Mohamed Nafti: La guerre en Ukraine touche à sa fin
La géographie ça sert d’abord à faire la guerre. Yves Lacoste
La guerre fait rage en Ukraine. Mais cette guerre ne date pas d’aujourd’hui, ni de la semaine dernière. Elle ne sera pas non plus le début de la troisième guerre mondiale. Ce n’est qu’un énième conflit géopolitique provoqué par les grands de ce monde pour exercer leurs influences et asseoir leurs pouvoirs dans le nouvel ordre mondial. Ce n’est pas non plus le premier conflit provoqué directement par une grande puissance ou plus exactement par une des deux grandes puissances mondiales depuis la fin de la guerre froide en 1991. Cette guerre qui a réellement débuté depuis huit ans, en 2014, semble toucher à sa fin dans les jours qui viennent, si ce n’est dans la prochaine semaine, car aujourd’hui après une semaine de combat intense, les objectifs de la Russie semblent très proches de la réalisation. Pour comprendre cette guerre, il faut avant tout interroger la géographique de l’Ukraine et la renforcer d’une lecture de la situation géographique du conflit durant cette première semaine.
L’Ukraine est divisée par sa géographie
L’Ukraine est un pays divisé en deux compartiments géographiques par le fleuve Dniepr qui partage le pays du nord au sud et se déverse dans la Mer noire près de la Crimée. La partie occidentale au Dniepr est bordée (du nord vers l’ouest et le sud) par la Bielorussie, la Pologne, la Slovaquie, la Roumaine et la Moldavie. La partie à l’est du Dniepr est bordée par la Bielorussie, la Russie et la Mer noire. Et depuis 2014, dans cette partie orientale, sont nés la république de Crimée (2014) et depuis le 21 février 2022 les républiques du Donbass.
L’Ukraine est un grand pays territorial. Sa superficie est de l’ordre de 560.000 km2 à peu près égale à celle de la France. Les montagnes occupent la moitié de la partie occidentale et forment une barrière naturelle terrestre. L’est est formé par la steppe et des plateaux sans grandes difficultés pour la mobilité. La partie orientale abrite une société russophone. L’occident ukrainien est pro-européen.
Cette géographie physique et humaine divise le pays. Il n’a pas besoin d’être divisé pour le contrôler (Divide ed impera). Mais pour le contrôler il est nécessaire d’y créer un conflit.
L’Ukraine est historiquement assoiffée d’indépendance
L’Ukraine contemporaine était une ancienne république russe. Indépendante pour une courte durée après la révolution russe (1917-1922). Elle réintègre l’URSS après la guerre civile sous Staline. En 1954, Kroutchev, qui a passé sa jeunesse en Ukraine, transfère la Crimée en Ukraine. Brejnev l’ukrainien, au pouvoir jusqu’en 1982, a validé ce transfert. Après la dissolution de l’URSS et du Pacte de Varsovie en 1991, l’Ukraine se proclame indépendante et elle reste dans la zone d’influence de la Russie. Mais elle se trouve coincée entre la Fédération russe et l’Europe occidentale. Et depuis son indépendance, ses maux ne vont plus finir. Quelle voie choisir ? Elle sera pressée par les deux camps pour agir.
La Révolution Orange 2004
La révolution orange est une série de manifestations politiques ayant eu lieu de novembre 2004 à janvier 2005 suite à la proclamation des résultats des élections présidentielles que les ukrainiens croyaient truquées. Les manifestations étaient largement soutenues par les occidentaux. La cour suprême ukrainienne annule le résultat et les élections seront refaites et voient la victoire d’un candidat pro-occidental qui va se rapprocher de l’Europe, mais qui sera accusé de « russophobie » par la société russophone. Sa politique était entachée de crises politiques continues et mènera à la révolution de EuroMaiden en 2014 et à la destitution du président de la république.
La révolution EuroMaiden 2014
Cette deuxième révolution n’a duré que quelques jours, mais en réalité ce n’était qu’une finalité du conflit politique et diplomatique russo- ukrainien qui a réellement commencé en novembre 2013. Le conflit sera réel et militaire et provoqué par des séparatistes qui ont organisé des soulèvements au Donbass et en Crimée. Et depuis la guerre ne s’est plus arrêtée en Ukraine dans sa partie orientale. Aujourd’hui et avant le 24 février 2022, on recense près de 14000 mort dans la région du Donbass entre les séparatistes pro-russes et le gouvernement central à Kiev.
La guerre est la continuation de la Politique par d’autres moyens (Clausewitz)
Depuis Pierre le Grand, les eaux chaudes, représentent un intérêt vital pour la Russie qui ne possède qu’un seul port occasionnellement « déneigé » Mormansk (chute finale du Gulf Stream). Ainsi le contrôle de la Mer Noire et la Mer d’Azov est vital pour la Russie.
L’URSS, et il ne faut pas l’oublier était le vainqueur du nazisme en Europe. Certes les USA y ont contribué de très belle manière, mais la Russie a souffert pendant près de trois années sous l’invasion de l’armée hitlérienne avant de contre attaquer et libérer la partie orientale de l’Europe et asséné le coup de grâce au nazisme. La Russie était un des principaux « libérateurs » de l’Europe. Elle a de droit et le privilège de contrôler une zone d’influence dans le vieux continent. Et l’Ukraine présente la meilleure région pour réaliser ce privilège.
Des accordes tacites et confidentiels seraient signés entre les deux grandes puissances pour partager les zones d’influence et surtout pour ne pas interférer dans le « travail » de chacun. Il est même inconcevable de voir un conflit direct entre la Russie et les USA à cause de leurs arsenaux nucléaires. Cependant rien n’interdit leur compétitions idéologique, économique et militaire (armement, technologie…). La Russie n’était pas intervenue en Irak2003, en Libye2011, ou en Afghanistan 2001 et même en Yougoslavie en 1999. Une seule raison l’a empêchée ; les USA ou l’OTAN était le premier intervenant, la Russie ne pouvait interférer dans ces conflits. Aujourd’hui encore, les USA ou l’OTAN n’ont pas le « droit » d’intervenir militairement en Ukraine. Et c’est pour cette raison qu’on ne pourra pas parler de troisième guerre mondiale.
La guerre en Ukraine se profile en un partage du pays
Une lecture de la carte géographique a présenté un pays divisé par le Dniepr et par l’existence de deux sociétés. Une lecture de la situation géographique (sur le terrain) pourrait nous orienter sur l’issue de cette guerre.
La carte du premier jour des hostilités montre que les russes ont attaqué sur trois directions avec des troupes terrestres (qui sont les seules troupes idoines à l’invasion et le contrôle du terrain). Au nord à partir de la Bielorussie et des frontières russes. Au sud à partir de la Crimée et de la mer Noire et la mer d’Azov. A l’est à partir de la région du Donbass. En un mot la Russie a attaqué seulement dans la partie orientale de l’Ukraine. Et jusqu’au cinquième jour, ce plan n’a pas changé. Il a même été développé. Il ne reste qu’une petite partie au nord de la mer Azov (Berdyansk et Marioupol) qui pourrait être « pacifiée « dans les deux prochains jours. Ce qui voudrait dire que l’objectif finale de Poutine c’est de contrôler cette moitié de l’Ukraine. Ailleurs, la partie occidentale, pourrait être « cédée » à l’influence occidentale. Un partage de l’Ukraine suivant le fleuve Dniepr favoriserait la Russie, car elle constituera une zone tampon à l’OTAN. Et cet objectif s’il est atteint pourrait satisfaire Poutine et les USA. La partie occidentale sera libre d’intégrer l’UE et l’OTAN. Mais entre cette Ukraine occidentale et la Russie il y aura une autre Ukraine orientale pro-russe et servira de tampon à l’OTAN. La Corée du Nord, l’ancienne RDA ne sont que des exemples de conflits géopolitiques entre les grands de ce monde.
Le partage de l’Ukraine serait la solution qui satisfera les deux grands de ce monde. Elle pourrait à présent être une base de « négociation » qui aboutirait à une solution finale. Mais ce n’est qu’une conjecture.
Mohamed Nafti
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