Adel Megdiche: Le peintre, chantre de la beauté et du raffinement
Par Taoufik Habaieb - Il aurait bouclé ses 72 ans ce 9 mars. Adel Megdiche est parti trop tôt, subitement ravi aux siens, en douceur, le 27 janvier dernier. Peintre d’un talent exceptionnel, il laisse une œuvre immense, plurielle, dédiée surtout à la femme dans ses multiples charmes et ses surprenants secrets.
Un regard brillant, derrière des lunettes à monture cerclée, de fines moustaches et une barbichette, une main agile aux doigts fins et précis, et un sourire énigmatique : Adel Megdiche a toujours vécu dans son propre univers. S’il aimait partager ses journées entre ses amis, ses disciples et sa famille, il s’échappait du quotidien pour se vouer à sa peinture, jusqu’à très tard la nuit. Il voguait alors dans un monde épuré, fait de beauté, de visages, de regards et d’enchevêtrements. Le sens du détail confère au moindre espace de ses toiles un raffinement inégalé. Orfèvre, il faisait aussi dans la dentelle.
Le hasard voudra qu’il habite à quelques encablures seulement de la maison des jeunes de Sfax, alors à peine ouverte à la fin des années 1960, mitoyenne du lycée de garçons. Elle deviendra son port d’attache et son aire d’épanouissement. Adel Megdiche commencera par l’escrime. Il y apprendra l’art de toucher, sans être touché. Mais sera rapidement attiré par le club de peinture dirigé par Khélil Aloulou. Tout un univers s’ouvrait alors à lui. Il s’y retrouvera avec Raouf Karray, Maher Medhaffar, Samir Triki, Anouar Meslmani (aujourd’hui installé de longue date au Japon) et d’autres jeunes de son âge, partageant une même passion pour le dessin, la peinture et d’autres expressions d’arts plastiques.
Une vaste culture
L’immersion culturelle d’Adel Megdiche le conduira vers les autres sphères. D’abord le cinéma, en fréquentant le ciné-club, où il retrouvera Aziz Krichen, Fethi Mseddi, Hatem Zeghal, Ridha Zouari, Fethi Triki, Moncef Dhouib, Mohamed Damak, Taïeb Jellouli... Le théâtre, avec Jamil Joudi, Ayed Souissi, Mohamed Trabelsi... Le club de la nouvelle et de la poésie, avec notamment Moncef Mezghani... Comme un poisson dans l’eau, Adel Megdiche se ressourçait de tant de créativité, s’épanouissait dans cette diversité d’expression et cette pensée plurielle, iconoclaste.
Bachelier, il ira à l’Ecole des beaux-arts de Tunis, porteur d’une pensée, envahi d’une passion, doué d’un talent affirmé. La capitale était en pleine effervescence artistique et littéraire. Adel Megdiche ne pouvait que s’y plaire. Diplômé en 1974, il sera recruté en tant que professeur d’éducation artistique et affecté au lycée secondaire de Dahmani, non loin d’El Ksour, mais reviendra très souvent dans la capitale, retrouver son ambiance culturelle. Elargissant ses cercles de connaissances, Adel Megdiche nouera des amitiés dans tous les milieux culturels. Se gardant de s’enfermer dans des idées figées ou des groupes dominants, il forgera lui-même son propre statut d’intellectuel, d’artiste, de peintre. Sa devise sera née : appartenir, et être différent. S’il se reconnaît dans plusieurs mouvements d’idées et écoles artistiques, il cultive sa spécificité et imprime ses marques.
Un style très épuré
Son parcours sera alors balisé par de grands moments : ses années au Maroc, en coopération technique, à Paris, en résidence à la Cité internationale des arts, son exposition, début des années 1980, attaquée par des islamistes radicalisés, sa collaboration avec Abderrahmane Ayoub au sujet de la geste hilalienne, ses rencontres avec Abderrazak Chraïet, Ahmed El Karm et d’autres mécènes... Adel Megdiche célèbrera avec fierté et émotion la parution en 1996 de son premier livre d’art, élaboré par Maher Medhaffer, avec des reproductions soigneusement traitées par feu Abdelmajid Turki (Graficenter), et soutenu par Dar Chraïet. Il revivra ces mêmes moments lors de la parution en 2007 d’un deuxième livre que lui a dédié Hamdi Hmaidi.
Ses œuvres, dans un style très épuré, connaissent un grand succès. Elles ornent la faculté de Médecine de Tunis (à l’occasion du 40e anniversaire de sa création), les bureaux de Citibank, le nouveau siège d’Amen Bank (avec une fresque exceptionnelle de plus de 50 m2), des bureaux, des résidences, le musée Dar Chraïet, mais aussi d’humbles maisons et appartements.
A l’étranger, Adel Megdiche se fera rapidement apprécié. Peintre visiteur, il effectuera en 1995 un long voyage aux Etats-Unis qui le conduira dans de prestigieuses universités (UCLA, San Francisco, New York, Georgetown) et sera invité dans de nombreuses capitales européennes, africaines et arabes. Partout, ses expositions créeront l’évènement.
Artistes - artisans
Moncer Rouissi, alors ministre de la Culture, fera appel à Adel Megdiche, en 1991, pour lui confier un projet de rêve : établir des ponts entre des artistes et des artisans. L’idée était d’enrichir l’œuvre des artisans par des formes, des couleurs et des créations que peuvent leur inspirer divers artistes. Luttant contre l’appauvrissement créatif de l’artisanat, le ministre cherchait à promouvoir cette nouvelle synergie créative. Megdiche s’y investira et commencera à obtenir de premiers résultats, mais le projet sera abandonné avec le départ du ministre...
Le peintre n’en sera jamais consolé. Il replongera dans l’enseignement et la peinture. Intensivement. Longtemps cloîtré à Soliman, son village d’adoption, il finira par établir un studio de peinture sur la colline d’El Manar à Tunis. Mais, le grand air frais du Cap Bon lui manquera. Il se fera construire une petite maison sur une autre colline, non loin de Bir Bouregba. Adel Megdiche partagera alors la semaine en deux : la première partie à Tunis et la seconde à la campagne où d’ailleurs il rendra l’âme.
Fin dans son trait, raffiné dans ses expressions, élogieux à l’égard de la femme, fidèle en amitié, généreux en hospitalité, Adel Megdiche a toujours été le chantre de la beauté et de l’esthétisme. Ses nombreux disciples ont suivi ses pas, essayant de s’inspirer de son style. Il nous lègue aujourd’hui une œuvre exceptionnelle.
Allah Yerhamou !.
Taoufik Habaieb
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