‘’Rodd balek’’ : le mot magique pour conscientiser les Tunisiens
Par Hédi Béhi - Il était romain. On l’appelait Caton l’Ancien. Il a vécu vers 213 avant Jésus-Christ. Membre du Sénat, il ponctuait toutes ses phrases par un «Delenda Carthago est» (il faut détruire Carthage). Je ne sais pas dans quelle mesure Caton avait épargné à son pays les revers et les humiliations qu’Hannibal s'apprêtait à faire subir à son pays. Mais il avait tout fait pour y arriver.
Ce qui manque à la Tunisie aujourd'hui ce sont des Caton tunisiens, des lanceurs d'alerte, ceux que Gramsci appelait les intellectuels organiques pour débarrasser leur pays des tentacules d’une hydre, nommée Ennahdha. La gauche tunisienne aurait pu jouer ce rôle décisif. Elle a préféré celui d’idiot utile d’Ennahdha pour défendre une caricature de démocratie et un parlement qui tient d’une cour des miracles, manifester mano a mano avec les dirigeants d’un parti religieux qui considère "la femme comme un récipient de sexualité", qui a, en dix ans, mis le pays sens dessus dessous, clivé la société comme elle ne l’avait jamais.
Beaucoup de Tunisiens avaient crié victoire le 25 juillet et prédit la disparition d’Ennahdha. Voilà que ce parti renaît de ses cendres, tel un phénix, au bout de quelques mois, sans renoncer à ses ambitions d’islamiser le pays à sa manière allant même jusqu’à rameuter la rue contre le nouveau pouvoir. Bien plus, ses cadres gambadent aujourd’hui, sans ostracisme aucun, sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radios en s'en prenant aux autorités avec un culot incroyable.
Face à l'angélisme de la gauche tunisienne qui n'a jamais autant mérité sa réputation de gauche la plus bête du monde, il est grand temps pour nos élites de tirer la sonnette s'alarme comme l'a fait aussi un journaliste français qui signait ses articles par le pseudonyme Rodd Balek dans les années 40 en constatant le renouveau du néo destour. Ce qu'il considérait comme une menace pour la présence française en Tunisie.
En octobre 2011, il aura suffi à Ennahdha de prétendre qu'elle est le parti de Dieu pour gagner les élections. Ce jour-là, le pays s'était livré pieds et et poings liés à ce parti. D'où la question : pourquoi les Tunisiens sont-ils attirés par les partis religieux ? Dans ses Prolégomènes, Ibn Khaldoun nous a livré un élément de réponse : «De tous les peuples, les Arabes sont trop réfractaires pour accepter l’autorité d’autrui, par rudesse, orgueil, ambition, et jalousie. Leurs aspirations tendent vers un seul but. Il leur faut l’influence religieuse, par la prophétie ou la sainteté, pour qu’ils se modèrent d’eux-mêmes et qu’ils perdent leur caractère hautain. Il leur est alors facile de se soumettre et de s’unir grâce à leur communauté religieuse».
Hédi Béhi