News - 08.02.2023

Conciliation pénale: Mode d’emploi

Conciliation pénale: Mode d’emploi

Le président Kaïs Saïed y fonde de grands espoirs. Pour renflouer les caisses de l’Etat afin de financer des projets prioritaires dans des zones défavorisées, et pour tourner une mauvaise page de la malversation, il escompte la récupération de jusqu’à 13 milliards de dinars. Ce qui ne sera guère aisé. Le décret-loi n° 2022-13 du 20 mars 2022, portant sur la conciliation pénale et l’affectation de ses ressources, servira de base. Il institue notamment un comité national dédié, des procédures, un comité national de suivi d’exécution, avec des comités régionaux et la consultation des populations locales pour le choix des projets à réaliser, sur la base d’au moins 1 000 signatures.

Deux mois à peine après son entrée en fonction le 8 décembre dernier avec la prestation de serment de ses membres devant le président de la République, la Commission nationale de conciliation pénale est fin prête pour statuer sur les dossiers concernés. Le démarrage n’a pas été facile s’agissant d’une nouvelle instance ne disposant pas d’une administration exécutive, de manuels de procédures et des moyens nécessaires, mais tout s’est accéléré. Installée à la Tour de la Nation, l’ex-siège du RCD, qui trône sur l’avenue Mohamed-V, au cœur de Tunis, elle prend ses marques. Comment fonctionnera-t-elle ? Et comment s’exercera la conciliation pénale?

Composition de la Commission nationale de conciliation pénale

 

• M.Makrem Ben Mna, magistrat de l’ordre judiciaire du troisième grade, président,

• M. Khaled Ben Youssef, président de chambre de cassation au Tribunal administratif, premier vice-président,

• M. Khaled Ben Ali, procureur occupant une fonction équivalente à la fonction de président de chambre de cassation à la cour des comptes, deuxième vice-président,

• Mme Lamia Ben Amara, contrôleur général des services publics, représentante du Haut Comité du contrôle administratif et financier, membre,

• M. Lotfi Harzali, contrôleur général des finances, représentant du corps de contrôle général des finances, membre,

• Mme Saida Selmani, Cheffe d’unité à la commission des analyses financières, représentante de la commission des analyses financières relevant de la Banque centrale de Tunisie, membre,

• M. Sami Bezzine, inspecteur central de la propriété foncière à l’Office national de la propriété foncière, représentant du ministère des Domaines de l’Etat et des affaires foncières, membre,

• Mme Fatma Yacoubi, conseiller rapporteur général à la direction générale du contentieux de l’Etat, représentante du Chef du contentieux de l’Etat, membre,

• Mme Hayet Larbi, administrateur à la direction générale des contentieux de l’Etat, rapporteuse générale de la Commission

«L’essentiel est de réussir ce processus dans les délais impartis en mettant en œuvre les dispositions édictées avec l’interprétation appropriée des textes et la fluidité des démarches », explique Makram Ben Mna, magistrat de l’ordre judiciaire du troisième grade et président de la Commission. Pour tout viatique, la Commission n’avait que le décret-loi portant sa création et le décret portant la nomination de ses membres et de son rapporteur. Ni exposé de motifs, ni travaux préparatoires, ni staff administratif et logistique, juste quelques bureaux et ordinateurs. Mais il fallait démarrer, tout forger.

Première action fondamentale, l’élaboration du règlement intérieur de la Commission (mentionné dans l’article 13 du décret-loi) et sa transmission avec ses pièces jointes à la Présidence de la République. Sur la base des textes de commissions similaires quant à la structure, tout en tenant compte de la spécificité de la Commission en particulier et d’un benchmark d’expérience d’autres pays, le règlement intérieur est constitué d’une trentaine d’articles répartis en 7 chapitres portant sur les dispositions générales, le fonctionnement de la Commission, ses fonctions, les commissions y apparentées, l’organisation administrative et financière et les dispositions finales.

Il fallait également procéder à l’élaboration d’une série de documents afin de faciliter le travail de la Commission et la collaboration avec les autres parties concernées. Il s’agit notamment de:

Une note explicative détaillée du décret-loi et du fonctionnement de la Commission

Un guide pratique

Une note quant aux relations entre la Commission et les avocats

Un projet de guide du détenu demandeur de conciliation

Une série de correspondances, notamment pour ce qui est de la liste des experts habilités à être consultés, fixée par un arrêté émanant du chef du gouvernement, la désignation d’un vis-à-vis qui servira de point focal dans les ministères et organismes concernés, et autres

Des modèles-types de tous les documents qui seront émis par la Commission : correspondances, décisions, etc.

Les bases ainsi jetées, le vrai travail commence. Une lecture attentive des dispositions du décret-loi relatif à la conciliation pénale et l’emploi de ses ressources apporte des réponses instructives. Extraits, traduction non officielle, les intertitres sont de la rédaction.

L’objectif

La conciliation pénale a pour objectif de substituer l’action publique ou les poursuites, procès, peines et réquisitions y découlant, qui ont été ou devant être présentées au profit de l’Etat ou de l’un de ses établissements ou quelconque autre partie, et ce, par le paiement de sommes d’argent ou la mise en œuvre des projets nationaux, régionaux ou locaux selon que de besoin.

Sont compris dans le calcul des sommes d’argent ou des projets entrepris, les taux d’inflation sur la base des chiffres officiels fournis par les organismes officiels compétents.

L’application

Toute personne physique ou morale ou son représentant à l’encontre de laquelle une sentence ou des jugements à caractère pénal ont été prononcés, ou qui a fait l’objet d’un procès pénal ou de poursuites judiciaire ou administratives, ou qui a accompli des actes pouvant entraîner des infractions économiques et financières.

Toute personne physique et morale dont les procédures de confiscation et de récupération des biens de l’étranger n’ont pas été accomplies, conformément aux dispositions du décret-loi n°2011-13 du 14 mars 2011 tel que modifié par le décret-loi n° 2011-47 du 31 mai 2011.

Les personnes physiques et morales ayant bénéficié des biens confisqués sans leur valeur réelle de quelque manière que ce soit.

Les dispositions du présent article s’appliquent aux infractions précitées commises avant 2011 et jusqu’à la date de publication du présent décret-loi au Journal Officiel de la République Tunisienne.

La portée

A l’exception des infractions terroristes, la conciliation pénale concerne les infractions, faits, actes et agissements mentionnés à l’article premier du présent décret-loi dans les domaines suivants:

Les deniers publics

Le domaine public et privé de l’Etat,

La malversation,

Le blanchiment d’argent,

La fiscalité,

La douane,

Le change,

Le marché financier et les établissements financiers.

Quelque généraux que soient les termes, le champ de la conciliation pénale ne concerne que les faits, actes, agissements, procès et droits compris dans la réconciliation. (Art.6)

La saisine

Trois voies:

Une demande de l’intéressé ou de son avocat

Une saisine d’office

Sur renvoi des commissions et des organismes légalement en charge des dossiers relatifs aux faits mentionnés à l’article 6 du présent décret-loi, même s’ils ne donnent pas lieu à des infractions ou poursuites judiciaires ou administratives

L’examen de la demande

La Commission nationale informe l’instance saisie du dossier de demandeur de la réconciliation. L’instance susvisée doit fournir à la commission des copies légales des jugements et documents relatifs aux affaires en instance et aux actes de poursuite en cours dans un délai n’excédant pas sept (7) jours.

Vérification de l’accomplissement des conditions de forme de la demande et de la valeur de référence des montants à payer.

Investigations nécessaires et se faire produire les documents et données auprès des services administratifs, des établissements financiers ou de tout autre organisme et effectue des expertises chaque fois que de besoin.

Le comité d’experts est choisi parmi une liste fixée par arrêté émanant du chef du gouvernement. Il doit soumettre ses travaux à la Commission nationale de conciliation pénale dans un délai maximum de vingt (20) jours à compter de la date de sa saisine.

Le demandeur de la réconciliation peut déposer/ porter plainte auprès de la Commission nationale de réconciliation pénale concernant le résultat de l’expertise dans un délai de sept (7) jours à compter de la date de sa notification ou la notification de son représentant les conclusions de l’expertise.

La commission ordonne alors une nouvelle expertise effectuée par un autre comité d’experts de la même liste.

Dans tous les cas, la Commission nationale de conciliation pénale n’est pas liée par les conclusions des expertises/ les conclusions des expertises ne lient pas la Commission nationale de réconciliation pénale.

La Commission nationale de conciliation pénale propose la réconciliation au demandeur et négocie avec lui la valeur des montants à payer dans le cadre de la réconciliation pénale.

En cas d’accord, la conciliation est conclue dans les limites du montant des sommes détournées, de la valeur de l’avantage acquis ou du montant des dommages causés aux fonds publics, tels que déterminé par la commission, incrémenté de 10% pour chaque année à partir de la date de son obtention.

La convention de conciliation revêt le caractère réconciliation définitive si elle aboutit au paiement de l’intégralité des sommes dues ou après la réalisation des projets engagés.

Si le choix du demandeur de la réconciliation, après approbation de la Commission nationale de conciliation pénale, porte sur la réalisation des projets dans les limites des montants à payer, la conciliation prend la forme d’une réconciliation provisoire, à condition de percevoir à titre de consignation au moins 50% de la valeur des montants fixés par la commission.

La Commission nationale de conciliation pénale peut accepter une offre de réconciliation provisoire si l’option de réconciliation consiste à payer des sommes d’argent, à condition de garantir au moins 50 % de la valeur des montants à payer. La commission fixe un délai n’excédant pas trois (03) mois pour s’acquitter du reste des montants à payer au titre de la réconciliation pénale.

Dans les deux cas, la conciliation pénale provisoire encourt la suspension des poursuites ou du procès ou de l’exécution de la peine conformément aux procédures prévues à l’article 34 du présent décret-loi, sans préjudice de la présence du demandeur de la réconciliation, y compris l’interdiction de voyager conformément à l’article 36 du présent décret-loi.

En cas d’inexécution des clauses de la conciliation pénale, les fonds consignés sont légalement transférés à l’Etat et les poursuites, procès ou l’exécution des peines reprendront.

La Commission nationale de conciliation pénale statue sur les demandes de réconciliation en assemblée générale à la majorité absolue des membres présents. Un procès-verbal de la séance est dressé et signé par tous les membres contenant un descriptif des éléments de la conciliation pénale, notamment la valeur des montants exigés ou le projet et les projets engagés et approuvés.

Le demandeur de la conciliation pénale ou son avocat doit apposer, séance tenante, sa signature au bas du procès-verbal de la séance de la conciliation pénale.

Le projet de conciliation pénale définitive ou provisoire est dressé après apposition du procès-verbal de la séance de la conciliation pénale par toutes les parties.

La Commission nationale de conciliation pénale statue sur les demandes de réconciliation dans un délai n’excédant pas quatre (4) mois à compter de la date de saisine du dossier de la conciliation pénale.

Le contrat de conciliation pénale définitive n’est conclu avec la Commission nationale de conciliation pénale qu’après consignation de l’intégralité des montants inclus dans le contrat de la conciliation au compte spécial ouvert au Trésor de l’Etat, conformément à l’article 38 susmentionné au présent décret-loi, la délivrance d’un ou des récépissés de dépôt ou la réalisation des projets convenus et l’établissement de la preuve de ceci sur la base d’un rapport émanant du comité chargé du suivi de l’exécution des conventions de la conciliation et de la réalisation des projets dans les régions et la présentation par le concerné d’un procès-verbal de réception provisoire de l’achèvement des travaux.

Il en est dressé un écrit signé par le président de la Commission nationale de conciliation pénale, le demandeur de la conciliation ou son avocat.

L’affectation des ressources

Les fonds déposés «au compte des ressources de la réconciliation pénale pour le financement des projets de développement» sont affectés au financement de la mise en œuvre de projets de développement en s’appuyant sur la spécificité des régions, les besoins des populations, les priorités nationales et locales et les objectifs fixés dans les plans de développement.

Les ressources de la conciliation pénale sont ventilées comme suit:

80% sont alloués au profit des délégations bénéficiaires des projets cités, selon l’ordre des plus pauvres aux moins pauvres.

20% sont alloués au profit des collectivités locales pour contribuer au capital des entreprises locales ou régionales prenant la forme de sociétés citoyennes, d’investissement ou commerciales conformément à la législation en vigueur.

La gestion de ces fonds est soumise au contrôle de la Cour des comptes.

L’exécution de la réconciliation pénale

La Commission nationale de conciliation pénale assure le suivi de l’exécution des clauses de la conciliation pénale provisoire si la conciliation aboutit à la réalisation de projets, et ce, en coordination avec le comité de suivi de l’exécution des conventions de conciliation et de la réalisation des projets dans les régions. Celle-ci doit, à son tour, lui communiquer les résultats de ses travaux conformément aux attributions qui lui sont dévolues en vertu du présent décret-loi, et ce, chaque mois.

Le comité de suivi de l’exécution des conventions de conciliation et de la réalisation des projets dans les régions.

Il est créé au sein du ministère chargé de l’Economie un comité dénommé «Comité de suivi de l’exécution des conventions de réconciliation et de la réalisation des projets dans les régions».
Le comité procède au:

Classement des concernés par la conciliation provisoire selon l’ordre décroissant en fonction des montants inclus dans les conventions de conciliation provisoire et de l’identification du projet que chacun d’eux devrait réaliser et sur la base du classement officiel retenu par l’administration pour les régions des plus ou moins pauvres,

Réception des dossiers des projets qui ont été approuvés par les comités régionaux de suivi des projets et coordonner entre eux. Il peut, le cas échéant, exiger que leur soient fournies des données précisions complémentaires, et renvoyer le dossier du projet au comité régional concerné pour réexamen et remédier à l’irrégularité ou au manquement dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la date de sa transmission au comité régional concerné,

Suivi de l’exécution des projets définitifs déférés aux comités régionaux,

Notification au bénéficiaire de la conciliation provisoire du projet qui lui sera confié, le met en contact avec le conseil régional ou l’organisme public concerné par le projet et l’invite à conclure avec lui un contrat aux fins de réalisation du projet, conformément à un dossier définitif établi à cet effet dans un délai maximum de 3 mois à compter de la date de son invitation, comprenant les caractéristiques techniques du projet, son coût, la modalité et les étapes de sa réalisation,  son mode de suivi et les garanties y afférentes réalisées par un bureau d’études agréé, conformément à la réglementation en vigueur.

Il est créé au niveau de chaque gouvernorat concerné un comité dénommé «Comité régional de suivi et de coordination des projets», présidé par le gouverneur et composé des directeurs des administrations régionales relevant des ministères dans chaque gouvernorat.

Le Comité régional s’engage à inviter les habitants des délégations concernées, par quelque moyen que ce soit, à formuler des propositions de projets qu’ils souhaitent mettre en œuvre, soit directement auprès du comité contre récépissé, soit par lettre recommandée ou par e-mail, dans un délai ne dépassant pas un mois à compter de la date de l’invitation.

La proposition de projet n’est acceptée qu’après sa signature par un nombre d’habitants ne pouvant pas être inférieur à 1 000 personnes et qu’elle soit accompagnée d’une étude préliminaire du projet comprenant un descriptif de celui-ci, une estimation de son coût, de sa capacité d’employabilité et, s’il échoit, sa rentabilité.

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