Mohamed El Béji Hamda: Le gouverneur de la Banque centrale qui a laissé une forte empreinte
Par Mohamed Férid Ben Tanfous - Il avait détenu, après le fondateur Hédi Nouira, le record de longévité à la tête de la Banque centrale de Tunisie. Onze ans durant, de 1990 à 2001, Mohamed El Béji Hamda, décédé début janvier dernier à l’âge de 88 ans, y a laissé son empreinte. Né le 26 mai 1934 à Ras Jebel (dont il sera le maire), cet économiste de formation a fait, dès son retour de Paris, toute sa carrière dans la banque. C’est ainsi que gravissant les échelons un à un, il sera notamment PDG de la BNA, puis de la STB, avant de diriger l’UTB à Paris (1984-1988). Mohamed El Hamda Béji sera nommé en 1988 vice-gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, alors dirigée par Ismail Khelil. Le 3 mars 1990, il sera promu gouverneur, poste qu’il occupera jusqu’à son départ à la retraite, le 22 janvier 2001.
La Tunisie vient de perdre l’une de ses illustres figures financières et bancaires, Mohamed El Béji Hamda. Un homme d’une qualité exceptionnelle, tant de par sa compétence que de par sa vaste culture et son intégrité.
Je l’avais connu en qualité de gouverneur de la Banque centrale, ayant eu la chance de travailler à ses côtés pendant de longues années, bénéficiant de ses conseils et de ses encouragements. Une grande relation d’amitié était ainsi née, fondée sur le respect mutuel, et s’élevant à un lien filial.
Tous reconnaissent que Mohamed El Béji Hamda aura été l’un des gouverneurs qui ont le plus marqué cette institution et réussi à sa gouvernance, parmi tous ceux qui s’y étaient succédé depuis son fondateur, Hédi Nouira, puis Ali Zouaoui, ainsi que l’ancien directeur général Hammadi Bousbii. Il a assumé cette lourde charge pendant l’une des périodes les plus difficiles qu’a traversées la Tunisie, de 1990 à 2001. Dans ses fonctions, Mohamed El Béji Hamada avait su bénéficier du concours des vice-gouverneurs, tous parmi les meilleurs cadres de la BCT qui connaissent parfaitement les arcanes de l’Institut d’émission, mais aussi le fonctionnement du secteur bancaire, pour avoir dirigé de grandes banques publiques commerciales ou de développement.
Une grande proximité avec la réalité sur le terrain
Parmi les secrets de réussite de Mohamed El Béji Hamda à la tête de la BCT, outre sa solide formation économique, ses connaissances juridiques et sa culture, une forte imprégnation des différents aspects du secteur bancaire. Dès la fin de ses études supérieures spécialisées à Paris, il avait intégré l’une des plus grandes banques, à savoir la Banque nationale agricole (BNA), assumant diverses fonctions, avant d’accéder au poste de président-directeur général. Sa carrière bancaire le conduira à la présidence d’autres banques publiques commerciales en Tunisie et à l’étranger. Il aura ainsi exploré l’univers bancaire sous ses différents angles, le pratiquant en parfaite connaissance de ses forces et de ses faiblesses.
Plus d’une fois, il m’avait évoqué lors de nos conversations les conditions qui ont marqué son expérience en tant que directeur des crédits à la BNA, contribuant à ce titre à la création d’un tissu industriel, touristique et agricole, et au financement de l’économie nationale. Cette charge avait permis à Mohamed El Béji Hamda de connaître de près la réalité des entreprises, des exploitations agricoles et des établissements hôteliers, se rendant fréquemment en visite sur le terrain, à travers les régions. Une règle dont il ne dérogera pas, tout au long de sa présidence de banques publiques, comme lorsqu’il a été à la tête de la BCT, multipliant les déplacements, écoutant des chefs d’entreprise.
Cette proximité avec les opérateurs économiques a été enrichissante pour l’adaptation des décisions et des circulaires de la BCT aux attentes des différents secteurs concernés, afin de réunir en leur faveur les bonnes conditions de leur application. Sil Béji était très attaché au soutien de l’entreprise tunisienne, à sa réussite et à sa pérennité. Sa démarche était également appuyée par son souci de moderniser l’appareil bancaire et le système financier, de renforcer leurs capacités financières et d’accroître leurs fonds propres.
Promouvoir les jeunes compétences
Une autre qualité de Mohamed El Béji Hamda, son pari sur la jeunesse. Il croyait beaucoup aux nouvelles générations, apportant son soutien aux jeunes cadres, dont l’auteur de ces lignes, n’hésitant pas à leur faire confiance et les nommer à des postes élevés. Suivant de près nos pas, il nous a appris les techniques bancaires, mais aussi la rigueur et le sens de la responsabilité. Il a ainsi constitué pour nous tous une grande référence, un exemple à suivre.
Il était également convaincu que la Tunisie recèle de grandes compétences, hommes et femmes, capables de contribuer à la croissance économique et au progrès social. Sans cesse, il s’employait à aplanir les difficultés qu’ils rencontraient dans la création de leurs entreprises et leur développement, tout en œuvrant au renforcement des fondamentaux économiques et financiers du pays.
De réformes significatives
Avec beaucoup de courage et de compétence, Mohamed El Béji Hamda avait conduit en 1992 le programme le plus substantiel, depuis 1976, de libéralisation des opérations courantes, du change et du commerce extérieur. C’est ce qui a permis de soutenir les exportations et d’accéder à de nouveaux marchés extérieurs. Il se distinguait également en matière de politique monétaire, veillant à son évolution et sa modernisation.
En plus de son rayonnement en Tunisie, Mohamed El Béji Hamda jouissait de beaucoup d’estime à l’étranger. Il a assuré une digne représentation du pays lors des instances du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ainsi que d’autres bailleurs de fonds. Respecté et écouté, il savait défendre les intérêts de la Tunisie et atteindre les objectifs fixés.
C’était une grande personnalité, modéré, conservateur sans excès, attentif au quotidien, ouvert sur l’avenir, imprégné des valeurs universelles, dévoué à la patrie, ne connaissant ni haine, ni manigances, franc et sincère. Féru d’histoire et de ses enseignements, il aimait lire et suivre l’actualité internationale, notamment politique et économique. Il avait souvent à portée de main un livre ou le quotidien Le Figaro et son supplément économique.
J’aurais tant aimé que la célébration du 40e jour de sa disparition soit organisée au sein de la Banque centrale et je reste persuadé que les conditions sanitaires, s’améliorant, permettron de le faire l’année prochaine. Ce serait aussi une bonne occasion pour baptiser de son nom l’une des grandes salles de la Banque.
Mohamed Férid Ben Tanfous