez facilement au gain écologique et en tranquillité mesurable. Mais il existe d'autres bénéfices à une ville sans voitures auxquels on ne pense pas tout de suite ; par exemple, il est possible de sauver plus de vies si les secours peuvent se déplacer plus rapidement, avec des ambulances électriques bénéficiant d’une voie dégagée.

Le problème qui se pose aujourd'hui aux espaces urbains est la question de la place de la voiture. Son utilisation est décriée par l’espace qu'elle consomme, le bruit qu'elle produit, son coût en mobilité, et l’impact environnemental majeur qu’elle occasionne. Le défi des centres-villes est donc le comment valoriser l'espace urbain, tout en ayant des modes de transport performants, aussi bien en flexibilité qu'en vitesse commerciale ? Les réponses apportées sont nombreuses, mais le centre-ville a la difficulté que les trajets qu'il accueille sont de longueurs différentes, et donc seule une grande diversité des modes de transport collectif semble être une solution. Une ville, espace bâti à haute densité de population, de services, etc., actuellement est plutôt vécue comme une contrainte par rapport à ce qui semblait normal il y a quelques temps. Le problème est la manière majoritaire de penser et il faut réellement en voir les bénéfices. Des voitures automatiques pourraient jouer un rôle, non pas pour le transport des passagers, mais celui des marchandises en fluidifiant les livraisons, mais aussi les courses des particuliers. En voyageant plus léger, pas besoin de voiture. Parce-que les villes ont été construites pour les voitures, il faudrait repenser l'étalement urbain, pratiquement tout détruire et reconstruire. Mais il semble évident qu'une planification, non directrice mais un peu contraignante et accompagnante, pourrait promouvoir des espaces urbains plus cohérents, tout en intégrant des espaces verts, de loisirs, mais aussi de production (de nourriture, de matières premières, d’une agriculture citadine), de jeux... Si on la met en place avec un accompagnement, l'idée de lieux communs de rencontres et de rassemblements pourraient être intéressante. On redécouvrirait alors les vertus de l'entraide, des interactions, de l'interdépendance.
Des transports en commun fluides et à géométrie variable, étendus et équitables pour toutes les parties d'une ville ou un centre ancien côtoierait d'autres centres spécialisés, reliés par des transports plus conséquents. Une ville en réseau où la voiture électrique resterait indispensable pour certains déplacements, sur des points précis permettrait d'accompagner le changement progressif.

Toutes les activités citadines devraient pouvoir être accessibles en transport en commun ; cela favoriserait une dynamique et une activité ventilée sur l’ensemble de la journée. C’est d’autant plus important pour certaines catégories de la population qui, autrement, ne pourraient se déplacer et qui en dépendent davantage. En assurant l’égalité des chances en matière d’accessibilité pour toutes les personnes, le transport en commun pourrait permettre d’améliorer l’équité entre les individus. Aussi devraient-ils être soumis à l’obligation légale de se doter d’un plan d’accessibilité universelle, en conformité avec la Loi assurant l’exercice des droits des personnes, saines et handicapées, tous âges confondus, en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. Le plan doit tenir compte du taux de renouvellement de l’équipement et de la nature des services offerts, afin d’améliorer l’accessibilité universelle du transport en commun.

Un moyen abordable de se déplacer quotidiennement

Tunis dans la seconde moitié du XIXe siècle a connu des transformations décisives de forme et de statut de l’espace urbain, pour initier la genèse de la ville neuve. L’évolution de l’espace urbain et de sa gestion a été alors liée à des logiques qui se superposaient et convergeaient. D’abord, une transformation interne de la société tunisienne confrontée à l’augmentation de la population, à l’ouverture commerciale et à une série d’influences croisées repérables dans la plupart des grandes villes. Ensuite, une tentative de clarification de l’espace urbain. Urbanités paradoxales serait l’expression appropriée pour qualifier la capitale tunisienne telle qu’elle est devenue. A la lumière des modes d'appropriation de l’espace, ce territoire est en perpétuelle gestation, ce qui pourrait être interprété comme une aire d’expérimentation d’une nouvelle forme d'urbanité qui se cherche. Sa refabrication pourrait donner lieu à la naissance de territorialités segmentées, creusets de localités qui coexisteraient de façon plus ou moins hermétique, des villages dans la ville, à échelle humaine. Pour cela, les relations de voisinage s'avèrent également à développer. La densité, le degré de mixité sociale résidentielle et l'existence d'espaces publics, places, parcs, édifices publics, constituent des indicateurs utiles pour mesurer le ou les modes urbanistiques d'un espace. Or, à Tunis, la densité résidentielle est forte, en lien avec les immeubles polyfonctionnels et la coexistence croissante des fonctions de bureau et la vocation résidentielle.

Mieux positionner Tunis comme métropole, structurer le centre de la métropole en valorisant les atouts de ses banlieues, connecter les grands équipements métropolitains, donner de la valeur aux sites stratégiques par une reconversion ciblée, renforcer l’identité de la métropole et la qualité des espaces publics, offrir des alternatives à la voiture et à la saturation des bus, sont autant de défis à surmonter. La genèse de la ville neuve recomposée est étroitement liée aux conceptions de la rue et à la naissance de l’espace public moderne. La mise en service d’un mode structurant de transport collectif doit permettre une meilleure lisibilité du réseau avec des axes de déplacement clairement perceptibles et des stations visibles, accueillantes et fonctionnelles. Cette cohérence sur le réseau s’appuie sur un recours plus systématique à des complémentarités entre modes et doit permettre une simplification de l’offre. Les coûts de mobilité sont aujourd’hui onéreux pour la population moyenne. En effet, le transport est le deuxième poste de dépense des familles, se classant immédiatement après le logement et devançant même l’alimentation. De surcroit, sur une base quotidienne, l’utilisation du transport en commun devient une obligation car il est quasiment neuf fois moins cher que le recours à l’automobile, sans compter l’avantage écologique. Le transport en commun s’impose donc comme une solution économique et de développement durable. Il pourrait être à même de contribuer au mieux-être des populations, si les conditions de transport obéissaient aux standards de qualité. Source d’activité physique quotidienne, car chaque jour, des milliers déplacements sont effectués par les usagers du transport en commun, il pourrait avoir une incidence positive sur la santé publique et sur la qualité de vie des citoyens, parce qu’il réduit les nuisances sonores et abaisse les niveaux de stress, en plus d’améliorer la qualité de l’air et de contribuer à la solution du changement climatique. Le transport collectif contribuerait à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les régions métropolitaines des villes. Il constitue un choix sécuritaire plus efficient que l’automobile et participerait donc à la réduction du nombre des accidents et de perte des victimes de la route. Par ailleurs, les aménagements et équipements urbains du transport en commun pourraient aider à sécuriser les quartiers par la réduction de la vitesse et de la densité de circulation.

Un patchwork urbain dépourvu de structure globale

La capitale tunisienne, un tissage multicolore, un patchwork urbain dépourvu de structure globale. Ce qui apparait d’abord comme un inconvénient, pourrait devenir au XXIème siècle la vision de la société et du monde en devenir. Les métropoles pourraient se dissoudre en une mosaïque de petites villes dont l’assemblage pourrait constituer un nouveau monde urbain. Ne pas avoir un centre prédominant, mais plutôt un ensemble de points reliés les uns aux autres, serait une situation assez unique.  Les mégapoles sont des villes tellement vastes et tellement diverses que les urbanistes peuvent créer leurs propres villes en reliant différentes zones et des quartiers divers. En général, les gares et stations de métro ou de bus sont les principaux points de jonction, prises d’assaut dès le début de la journée, jusqu’à la nuit avancée. La ville est un champ de force énergétique qui inspire et stimule la créativité. La ville rend compte de la complexité des sociétés dans le domaine des arts, de l’esthétique, de la vie. L’intemporalité existe bel et bien au point de trouver la tradition de certains quartiers, côtoyant la modernité technologique d’autres. Si ces centres urbains tentent de vivre leur modernité, on y honore aussi les savoir-faire et les expériences des générations passées en les perpétuant. Dans les banlieues, le regard peut s’étendre au loin, même s’il se focalise parfois sur quelques points centraux. Les défis sont d’aller au plus simple pour que l’on puisse apprécier l’espace ouvert et la vue sur la nature.

Il y a beaucoup de potentiel dans des endroit où les bâtiments seraient de faible hauteur, ce qui pourrait changer le paysage urbain. Il pourrait y avoir moins de grands immeubles et plus de petites constructions basses. Les gens pourraient vivre comme auparavant, sans voitures, circulant à pied, fonctionnement que l’on pourrait retrouver facilement. Il faudrait aussi plaider pour un retour aux matériaux traditionnels comme le bois et la pierre avec une architecture émancipée de la forme rectangulaire, comme un renouveau des vielles métropoles. Il faut prôner de nouvelles façons d’habiter et d’utiliser la mégapole, avec des agencements de petites unités d’habitation ou de création, de manière organique, où l’on note les efforts faits pour les aménager, avec des fleurs et des arbustes, activités humaines qui peuvent en faire des quartiers résidentiels très accueillants à la portée de tous. Tout doit être fait à échelle humaine et en lien avec la vie des habitants. Il est possible d’imaginer des architectures qui transcendent les aspects négatifs de l’urbanisme, avec l’idée de traduire un nouveau style de vie urbain. De voir que l’exiguïté peut engendrer une forme d’habitat complexe, mais confortable, comme aussi la possibilité de créer des lotissements verticaux par empilement d’habitations individuelles. Même les lotissements de banlieue doivent échapper aux principes rigides qui s’appliquent un peu partout dans le monde. On peut oser de nouvelles formes de logements et de vie, là où l’espace est limité. Les constructeurs et architectes ne sont pas obligés de s’adapter à ce qui existe. Ils peuvent se démarquer en concevant leurs propres projets selon leurs perspectives. Il faut se débarrasser de tous les jugements négatifs sur les petites structures et au contraire porter un regard positif sur elles, car il y a des choses que l’on n’arrive à réaliser que dans les espaces exigus. Lorsque l’espace est restreint, la vie est intense. De petites maisons sur de petits terrains, dans de petites rues, preuves que la diversité des formes de construction permet de diversifier les modes de vie. L’élégance est une forme d’esthétique discrète, minimisée en quelque sorte. La beauté qui réside dans la modestie doit devenir une caractéristique de l’esthétique urbaine. Mais pour créer ces nouvelles villes à petite échelle, il faut accepter que la densité de population soit très forte ailleurs, par exemple sur les lieux de travail. Les complexes architecturaux peuvent devenir des villes verticales, des villes dans un seul et même bâtiment, avec tout ce dont on a besoin pour vivre. Les grattes ciels modernes sont par définition des lieux verticaux, mais leur aménagement peut permettre de flâner, se détendre devant un café où rentrer dans son intimité.

La ville d’aujourd’hui c’est aussi moins de tout. Moins de circulation, moins d’énergie consommée, et moins de déchets. Les nouveaux centres ultra modernes en sont capables techniquement et culturellement. Dans les zones les plus compactes, les parcs peuvent être aménagés en hauteur, avec des toits spacieux, végétalisés avec des tonnelles protégeant les gens du soleil et du bruit. La vision des nouvelles mégapoles est celle de la fusion entre la tradition et un présent où tout va toujours plus vite. La modernité des infrastructures se double d’une densification verticale pour regagner à l’horizontale de l’espace, de la place, et de l’air. Les grandes villes ont beaucoup de potentiel, notamment la culture véritable des ruelles et des rues très étroites avec une grande animation populaire où peut déborder, même, la vie domestique des riverains. Des ruelles intimes et chaleureuses dans de nouveau projet urbain en faisant revivre cette culture. Les architectures verticales quant à elles dégagent une force assez impressionnante qui s’allie très bien avec le minimalisme dans une harmonie des contrastes. Le schéma de la ville tentaculaire à l’effervescence permanente veut apprendre la lenteur et retrouver une façon de vivre où l’anonymat fait place aux relations entre voisins et où les aménagements et les bâtiments sont pérennes et bénéfiques pour les habitants. Les mégapoles veulent être des villes modernes et à taille humaine. Il faut s’imaginer vivre demain dans un petit village ultra moderne. 

Monji Ben Raies
Enseignant Universitaire
Juriste Publiciste Internationaliste et Politiste
Chercheur en Droit public et Sciences Politiques
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
Université de Tunis El Manar

 

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