Opinions - 01.02.2023

L’édito de Taoufik Habaieb: Nous sommes tous des migrants

L’édito de Taoufik Habaieb: Nous sommes tous des migrants

En finir avec cette hypocrisie générale qui sévit partout dans le monde, entre les deux rives de la Méditerranée en particulier ! Incontournable, la question migratoire doit cesser d’exacerber les tensions et de dresser les uns contre les autres. Nous devons la regarder en face, la traiter en profondeur, l’organiser de concert.

La peur du migrant ne saurait exister. Se débarrasser des réfugiés indésirables en quitte à les parquer dans une autre contrée comme certains pays occidentaux y songent est non seulement inacceptable, mais aussi à dénoncer vigoureusement.

La mobilité relève du droit, le respect du migrant s’impose en éthique. Plus aucun pays ne saurait se barricader, empêcher ses ressortissants de partir, ou interdire l’accès à son territoire aux autres. La donne a changé.

La pénurie de main-d’œuvre se fait vivement ressentir dans de nombreux pays.
L’Allemagne estime avoir besoin, d’ici à 2060, de 260 000 travailleurs supplémentaires par an. La France enregistre 400 000 emplois restés vacants. Partout, de nombreux métiers sont en tension. L’économie en souffre, les soins de santé en pâtissent. L’impact de la désertification médicale se fait ressentir. Un appel d’air en ressources humaines qualifiées devient salutaire. Chaque pays s’y met à sa manière.

Une nouvelle politique d’immigration se concocte en Europe. L’Allemagne prend les devants et planche sur une nouvelle loi. Le principe repose sur l’assouplissement des critères de sélection des candidats étrangers et la simplification des démarches. L’obtention au préalable d’un contrat de travail et la maîtrise parfaite de la langue allemande ne sont plus absolument exigées. La France s’apprête à faire voter une loi «pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration.» L’esprit en est de pousser les «indésirables» à quitter le territoire français et de s’adjoindre les «utiles», indispensables pour l’économie, la société, le pays. Régularisation de situation, création d’un nouveau titre de séjour «métier en tension» et autres mesures sont envisagées.

La plupart des dispositifs imaginés favorisent attractivité et sélectivité : les meilleurs. La migration clandestine reste à réduire au minimum. La collaboration entre pays d’origine (ou émetteurs) et pays d’accueil devient essentielle. Elle est érigée en critère d’accroissement de l’aide publique.

Pour la Tunisie, l’enjeu est double. «La crème de la crème» de ses forces vives en médecine, informatique et divers autres métiers n’hésite plus à s’expatrier en toute légalité, alors que d’autres bravent tous les dangers de la mer, dans la clandestinité. Les statistiques s’emballent. Dans l’autre sens, des flux massifs de migrants subsahariens déferlent : la plupart en transit
(14 000 partis en 2022), mais de plus en plus nombreux sont ceux qui choisissent de s’installer en Tunisie. Faute de statut régulier, ils sont dans une situation précaire qui les expose à de multiples risques.

Une vision globale de la question migratoire nous manque. L’absence d’une stratégie intégrée nous pénalise. Rien que la multiplicité des intervenants et leur dispersion sont édifiantes : Office des Tunisiens à l’étranger (OTE, relevant du ministère des Affaires sociales), Agence tunisienne de coopération technique (Atct, relevant du ministère de l’Economie et du Plan), Agence nationale pour l’emploi et le travail indépendant (Aneti et permis de travail pour étranger, relevant du ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi), le tout étant coiffé par le ministère des Affaires étrangères et des Tunisiens à l’étranger… Quelle coordination et quelle synergie entre eux ?

Remettre à plat la politique actuelle, forger une vision d’ensemble et concevoir un plan d’action: une grande urgence. Comment gérer les flux de migrants subsahariens ? Comment organiser le départ des Tunisiens tentés par l’expatriation ? Comment négocier avec les pays d’accueil des filières sécurisées, fluides et rapides ? Différents aspects sont à traiter. L’ensemble ne saurait demeurer l’apanage des pouvoirs publics. La société civile en est partie prenante. Plus encore, l’ensemble des Tunisiens. D’où la nécessité d’organiser un débat sociétal sur la question migratoire.

Osons regarder en face cette question essentielle. Osons en parler entre nous tous. Osons en discuter / négocier avec nos partenaires à l’étranger ! Tant de drames humains à éviter. Tant de rêves à concrétiser. Toute la dignité à préserver.

Nous sommes tous des migrants…

Taoufik Habaieb