News - 13.07.2022

Pour les tribunaux israéliens, les juifs ne peuvent être des terroristes

Pour les tribunaux israéliens, les juifs ne peuvent être des terroristes

Par Mohamed Larbi Bouguerra - L’éditorialiste du quotidien israélien Haaretz (11 juillet 2022) écrit : « Le tribunal de district de Haïfa a condamné Roman Levitan, 35 ans, pour sa participation à une agression brutale à Or Akiva [à 39 km au nord de Tel Aviv] pendant la guerre de Gaza en mai 2021. Selon le tribunal, Levitan et un groupe d'autres émeutiers ont attaqué A.A. âgé de 31 ans, un résident [Arabe Israélien] de Jisr al-Zarqa, alors que la victime était déjà allongée sur le sol, blessée et en sang, simplement parce qu'il était arabe [Palestinien] [et qu’une foule de 20 émeutiers hurlaient « Mort aux Arabes » en le tabassant avec des bâtons et en le lardant de coups de couteaux].

Malgré cela, le tribunal n'a condamné Levitan que pour tentative d'agression aggravée et port d'un couteau, tout en l'acquittant de l'accusation d'agression aggravée réelle et lavé également de l'accusation de commettre un "acte de terreur".

L'acquittement de Levitan de l'accusation de terrorisme est extrêmement étrange. La Cour a déclaré que même si nous supposons que l'attaque a été commise pour des raisons nationalistes, la « mens rea », (c’est-à-dire l’intention criminelle), nécessaire pour en faire un acte de terreur n'existait pas. Il est stupéfiant que la Cour ait décrit le motif raciste et nationaliste de Levitan comme purement hypothétique alors qu'il n'y a même pas l'ombre d'un doute que c'était son motif, et qu'elle s'est donc sentie obligée de déclarer sans équivoque que la mens rea n'existait pas.

Non moins ridicule est la conclusion de la Cour selon laquelle l'accusation n'a pas réussi à prouver que l'attaque avait été commise dans le but de semer la peur ou la panique - une condition nécessaire pour qu'un acte soit considéré comme terrorisant. Après tout, que voulaient les auteurs de cette agression, surtout les racistes parmi eux comme Levitan, sinon semer la peur et la panique dans le groupe de population particulier auquel appartenait la victime ? Il faut être très déconnecté de la réalité pour ne pas s'en rendre compte.

De plus, la loi stipule que l'objectif de semer la peur ou la panique ne doit pas être le seul ou même le principal objectif de l'acte pour qu'il soit terroriste. Selon de nombreuses décisions de justice, même si le défendeur ne cherche pas à répandre la peur, mais est simplement conscient qu'il est très susceptible de le faire, cela suffit. Sur la base de cette interprétation, Levitan aurait dû être condamné pour un acte de terrorisme, même si le fait de semer la peur n'était qu'un objectif secondaire, ou même s'il avait simplement prévu que ce serait très probablement le cas.

Mais la partie la plus troublante du verdict est son message implicite : les mots "terrorisme" et "Juifs" ne peuvent jamais aller ensemble. Alors que "Arabes" et "terrorisme" sont considérés comme une combinaison naturelle en Israël, indépendamment de ce que font réellement les Arabes, toute tentative d'attribuer le terrorisme aux Juifs se heurte à un mur, comme s'il s'agissait d'une contradiction dans les termes. C'est précisément la ligne adoptée par le gouvernement lors des émeutes interethniques qui ont accompagné la guerre de mai 2021 - qu'il n'y avait aucune ressemblance entre les émeutes juives et les émeutes arabes. Maintenant, le tribunal a fait écho à cette ligne de pensée. Le terrorisme n'est que pour les Arabes, et l'égalité devant la loi restera une simple décoration dans nos livres de droit. »

Ajoutons à cet éditorial cette phrase explicative indigne du juge Erez Porat - qu’il faut mettre dans la même case que le juge Cauchon : « Concernant l'acquittement pour terrorisme, même si je présume qu'il a agi sur la base d'un motif raciste, étant donné la nature de ce qui s'est passé, nous ne pouvons pas encore dire qu'un acte de terrorisme a été commis. La présence d'un couteau dans sa poche est une preuve circonstancielle."

Au juge Porat, s’applique le proverbe tunisien qui dit : « Ce sont des chèvres, même si elles volent ! » Un juif ne saurait commettre d’actes de terrorisme voyons ! Albert Einstein, à son époque déjà, qualifiait pourtant de terroriste Menahem Begin ! Pour ne rien dire de Sharon, de Ben Gourion, de Moshé Dayan, de Netanyahou, d’Ehud Barak ou de Gans !

Egalite devant la loi en Israël ? Une sinistre plaisanterie !

Le cas du criminel Ramon Leviatan est loin d’être unique ou isolé. Excepté le quotidien Haaretz, nul n’a parlé, en Israël ou ailleurs, de cet acquittement scandaleux prononcé par le juge Porat relevant à la « seule démocratie » du Moyen-Orient comme chacun sait. Le 24 mars 2006, Elor Azaria - un Franco-Israélien - avait tiré une balle dans la tête d’Abdelfatah Chérif, étendu à terre et saignant abondamment, incapable du moindre acte. Ce lâche assassinat a fait de lui un héros national en Israël. 

Face au cas du criminel Leviatan évoqué par l’éditorial de Haaretz, il est courant de constater que la loi israélienne s’applique différemment aux Palestiniens et aux juifs. Le cas poignant de Saâdia Matar, 64 ans, du village d’Idna, près de Hébron, est révélateur à cet égard. Saâdia est morte de façon inexpliquée le 2 juillet 2022 dans la prison israélienne de Damon, dans le nord d’Israël. Elle avait 64 ans. Elle était la mère de 8 enfants et la grand’mère de 28 petits enfants. Il y a six mois, comme à son habitude, deux fois par semaine, elle allait rendre visite à sa fille Tamra, 35 ans, et à sept de ses petits-enfants qui vivent dans la vieille ville d'Hébron, contrôlée par les colons, l'armée et la police.

Matar est partie le matin du 18 décembre 2021, a pris un taxi collectif jusqu'à Hébron, a traversé à pied les postes de contrôle du quartier occupé et est arrivée au domicile de sa fille. La visite finie, elle a entrepris de rentrer chez elle. C’est là que cette grand’mère a vécu le drame qui devait la conduire en prison.

Elle est arrivée au poste de contrôle de Gutnick, en contrebas du Tombeau des Patriarches. Des témoins oculaires palestiniens ont déclaré à Manal al-Jabri, chercheuse sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem, qu'ils avaient vu un colon la frapper et la faire tomber au sol. Ils n'ont pas été en mesure de dire ce qui avait précédé. Selon des informations des médias israéliens qui ne sont pas confirmées, la femme âgée a tenté de poignarder un résident de 38 ans de la colonie urbaine de Kiryat Arba, qui jouxte Hébron, et l'aurait légèrement blessé. Impensable pour sa famille et ses proches ! La police israélienne a publié la photo d'un couteau que, selon elle, Saâdia Matar tenait dans sa main. Une autre photo la montre allongée sur le dos, les bras tendus sur les côtés, sans rien à côté de son corps - ni sac à main, ni couteau - et quatre agents de la police des frontières se tenant au-dessus d'elle. Le porte-parole de la police des frontières a déclaré à l'époque que "des agents de la police des frontières stationnés dans le Tombeau des Patriarches sont arrivés sur le site et ont maîtrisé la terroriste en peu de temps sans avoir recours aux armes à feu", ajoutant que la "terroriste" a été emmenée pour être interrogée par "le personnel de sécurité". Elle a été par la suite incarcérée. Son procès était en cours mais la police et le Shin Bet l’avaient déjà jugée : ils ont annulé tous les permis de travail de cinq ans en Israël de sa famille. Sa fille Hayet 24 ans et son fils aîné Ala 40 ans lui ont rendu visite à quelques rares occasions. Ils l’ont trouvée en très mauvaise santé, probablement par manque de soins et suite à sa chute et aux coups reçus sur la tête. Avant cette journée fatidique de décembre, Saâdia était en bonne condition physique et se rendait à pied pour ses visites familiales (Lire Gidéon Levy et Alex Levac, Haaretz, 9 juillet 2022). Israël n’a pas encore consenti à restituer sa dépouille à sa famille.

Le député sioniste Itamar Ben Gvir du parti d'extrême droite Otzma Yehudit. (Front National juif) a fortement critiqué la police car elle n’avait pas suivi la procédure habituelle chère à son cœur : exécuter sur place la grand’mère palestinienne de 64 ans !

Tous les jours, les Palestiniens subissent les exactions, les attaques et les meurtres perpétrés par les colons protégés par l’armée d’occupation. On arrache leurs oliviers et leurs arbres fruitiers. Leurs pâturages deviennent des zones de tirs de l’armée d’occupation ou sont volés par les colons moldaves, américains ou français de retour dans la terre de leurs ancêtres !

Ainsi, Amira Haas écrit, le 12 juillet 2022, dans Haaretz sous le titre « Comment chasser les Palestiniens de leurs terres » :
« À coups de matraques et de menaces, les résidents de dix avant-postes de bergers israéliens (colons) au nord de Ramallah chassent les Palestiniens de leurs terres. Le schéma se répète : attaquer les Palestiniens et prétendre ensuite qu'ils ont été attaqués les premiers. » La journaliste détaille : « À 19h30, le 14 juin 2022, les assaillants sont arrivés à la tente où Hajar et Mustafa Ka'abneh vivent dans le campement familial de Ras al-Tin, au nord-est de Ramallah. "Nous étions assis dans la tente, et soudain, quatre voitures civiles et une voiture militaire sont arrivées", a déclaré Ka'abneh. "Environ 15 colons en sont sortis et quatre ou cinq autres soldats. Je me tenais à l'entrée de la tente. Plusieurs colons m'ont attaqué. L'un d'entre eux m'a frappé avec un gourdin et quelqu'un a pulvérisé du spray au poivre dans mes yeux. Ma femme est sortie, et l'un d'eux l'a attaquée avec un club. Pas un seul coup. Cinq. Elle s'est évanouie." Mustafa et ses fils ont été, bien entendu, arrêtés… car Palestiniens. Haas note : « Entre janvier et mercredi dernier (6 juillet), 40 agressions commises par des Israéliens juifs contre des agriculteurs et des bergers palestiniens ont été recensées (sur les 370 agressions commises par des Israéliens contre des Palestiniens recensées par les Nations unies au cours de cette période dans toute la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est). »

Saâdia Matar et Ramon Leviatan : Une nouvelle preuve certes du racisme et de la règle des « Deux poids, deux mesures » dans cet Etat d’apartheid qu’est Israël mais une affaire d’injustice entre mille.

Sylvain Cypel affirme que les dirigeants israéliens n’ont qu’une ligne de conduite : la force et rien que la force. Il écrit que la sagesse populaire israélienne a un dicton radical (à défaut d’être intelligent) qui dit : « Ce qui ne s’obtient pas par la force s’obtient en usant de plus de force. » (« L’Etat d’Israël contre les juifs », Editions La Découverte, Paris, 2020)

Mohamed Larbi Bouguerra