Mohamed Ibrahim Hsairi: Où va le Maghreb? Où devrait-il aller?
L’année 2022 s’est ouverte avec un paysage maghrébin qui, malheureusement, continue à être désolant et surtout menaçant comme je l’ai décrit dans mon article publié sous le titre «Zoom sur les défis d’un Maghreb en détresse», dans le numéro 125 daté du mois d’octobre 2021, de Leaders. Ce paysage est, aujourd’hui, d’autant plus désolant et menaçant qu’il a tendance à se perpétuer en l’absence d’une prise de conscience de la gravité des dangers qu’il risque de faire encourir à nos pays et à notre région.
Nonobstant les situations internes, toutes difficiles, auxquelles ils font face tant sur le plan politique, économique et social, les pays maghrébins sont, en ce moment, exposés à une grave montée des tensions qui menace d’embraser la région.
En Libye, le processus de transition politique est en panne. A cause du report sine die des élections présidentielles et législatives, le pays risque de retomber dans la violence, la confusion et l’incertitude.
Entre Alger et Rabat, l’escalade a atteint un niveau tellement élevé que pour certains analystes, l’hypothèse d’une confrontation entre l’Algérie et le Maroc n’est pas à exclure. Pour eux, la tension sans précédent depuis près d’une cinquantaine d’années, qui a engendré la rupture des relations maroco-algériennes au mois d’août dernier, pourrait dégénérer en une crise grave à la faveur d’un incident mal maîtrisé, ou à cause d’une étincelle accidentelle ou délibérée qui déclencherait un incendie susceptible de déstabiliser et le Maghreb et son voisinage méditerranéen au nord et sahélien au sud.
Il n’est pas fortuit, à ce propos, qu’un rapport élaboré par l’Institut royal espagnol d’Elcano (Real Instituto Elcano) sur «L’Espagne dans le monde en 2022» ait estimé que le risque d’escalade entre l’Algérie et le Maroc est réel, et qu’une «confrontation armée directe, ou avec la participation du Front Polisario, ne doit pas être exclue…».
L’inquiétude de l’Espagne quant à la situation au Maghreb voisin est d’autant plus grande que le ministre des Affaires étrangères espagnol José Manuel Alabares a souhaité, lors d’un récent déplacement aux Etats-Unis, que Washington trouve une solution à la crise entre Rabat et Alger et notamment à la question du Sahara occidental.
Toutefois, il faut noter que le différend entre le Maroc et l’Algérie ne se limite plus à cette question. Désormais, et depuis la normalisation des relations entre le Maroc et Israël et le renforcement de leurs liens de coopération dans les domaines de la sécurité et du renseignement, Israël constitue une source supplémentaire de déstabilisation non pas pour l’Algérie seulement, mais pour toute la région.
Par ce développement, la tendance constatée depuis quelques années à transposer les problèmes du Machrek au Maghreb semble se poursuivre et même s’aggraver. Et, à mon avis, ce ne sont pas les antagonismes qui aideront le Maghreb à inverser cette tendance. En revanche, les Maghrébins ont besoin de réaliser que le coût du «non-Maghreb» n’est pas seulement économique. Il est aussi et surtout politique et stratégique. Ils devraient, par conséquent, comprendre qu’à moins d’un minimum d’intégration régionale, il leur sera impossible d’écarter les dangers qui les guettent et d’empêcher les ingérences extérieures dans leurs affaires.
Ce minimum d’intégration régionale demeure possible en dépit de tous les contretemps actuels et des difficultés présentes.
Dans ce contexte, je voudrais rappeler que le 1er janvier 2022, est entré en vigueur l’accord sur le Partenariat économique régional global (Regional Comprehensive Economic Partnership / RCEP) qui réunit 15 pays asiatiques qui sont la Chine, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud et les 10 pays membres de l’Asean (Birmanie, Brunéi, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam).
Ce nouvel ensemble, qui représente le 1/3 du PIB de la planète et le 1/3 de la population mondiale, apporte la preuve qu’il n’est pas impossible de rassembler dans un même bloc des pays appartenant à des camps parfois diamétralement opposés.
Que dire donc des pays maghrébins qui ont tant en commun et qui ont prouvé par le passé qu’ils peuvent dépasser leurs différends et s’engager dans un processus d’une action maghrébine commune poussée.
Aussi, faut-il que les dirigeants maghrébins reviennent à la raison et sachent dissocier l’essentiel de l’accidentel. L’histoire ne leur pardonnera jamais s’ils laissent mourir l’idéal maghrébin comme ils ont laissé mourir et porté en terre l’UMA sans qu’aucune nouvelle structure commune ne vienne la remplacer. Il est donc impératif pour eux que le dialogue soit repris et que les animosités soient transcendées.
Quant aux peuples maghrébins, je voudrais dire ce que le président français Emmanuel Macron a, si éloquemment, dit aux Européens dans le discours qu’il a adressé au Parlement européen le 19 janvier dernier, mais en le modifiant un peu pour l’adapter au contexte de notre région : «Nous ne devrions jamais douter de notre capacité à réinventer notre rêve maghrébin, à le rendre tangible, à le faire réalité, et à le rendre utile à nous tous. C’est là que réside la clé de notre succès. Nous en avons la force. Nous en avons les moyens».
Mohamed Ibrahim Hsairi