Adel Mégdiche, par Abderrazak Chéraït : Les étoiles ne sauraient pâlir
Abderrazak Chéraït - La vie est ainsi faite qu’à intervalles plus ou moins espacés notre monde s’assombrit par l’extinction d’une étoile qui scintillait dans un coin de notre ciel et lui apportait sa part de lumière et de chaleur. C’est la situation que je vis depuis la disparition, jeudi 27 janvier dernier, de mon ami, mon complice, Adel Mégdiche. Quarante jours se sont déjà écoulés depuis ce départ, mais que comptent les jours, les semaines, les mois et les ans devant l’éternité?
Ami et complice, disais-je? Et comment! Etions-nous faits, Adel et moi, pour nous rencontrer un jour du milieu des années 80 du siècle dernier et nous lier pour le restant de nos jours d’un profond attachement réciproquedans une démarche dialectique, introspective et prospective d’une surprenante fécondité ? Une part de hasard –la Providence ? - est assurément venue en renfort à l’amateur d’œuvres d’arts plastiques que j’étais en ces années-là, constamment enquête de talents naissants. Adel, alors fraîchement de retour d’un séjour de deux ans au Maroc, s’était installé à Zaghouan dans un réduit qui lui servait aussi bien de résidence que d’atelier. C’est là que m’a conduit un ami commun, Houcine Tlili, par ailleurs critique d’art, pour me mettre en présence d’un foisonnement d’œuvres plus inspirées, plus audacieuses les unes que les autres tants sur le plan thématique que technique. Il émanait de ces travaux une inspiration et une puissance qui n’étaient pas sans me rappeler le génie d’Aboulkacem Chebbi dont le souffle iconoclaste dégage l’horizon et l’ouvre surl’inouï. Des toiles qui, dans les capitales mondiales des arts plastiques, auraient valu à leur auteur notoriété, adulation et richesses. Oui, mais voilà : chez lui, en Tunisie, l’exposition d’une seule de ces œuvres aurait assurément coûté la vie à l’artiste, d’autant que, en ces années d’islamisme montant, l’anathème avait déjà été jeté à son encontre pour ses prises de position jugées peu conformes à l’orthodoxie morale.
Echapper à la dictature du «sens commun»
Je me sentais subjugué par le talent de Mégdiche mais aussi affligé par son sort d’artiste « maudit » devant se soumettre au diktat de «la multitude ignorante» ou endurer les pires privations. Je lui ai alors suggéré d’opérer une réorientation de son talent vers des formes nouvelles d’expression artistique qui sublimeraient son inspiration tout en restant, sous des formulations réinventées, fidèle à l’anticonformisme qui caractérise son approche première. Et je me suis engagé à acquérir les œuvres qui sortiraient de cet «atelier»-là. Après bien des hésitations et –assurément aussi- après mure réflexion, Mégdiche s’est engagé dans l’exploration d’une nouvelle forme d’expression artistique qui, depuis, a constitué son «label». Ceux qui seraient amenés à comparer les deux styles de l’artiste y trouveraient au premier abord des dissimilitudes antinomiques. Mais, à y regarder de près, l’évolution intervenue traduit le même refus résolu du conformisme mais sur un mode apaisé, serein, porteur des mêmes promesses d’exploration d’autres horizons pour échapper à la dictature du «sens commun».
Un talent adossé à une vaste culture
Nous avons, Adel Mégdiche et moi, cheminé côte-à-côte plus de trois décennies durant, partageant nos découvertes et nous enrichissant l’un l’autre d’apports inappréciables. Pour ma part, outre le ravissement que me procurait la contemplation de son œuvre en devenir ou déjà finie, j’ai largement profité de sa vaste culture au cours de nos échanges dans un coin de son atelier ou durantde longues soirées passéeschez l’un ou l’autre d’entre nous.
Aujourd’hui que tout cela fait partie du passé, je continuerai à me flatter d’avoir organisé plusieurs expositions des œuvres de Adel, de lui avoir consacré un beau livre et de posséder une belle collection de ses toiles. Tout cela ne m’empêchera pas, regardant le ciel par les nuits claires, de repérer le pinceau lumineux de Adel qui continuera à créer la magie, désormais dans des dimensions cosmiques. Ce sera, en quelque sorte, la signature de l’artiste qui se propagera à travers l’espace et le temps et son étoile, à jamais éteinte, continuera quand-même à éclairer notre ciel. Car, à l’instar de l’astre mort depuis longtempset dont nous continuons, des milliards d’années plus tard, à percevoir l’image, son souffle continuera à parcourir l’univers et sa griffe de voyager avec ses œuvres et son enseignement.
Oui, que représentent quarante jourssur l’infinie trajectoire dans laquelle s’est inscrit ce visage encadré par une barbe espiègle, animé d’un regard fureteur et illuminé par un sourire malicieux ? Pour autant, ne manquons pas de nous arrêter à cette halte rituelle pour sacrifier à un usage dont Adel n’aurait pas renié la sincère fidélité au legs partagé par tous, y compris pas lui.
Abderrazak Chéraït
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