News - 14.09.2022

Elizabeth II: Piments et bananes plantains

Elizabeth II: Piments et bananes plantains

Par Mohamed Larbi Bouguerra - Voilà un décès qui tombe bien mal pour un pays en pleine crise- grèves des transports, retombées du Brexit, velléités d’indépendance en Ecosse et en Irlande du Nord, des atermoiements au Canada et en Australie au sujet du chef de l’Etat, un tout nouveau Premier Ministre Liz Truss, désignée par un parti conservateur divisé (53% seulement en sa faveur et 47% pour son challenger Rishi Sunak)- un pays qui va s’arrêter de travailler pendant une bien longue période dans ce chaos économique et ces mouvements sociaux inédits d’autant dit un expert que : «les Britanniques savent extrêmement bien mettre en scène des obsèques» (Ouest-France, 10-11 septembre 2022, p.3). Lesquelles coûteraient 35 millions d’euros au peuple britannique.

Piments et bananes plantains

Délaissant les marées de fleurs devant les châteaux et les foules éplorées des quartiers chics, un journaliste d’une radio publique française est allé voir l’écho de la mort d’Elizabeth II en périphérie, là où l’on vend «piments et bananes plantains» précise-t-il. Car, comme chacun sait, ces aliments sont la nourriture de base de l’Anglais du Sussex à la Cornouaille, n’est-ce pas? Ah! Ce passé colonialiste! Ah ! Ce passé esclavagiste ! Là, le reporter interroge un homme sur son sentiment par rapport au décès de la reine. Réponse: «Monsieur, moi je travaille. Paix à ses cendres».

Cet homme modeste travaille au Royaume Uni qui est maintenant «un pays cosmopolite» dit l’éditorial du Monde (10 septembre 2022, p. 36). Le reporter français n’a pas encore assimilé cette donnée!

Mais Elizabeth II elle, était à la tête d’une fortune de 436 millions d’euros comprenant d’immenses terres agricoles- qui ont bien profité des subventions de l’UE, avant le Brexit- des chevaux pur-sang, une collection de timbres inestimable, des peintures, des châteaux, des voitures de collection… et pas moins d’une trentaine de chiens corgis ! Le tout, sans droit de succession pour ses héritiers, bien entendu.

Dans Ouest France (10-11 septembre 2022, p. 3), Catherine Marshall, professeur d’histoire de la civilisation britannique à l’Université Cergy-Paris met en lumière les problèmes structurels au Royaume Uni avec notamment des inégalités profondes et des problèmes de productivité qui vont amener d’énormes difficultés car l’inflation atteint des niveaux record et la facture d’énergie risque d’augmenter de 80% pour les ménages. Le grand cinéaste britannique Ken Loach affirme que le mouvement social qui est en train de se développer au Royaume Uni est «un réflexe de survie par rapport aux attaques que subissent les salariés.» (L’Humanité, 9-11 septembre 2022, p. 8).

Elizabeth II avait pour mentor en politique Winston Churchill qui fut son premier premier ministre. La carrière politique de ce dernier a commencé lorsque, ministre de l’Intérieur, il a mis le feu à un immeuble rempli selon lui de «vermine» c’est-à-dire de syndicalistes et de grévistes dans lesquels il voyait les artisans d’une révolution bolchévique. Il a suggéré l’utilisation du gaz de combat moutarde contre les Turcs pendant la Première Guerre Mondiale. En 1943, l’Inde souffrit d’une famine grave mais Churchill en exigea du riz et conseilla aux Indiens de ne pas «se reproduire comme des lapins».

La reine, rien qu’une façade

Dans le Figaro, la philosophe Chantal Delsol affirme que sa «Gracieuse Majesté renvoyait de son pays une magnifique image.» C’est oublier que la devise d’Elisabeth II était : «Never explain, never complain» (Ne jamais expliquer, ne jamais réclamer ou se plaindre). Comme disait Beaumarchais, elle faisait partie de ces gens qui «n’ont eu qu’à se donner la peine de naître» Elle n’avait rien à dire car elle n’est, en fait, qu’une façade pour un système économique et social des plus inégalitaires où 2 millions d’Anglais aujourd’hui ne prennent qu’un repas par jour, faute de moyens et où la fréquentation du collège d’Eton ou des Universités d’Oxford et de Cambridge est réservée aux «happy few», des aristocrates même si la famille royale formée de cavaliers et de chasseurs demeure «éloignée de la vie culturelle et intellectuelle moderne». (Le Monde, 14 septembre 2022, p. 30). En 70 ans, elle n’a fait que quatre discours et n’a jamais accordé d’interviews.

La reine, une façade où ont apparu cependant quelques fissures : le drame Diana, l’affaire Meghan sans parler des turpitudes de son fils Andrew, mêlé aux orgies du financier pédophile américain Jeffrey Epstein – dont le carnet d’adresse renfermait les téléphones de Tony Blair, d’Andrew et d’Ehud Barak, un ancien premier ministre israélien- ou de son petit- fils Harry déguisé en nazi lors d’une soirée.

Au final, la royauté est un anachronisme à notre époque : 27% des Britanniques et 40% des 18-24 ans souhaitent son abolition. (Le Monde, 10 septembre 2022).

Charles III, sera-t-il le dernier roi ?

Elizabeth II, un vrai globe trotter…. qui a ignore Israël

Au cours de sept décennies, Elisabeth II a visité 120 pays. Le Président Bourguiba l’a reçue chez nous, en octobre 1980, avec son mari, le prince Philip.

Elle n’a cependant jamais mis les pieds en Israël alors que la déclaration Balfour est l’œuvre de la perfide Albion ! Le quotidien Haaretz parle même d’un boycott non-officiel. Les diplomates anglais répondaient invariablement que cette visite aura lieu «quand il y aura une paix durable». (Lire Ofer Aderet, «Over 120 countries but never Israël : Queen Elisabeth’s unofficial boycott», Haaretz, 9 septembre 2022). Ce qui n’empêcha nullement les visites non officielles de son mari et de sa progéniture.

Elle s’est rendue en Jordanie en 1984. La visite a fourni des éléments considérés comme hostiles à Israël à en croire le journal Haaretz. Ainsi, il a été rapporté que Son Altesse a été perturbée lorsque des jets israéliens sont passés au-dessus d’elle alors qu’elle regardait la Cisjordanie de l’autre côté du Jourdain. «Comme c’est effrayant», murmura-t-elle alors. L’épouse du roi Hussein, la reine Nour, répondit : «C’est terrible. » Plus tard, lorsqu’on lui a montré une carte de la Cisjordanie sur laquelle figuraient les colonies, elle a dit : «Quelle carte déprimante.»

Georges VI, son père, avait demandé au Foreign Office de dire aux leaders de l’Allemagne nazie d’empêcher les juifs d’émigrer vers la Palestine alors sous mandat britannique.

Piments et bananes plantains?

Il n’en demeure pas moins qu’Elizabeth II devint une véritable amie de Nelson Mandela. Un jour, elle lui téléphona pour lui reprocher de s’être rendu au Royaume Uni sans avoir logé chez elle. (Le Monde, 14 septembre 2022, p. 30).

Contre l’avis de Margaret Thatcher, son Premier ministre, elle était pour le boycott et les sanctions contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. On ne saura jamais sa position quant à l’apartheid mis en place par Israël vis-à-vis des Palestiniens !

«Rule Britannia» (Gouverne Britannia) disait-on à l’époque où l’Angleterre dominait les mers*. Aujourd’hui, écrit Simon Kuper, journaliste et écrivain (Financial Times), «Le décès d’Elizabeth est un symbole presque trop flagrant du déclin du Royaume Uni.»

Mohamed Larbi Bouguerra

* Un vieil ami srilankais, cosmochimiste dans une université américaine, disait en riant : «Le soleil ne se couche jamais sur l’empire britannique car Dieu ne fait pas confiance à un Anglais dans le noir !» A joke, of course !