News - 14.01.2022

Tunisie : Tous ensembles contre l’analphabétisme et l’abandon scolaire

Tunisie : Tous ensembles contre l’analphabétisme et l’abandon scolaire

Par Ridha Bergaoui - Un analphabète ou illettré est essentiellement une personne qui ne sait ni lire ni écrire et calculer. Quoiqu’on ait tendance à considérer les deux termes comme synonymes, une nuance importante existe cependant.

L’analphabète ne sait ni lire ni écrire parce qu’il n’est jamais allé à l’école alors que l’illettré est allé à l’école mais a dû l’a quitté très tôt sans pouvoir maitriser et pratiquer la lecture ou l’écriture de sa langue maternelle. Le résultat étant le même, dans la plupart des cas, le terme analphabétisme groupe à la fois analphabètes et illettrés.

Compte tenu de son importance et son rôle primordial comme facteur de dignité et de prospérité, chaque année et depuis 1967, le monde célèbre le 8 septembre, la journée internationale de l’alphabétisation.

Plus de deux millions d’analphabètes en Tunisie

Quoique le pourcentage d’analphabètes en Tunisie, ne cesse de diminuer depuis l’indépendance, il demeure toutefois relativement élevé. Récemment, le Ministre de Affaires Sociales a affirmé, à l’occasion de la journée arabe d’alphabétisation célébrée le 8 janvier de chaque année, que le taux d’analphabétisation est de 17,7% ce qui représente plus de 2 millions d’habitants. Ce taux est à peine de 1% dans les pays occidentaux.

L’analphabétisme touche essentiellement les régions rurales de l’intérieur du pays et est beaucoup plus important chez la femme que chez l’homme. Il est de plus en plus important en fonction des tranches d’âge croissantes. L’analphabète est généralement une personne âgée qui n’a pas eu la chance d’être scolarisé alors que l’illettré est un jeune qui, pour une raison ou une autre, a abandonné l’école.  

L’alphabétisme, un sérieux handicap

L’analphabète souffre généralement de marginalisation et d’exclusion. Pour l’individu, savoir lire et écrire lui change la vie et lui permet de mieux comprendre son environnement et le monde d’une façon générale. Savoir lire, écrire et compter présente de nombreux avantages:

Être autonome

 Garder ses secrets et son intimité

 Aider ses enfants à l’école

 Faire facilement ses courses et régler ses problèmes avec les différentes administrations 

 S’occuper mieux de sa santé

 Trouver plus facilement un emploi et améliorer sa situation professionnelle

 Faire des choix politiques et économiques judicieux…

 Avoir un rôle actif dans la société

 Jouir de ses droits de citoyen (droit à l’information et à l’expression, à l’exercice démocratique…).

Les personnes analphabètes sont limitées sur le plan professionnel et occupent généralement des emplois précaires, occasionnels, dans le secteur informel... Elles sont souvent exposées à des accidents de travail ou ménagers et à se rétablir difficilement après maladie en raison souvent d’un mauvais usage des médicaments.

L’alphabétisation permet d’améliorer l’estime et l’assurance en soi. Elle permet d’être plus objectif et de ne pas se laisser facilement endoctriner. Ce ci aide les jeunes à s’éloigner des drogues, du terrorisme, de la petite délinquance et de la recherche de l’émigration clandestine. L’analphabétisation est un facteur important de criminalité et le pourcentage est important au niveau du milieu carcéral. Les enfants de parents alphabètes ont plus de chance de réussir leur scolarité et de grandir en bonne santé.

Au niveau de la communauté, lire et écrire est très important dans une société de plus en plus organisée qui utilise surtout l’écriture comme moyen de communication collective. L’alphabétisation est un facteur important de paix, de prospérité et de cohésion sociale. Elle a des conséquences directes dans les secteurs du travail (qualité de la main d’œuvre) et de la santé.

Causes de l’analphabétisme

Les causes de l’analphabétisme sont multiples. Il s’agit essentiellement de causes socio-économiques mais également d’ordre familial, scolaire et personnel. 

La pauvreté, l’éducation des parents, la situation familiale et les conditions de vie, les mentalités ainsi que des facteurs personnels relatifs à des problèmes d’apprentissage, d’échec scolaire sont parmi les facteurs importants qui favorisent l’analphabétisme. 

Quoique scolarisés, les illettrés ont perdu leurs compétences de lecture et d’écriture en raison de non pratique de ces deux tâches quotidiennement suite à des conditions personnelles comme le chômage chronique et le manque de motivation.  

Savoir lire et écrire n’est plus suffisant pour s’intégrer socialement

Dans notre société actuelle, de plus en plus exigeante et dominée par la technologie (ordinateur, téléphonie portable…), maitriser l’écrit, l’oral et le calcul n’est plus suffisant pour pouvoir complétement s’intégrer et résoudre ses problèmes quotidiens. 

L’accès à Internet n’est plus un luxe, c’est même un droit humain fondamental déclaré par l’ONU depuis 2011. Les Etats sont appelés à assurer et faciliter l’accès à Internet et à l’information à tous ses citoyens. 

Posséder une adresse mail, un compte dans un réseau social sont devenus indispensables pour pouvoir payer ses factures, faire des achats en ligne, communiquer avec sa banque... Savoir utiliser un smartphone et accéder à Internet portable est devenu crucial. 

L’inscription des enfants à l’école et aux examens nationaux se fait de plus en plus à distance par Internet. Les achats en ligne et l’e-commerce ne cesse de se développer. La plateforme « evax.tn » a joué un rôle très important dans la vaccination et la lutte anti-covid. Le Président de la République compte lancer prochainement une consultation nationale importante en ligne.

Pour les jeunes, la communication et la maitrise d’une langue étrangère (l’anglais est de plus en plus utilisé dans notre environnement) jouent un rôle important dans notre société moderne. 

Avec la mondialisation, les nouvelles technologies de l’information, l’évolution rapide des connaissances scientifiques et techniques, la quantité importante d’informations disponibles…, avoir une culture générale devient des plus utiles. Disposer de connaissances minimales dans les domaines importants (comme l’environnement, le droit, les arts, le sportif et la politique) est nécessaire pour être en phase avec son environnement et devenir citoyen responsable dans une société démocratique.

La notion d’analphabétisme classique (ne pas savoir lire et écrire) n’est plus valable pour le monde moderne actuel. Cette notion doit être élargie à la possession d’un ensemble de compétences et d’outils nécessaires pour comprendre, acquérir des connaissances, communiquer et créer. 

L’abandon scolaire, un véritable fléau

En Tunisie, le taux d’urbanisation élevé, le développement du réseau routier et des moyens de transport, font que les écoles sont théoriquement accessibles et l’opportunité d’être scolarisé est donnée à tous. Il faut reconnaitre toutefois que les conditions sont plutôt déplorables surtout dans le milieu rural où ces écoles sont mal entretenues et souffrent d’un manque flagrant de personnel, de moyens et souvent d’infrastructures élémentaires comme l’eau potable, l’électricité et des toilettes salubres.  

Le plus grand problème au niveau de l’alphabétisation reste le décrochage scolaire volontaire et involontaire. Ce décrochage est estimé à plus de 80 000 écoliers/an (on cite même des chiffres de plus de 100 000 écoliers qui abandonnent l’école chaque année) surtout des jeunes de 12 à 16 ans. Les 2/3 auront la possibilité de rejoindre un cursus éducatif ou professionnel. Le tier restant, soit près de 20 000 jeunes, seront livrés à la rue, le chômage, l’émigration clandestine et la délinquance. 

Ce décrochage est dû à de nombreuses raisons socio-économiques. La pauvreté, des raisons personnelles comme la situation familiale, le sentiment d’échec et la perte de motivation ou des difficultés d’accès à l’école sont souvent évoqués. La fille est la première à abandonner l’école afin d’aider la famille à améliorer ses conditions matérielles.

De nombreux reproches sont adressés à l’encontre du système scolaire démuni de moyens humains et matériels, très en retard et très peu attractif. Les compétences pédagogiques du personnel enseignant et administratif sont également incriminées. L’éducation a perdu de son éclat et l’école n’est plus l’ascenseur social d’antan. Les jeunes, avides de résultats immédiats, ont tendance à s’orienter vers d’autres possibilités d’épanouissement parfois interdits.  

Lutte contre l’analphabétisme

L’alphabétisme est la première étape pour l’éducation et l’acquisition des connaissances et la base de toute action de développement. L’UNESCO aide les pays à combattre l’analphabétisme. 

En Tunisie, de nombreux programmes d’alphabétisation ont été mis en place, depuis l’indépendance et ont contribué à réduire sensiblement analphabétisme et illettrisme. Ces programmes sont orientés vers les adultes et exécutés par le Ministère des Affaires Sociales. Une Université pour l’apprentissage tout au long de la vie a été même lancée en 2020 pour permettre aux gens de bénéficier d’un enseignement extra-scolaire gratuit dans de nombreuses spécialités.

Pour les jeunes qui ont abandonné l’école, à coté de nombreux centres de formation professionnelle qui accueillent chaque année de milliers de jeunes, le Ministère de l’Education Nationale a lancé récemment le programme de l’Ecole de la Deuxième Chance afin de leur permettre de reprendre leur scolarité. Plusieurs centres pilotes sont prévu pour couvrir les différentes régions du pays.

La lutte contre l’analphabétisme est l’affaire de tous. Elle est l’affaire en premier de la famille et du corps éducatif. Leaders et décideurs politiques, médias, responsables régionaux, société civile et organisations doivent contribuer également à combattre ce fléau et lutter contre l’échec et le décrochage scolaire. 

L’amélioration des conditions de scolarisation est importante. Pour les jeunes, l’école ne doit pas être une source de malaise et d’anxiété qui peuvent mener à la violence et dans certains cas au suicide. Elle doit être source de plaisir, d’épanouissement et d’équilibre. 

Développer le gout de la lecture dés la petite enfance est très important. La lecture permet de se former, s’informer, se divertir et s’éduquer. Elle permet également de créer des habitudes de réflexion, d’analyse et de concentration. Développer la lecture dès l’enfance permet de s’assurer de la formation de futurs lecteurs, de développer la créativité et d’aiguiser l’intelligence des petits.

Conclusion

En Tunisie, malgré les efforts et les divers programmes mis en œuvre, les taux d’analphabétisme et de décrochage scolaire restent élevés. La lutte contre l’analphabétisation est primordiale et doit être considérée comme priorité nationale.

L’analphabétisme n’est pas uniquement un problème individuel, c’est d’abord un problème national et social. La réforme de l’enseignement avec ses trois niveaux (primaire, secondaire et universitaire) en rapport avec la réduction du chômage et la création de l’emploi, devient urgente. Accorder plus de moyens matériels, humains et d’infrastructure est un préalable pour un cadre attrayant et motivant.

La pauvreté est l’une des raisons importantes de l’analphabétisme. L’Etat se doit d’aider les familles nécessiteuses à scolariser leurs enfants et subvenir aux frais nécessaires. Le contrôle des naissances est une composante de la lutte contre la pauvreté. Aider, motiver et encourager les gens à apprendre est essentiel. 

Par ailleurs, il n’est jamais trop tard d’apprendre, les nouvelles technologies représentent une grande chance pour toute l’humanité et Internet est la plus grande école créée par l’homme. Il faut savoir l’utiliser et en profiter judicieusement.   

«Désormais sera analphabète non pas celui qui n’aura pas appris à lire, mais celui qui n’aura pas appris à apprendre». J. Perriault

Ridha Bergaoui