Lu pour vous - 18.11.2010

Joseph Raffo, "un grand serviteur" de l'Etat tunisien au XIXe siècle

Pendant des siècles, la Tunisie a été une terre d’immigration. D’abord, dans l’antiquité avec les Phéniciens, les Romains,  les Vandales, les Byzantins, puis, ce fut au tour des Arabes au VIIe siècle d'occuper le pays, suivis, en 1535 par les Espagnols, les Turcs, puis les Morisques, chassés d'Espagne,  les missionnaires, les commerçants et colons français, bientôt rejoints par les Maltais, les Italiens et  les Espagnols de s'installer en Tunisie.Si les communités musulmanes étrangères ont fini par se fondre dans le melting pot tunisien, la plupart des immigrés chrétiens et juifs venus de Livourne et qu'il ne faut pas confondre avec les juifs twansa, ont lié leur sort à la France et préféré quitter le pays en 1956 avec la proclamation de l'indépendance. Pendant deux siècles, ils ont servi de cinquième colonne aux puissances étrangères qui avaient des visées sur la Tunisie comme la France, l'Italie ou l'Angleterre

Dans la thèse de doctorat qu’il a soutenue à l’université de Tunis en 1999 et qu’il a publiée au début de cette année(1), Habib Jamoussi évoque le rôle néfaste de ces communautés dans la pénétration de l'influence étrangère d'abord économique, culturelle puis militaire et politique. Vivant en vase clos, sans contact avec les autochtones sous la protection de leurs consuls et disposant de nombreux privilèges sur le plan commercial, elles ont largement contribué à la banqueroute de l'Etat tunisien et rendu inévitable l'instauration du protectorat. Même ceux qui ont joué la carte de l'intégration ne sont pas exempts de reproches comme l'atteste l'exemple de Joseph Raffo qui a été le premier tunisien à accéder au poste de ministre des affaires étrangères, poste qu'il occupera pendant 37 ans,  sous le règne de trois beys : Ahmed, Mhammed et Sadok,  soit de 1835 jusqu’à sa mort en 1862. 

Né en 1795 au Bardo, de parents italiens, d' anciens esclaves, il était le beau-frère de Mustapha Bey et l’oncle maternel  du Mouchir Ahmed Bey qu’il a accompagné en 1846 lors de son voyage en France, le premier qu’un chef d’Etat arabe accomplissait dans ce pays. 

Au cours du règne de ce bey, il fut l’homme des missions délicates auprès des cours européennes.  Et on lui doit de nombreux succès diplomatiques, bien qu’il ait échoué dans ses tentatives d’amener l’Angleterre à reconnaître l’indépendance de la Tunisie de l’Empire ottoman.  Grâce aux différentes charges qu’il avait occupées, Raffo amassa une fortune considérable qui lui permit d’acquérir des biens immobiliers et des palais dans la banlieue de Tunis. N’ayant jamais renié sa fois chrétienne, ll fit preuve d’activisme dans sa défense des chrétiens, mettant toute sa fortune au service de la propagation de la foi chrétienne (en l'occurrenvce catholique) et contribuant  à la construction et la rénovation d’un certain nombre d’églises. Il profita également de ses fonctions pour obtenir nombre d'avantages pour ses coreligionnaires. Pendant toute sa carrière politique,  il aura été en quelque sorte un missionnaire tout dévoué à sa religion, plus que le ministre d'un pays musulman. Avec un tel cheval de Troie installé au sommet de l'Etat, on comprend l'état de déliquescence d'un régime qui tel un bateau ivre allait finir par prendre eau et couler en quelques années. Le pays était colonisable,  incapable d'opposer la moindre résistance au premier qui oserait. Ce fut la France, un certain 12 mai 1881.    

(1)Habib Jamoussi, Juifs et Chrétiens en Tunisie au 19e S. Essai d’une étude socio-culturelle des communautés non-musulmanes (1815-1821) AMAL  édition 2010