News - 06.01.2022

Tunisie-FMI : mode d’emploi pour un sauvetage de l’économie

Tunisie-FMI : mode d’emploi pour un sauvetage de l’économie

Par Dr. Aram Belhadj - Oui, la Tunisie a besoin du FMI, bien que la relation ait été entachée d’arrogance manifeste par l’un, et de manque manifeste du courage par l’autre. Ce besoin est indiscutable, vu que les marges de manœuvres budgétaires de la Tunisie sont étroites et que les besoins de financement extérieurs sont indispensables. La Tunisie a besoin de presque 20 milliards de dinars pour pouvoir exécuter son budget de 2022, c'est-à-dire payer les salaires de ses fonctionnaires, limiter le fardeau des augmentations excessives des matières premières à l’international sur ses entreprises et ses citoyens, amortir le choc de pauvreté qui plane sur une grande partie de sa population, garantir la continuité du fonctionnement de son administration et assurer un minimum d’investissements publics, ô combien nécessaires dans cette période assez singulière de l’histoire du pays !

Un historique entaché

La Tunisie n’a pas cessé de commettre des erreurs graves lors de sa composition avec l’institution du Bretton-woods, que ce soit pour des raisons de timidité (et parfois d’insouciance) ou pour des facteurs associés à la dictature de l’immédiat et le court-termisme des politiques. La preuve : les financements mobilisés par le FMI au profit du pays depuis le premier programme de 2013 ont approché les 12 milliards de dinars, alors que la Tunisie peine toujours à corriger ses déséquilibres financiers, à se positionner sur un nouveau sentier de croissance et à s’engager sur des réformes structurantes.

Pire, la LF 2022, supposée être une rupture par rapport aux pratiques courantes et un signal positif aux partenaires et bailleurs de fonds multilatéraux, a été élaborée d’une manière unilatérale, traduisant une fuite en avant des actuels gouvernants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une masse salariale en expansion, passant de 21573 MDT après avoir été de 20345 en 2021, un budget de compensation considérable, estimé à 7262 MDT après avoir été de 6027 MDT l’année écoulée, et une dette publique insoutenable atteignant un montant record de 114142 MDT après avoir été de 107844 MDT une année avant.

Pourtant, les engagements affichés dans le document fuité destiné au FMI traduisaient une toute autre logique : une diminution des subventions aux produits de première nécessité, une réduction de la masse salariale de l'État qui emploie 680000 personnes dans un pays de 12 millions d'habitants et une restructuration de nombreuses entreprises publiques !

Un déclic tant recherché

Bien que la conclusion d’un accord avec le FMI soit difficile, la Tunisie doit tirer les leçons du passé en évitant les erreurs fatales dans la gestion de ce dossier. Le point de départ étant la mise à disposition d’une équipe qualifiée pour être le vis-à-vis d’interlocuteurs internationaux, munis d’une réelle vision stratégique et d’un véritable pouvoir de négociation. Deux objectifs sont au cœur de cette exigence: un retour à un rythme de croissance respectable, non générateur d’inflation, et un rétablissement des équilibres macroéconomiques, non déclencheur de troubles sociaux.

L’équation est très complexe et l’exercice est périlleux, nous en convenons. En même temps, il faut être conscient des enjeux et des priorités socioéconomiques du moment d’abord avant d’aller vers l’essentiel et de se focaliser sur les principaux leviers, balisant le chemin vers les objectifs ultimes susmentionnés. Ces leviers se résument en une vraie guerre contre la corruption, un sérieux programme de ré-industrialisation, un renforcement de la productivité et une valorisation des complémentarités régionales, surtout avec les pays limitrophes, qui offrent des opportunités certaines tant pour l’export que pour l’emploi des jeunes diplômés du supérieur.

Des leçons à expliciter

La Tunisie est en msure prendre de le train en marche, malgré les risques imminents entourant le processus démocratique dans son ensemble. Hormis le statut transitoire et provisoire de l’actuel gouvernement, celui-ci pourra en effet déclencher une dynamique fédératrice appuyant sa position face au FMI. Expliciter les leçons du passé est le véritable pas vers une négociation d’égal à égal et une voie indubitable vers le sauvetage de l’économie. En sera-t-il capable ?

La première leçon est l’honnêteté vis-à-vis de la population et la transparence vis-à-vis de l’institution du Bretton-Woods. Il s’agit d’abord d’être franc sur le degré de gravité de la situation et de faire comprendre à tous les acteurs économiques nationaux que des sacrifices non anodins devront être faits et partagés équitablement (c'est-à-dire, en fonction de la position de chacun). Il s’agit ensuite de divulguer les vrais chiffres, pour éviter les mauvaises surprises ou des résultats contreproductifs. Déjà, les chiffres avancés dans la LF 2022 (notamment ceux liés aux capacités de mobilisation des ressources) ne sont pas conformes avec les chiffres figurant dans le document fuité, destiné au FMI. Comment négocier avec l’extérieur et convaincre à l’intérieur sans transparence ni crédibilité ?!!!

La deuxième leçon est la nécessité d’envoi des signes clairs, montrant une aptitude à engager une dynamique de reprise et de rétablissement des équilibres financiers. Concrètement, il s’agit de commencer par« les quicks wins », que ce soit à travers la mise en œuvre des mesures de très court terme ou encore à travers une bonne communication sur un plan de moyen et long terme. Pour les mesures de très court terme, il peut s’agir d’une amélioration des efforts de recouvrement, de réduction des dépenses courantes, de renforcement des investissements dans le domaine de la santé, l’éducation et la sécurité sociale, d’amélioration de la production nationale, de valorisation des PPP, d’opérationnalisation des lois déjà votées, de finalisation du projet de l’identifiant social unique, etc. Quant au plan de moyen et long terme, il peut s’agir d’un plan de développement incluant (entre autres) des mesures de relance :

élargissement de la base fiscale, mise en place d’une agence de participation publique gérant le portefeuille de l’Etat, instauration d’un impôt sur le patrimoine immobilier à partir d’un seuil à définir, ré-institution du régime de dégrèvement physique pour le réinvestissement, facilitation de l’accès des PME aux marchés publics, etc.

La troisième leçon est l’engagement sur des réformes structurelles, selon une priorisation et un calendrier consensuel. La démarche devra inclure une mise en cohérence de ces réformes, la définition du séquencement adéquat et l’identification des synergies avec d’autres réformes. A notre sens, il s’agit de toucher en premier lieu les chantiers relatifs au climat des affaires, au secteur bancaire et financier, à la fonction publique età l’administration. Quant aux réformes des entreprises publiques, de la fiscalité et de la compensation, une démarche beaucoup plus concertée consistant en l’élaboration d’un plan d’actions engageant toutes les parties prenantes et incluant des indicateurs de performance s’avère nécessaire.

La dernière leçon est l’obligation de suivre une approche participative afin d’arriver à un consensus et une convergence des points de vue sur les grands axes de réforme. Là-dessus, le FMI s’est lui-même montré plus royaliste que le roi, en exigeant une implication de toutes les parties prenantes dans l’élaboration du programme de stabilisation et de réforme. Clairement, refaire les mêmes erreurs du passé (la dernière en date était avec l’élaboration de la LF 2022), en écartant l’éventualité d’un dialogue national sur les principaux choix socioéconomiques et les réformes majeures structurantes pour l’économie, serait fatal pour le pays.

Dr. Aram Belhadj
Economiste, FSEG Nabeul, Université de Carthage
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Mohamed Mabrouk - 08-01-2022 08:33

bon article pour etre nommé ministre par le fmi mais il faut plus de conviction :) les prétendants sont nombreux

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