Opinions - 08.03.2022

Hella Ben Youssef : La conquête de la citoyenneté politique des femmes tunisiennes

Hella Ben Youssef : La conquête de la citoyenneté politique des femmes tunisiennes

Sans doute convient-il de rappeler que, l'histoire des femmes en politique ne commence, non pas avec l'acquisition du droit de vote et d'éligibilité et du code du statut personnel, ni ne se finit avec l’obtention de la parité intégrale pour l’ensemble des scrutins locaux et nationaux. Dès les tous premiers instants de la lutte de libération nationale, les femmes tunisiennes vont participer aux diverses actions et manifestations prenant autant de risques que les hommes. Des figures emblématiques surgiront de ces luttes. Elles s’imposeront dans la vie politique et sociale de la toute jeune République. Avec le temps le mouvement féministe va s’affirmer sous des formes diverses (notamment associatives) tout à la fois en cherchant à consolider ses acquis et à élargir et renouveler ses revendications.

Nonobstant de réelles avancées, il y a encore du chemin à faire avant d’obtenir une citoyenneté pleine et entière, comme en témoigne les atermoiements autour de la question cruciale de l’héritage. Plus généralement certaines problématiques restent entières : celle du refus de toute violence, d’intégrité corporelle, celle d’autonomie (à travail égal, salaire égal), ou bien encore celle du droit d’accès à la propriété foncière (particulièrement dénié en milieu rural). Bien sûr on pourrait aussi évoquer les tâches ménagères et domestiques dont la répartition demeure très déséquilibrée (plusieurs études le confirment).

De nombreuses lois ont tenté d’affirmer le principe d’égalité. Néanmoins des inégalités (de fait et non de droit) socioéconomiques significatives entre hommes et femmes perdurent. Comme le rappellent régulièrement les institutions internationales, celles-ci posent non seulement un problème de justice mais aussi d’efficience économique. La situation est d’autant plus paradoxale que les parcours scolaires et universitaires des femmes n’ont cessé de s’améliorer, pour dépasser le plus souvent ceux des hommes.

Il est vrai qu’au même titre que dans d’autres pays, y compris certains très avancées, le poids des traditions, la prégnance du patriarcat et des stéréotypes encore largement intériorisés freinent les possibles avancées.

Si les conventions internationales, chartes et autres déclarations officielles confirment que la protection et la promotion des droits des femmes incombent aux gouvernements, force est de constater que cela ne suffit pas ! Seule l’action (sous diverses formes et modalités) donne un ancrage solide à la réalisation de l’égalité des sexes. Dit autrement et brutalement, ce n’est pas par la parole raisonnable que l’on change les mentalités, mais bien par l’action déterminée et audacieuse sur les divers terrains d’enjeux que l’on peut espérer modifier les comportements (et par là les mentalités). Il faut donc transformer les droits des femmes de « fait à accomplir » en « fait accompli » !

A titre d’illustration « le droit à la ville des femmes » thématique qui rencontre un franc succès dans de nombreux pays d’Amérique du Nord et Latine comme en Europe, adopte une démarche qui se focalise sur l’action des pouvoirs locaux pour faire face aux différents enjeux. Une approche donc, qui vise à l'intégration de la dimension de genre dans les politiques municipales, la représentation des femmes et leur mise en réseau et, surtout, la participation des femmes à la définition, la mise en œuvre et le suivi des stratégies municipales sur l'égalité des genres. Cela pourrait apparaitre comme un vœu pieux compte tenu des moyens financiers réduits dont dispose nos municipalités. Il reste que beaucoup de financements tant directs (bailleurs institutionnels) qu’indirects (ONG) seraient bien plus efficients en s’appuyant sur une autorité locale, en prise directe avec les réalités, mais également responsable et redevable. Toujours est-il que l’instance « municipalité » pourrait être ce lieu privilégié de l’expression comme du traitement des demandes de citoyennes qui ont le plus grand mal à trouver un lieu d’écoute, mais aussi une sorte de relais à leur désir d’implication et d’engagement.

Tout cela n’exige pas nécessairement d’importants moyens financiers. Bien au contraire l’échelon municipal peut souvent trouver des solutions concrètes à des situations concrètes, qui autrement resteraient sans réponse, faute d’interlocuteur adéquat. Cet échelon apparait d’autant plus nécessaire et utile à mesure que l’on se rapproche de petites agglomérations ou localités rurales. En l’absence parfois ou de l’insuffisance des services publics, les municipalités peuvent pallier certaines carences en faisant jouer des solidarités qui en d’autres circonstances ne se seraient pas exprimées : La garde des enfants en bas âge lors des campagnes de récoltes agricoles, l’organisation de transports de courtes distances pour les ouvrières agricoles. Les instances locales peuvent accélérer l’obtention d’une couverture sociale aux femmes des périphéries urbaines et zones rurales en les aidant dans leur processus d’inscription (plateforme mobile Ahmini). A l’évidence, les municipalités notamment les plus petites en milieu péri-urbain ou rural peuvent être un relais efficace de dispositions législatives telles que la loi sur « l’économie sociale et solidaire ». Les services municipaux peuvent alors jouer un rôle d’intermédiation décisif entre les divers prestataires: les associations et ONG désireuses de déployer des actions de lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme des femmes (30%), les dispensateurs de fonds (microcrédit et BTS) d’accompagnement de projets. Mais aussi, la possibilité pour ces municipalités d’offrir des formes de garanties de type caution solidaire ou de prêt d’honneur !

De manière plus générale les femmes des périphéries et de la ruralité jouent un rôle décisif tant en matière de sécurité alimentaire que de préservation de l’environnement (protection contre la désertification, l’entretien des forêts). Si elles constituent bien, à près de 80% de la main d’œuvre forestière, seules 15% d’entre elles disposent d’un statut professionnel.

Outre le fait qu’il s’agit d’une injustice intolérable, c’est également une grossière erreur économique. Avec le dérèglement climatique, il faut s’attendre à des alternances de périodes de pluies diluviennes et de sécheresse qui n’ont plus de rapport direct avec la saisonnalité (régularité des saisons). Disposant de savoir-faire informels, les femmes de la ruralité sont tout à faire en mesure de participer à la prévention de catastrophes naturelles en se constituant en brigades d’intervention sur le modèle des dispositifs de la protection civile ou de mutuelle de service. Il conviendrait à ce titre de les doter des formations techniques adéquates (gestion des retenues d’eau, drainage, périmètres irrigués, régénération des forêts..) sanctionnées par un statut professionnel.
A titre de conclusion provisoire, Lutter pour l’émancipation des femmes et singulièrement pour celles les plus défavorisées ne se réduit pas à un impératif éthique, mais constitue bel et bien une exigence incontournable de l’amélioration du bien-être économique et social.

De fait, la citoyenneté pleine et entière et donc politique ne saurait s’envisager sans une réelle et complète citoyenneté économique et sociale !

Hella Ben Youssef
Vice présidente de l’internationale socialiste des femmes pour la région méditerranéenne nord sud


 

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