Préalables à l’introduction et au développement de la culture de Colza en Tunisie
Par Rym Ben Zid - Dans un article intitulé ‘A propos des risques de développement de la culture du Colza dans le système céréalier’ et publié à la date du 22 novembre 2021 dans le magazine Leaders, M. Ali Mhiri a lancé à bon escient le débat concernant l’introduction de la culture du colza dans les systèmes de production dans notre pays.
La culture du Colza est une culture exigeante en eau puisque les besoins s’élèvent à 600 mm par hectare et par an. Cette culture est en train de s’implanter petit à petit dans les zones de prédilection des cultures céréalières et autres grandes cultures du Nord du pays à haut potentiel agricole ; les 9 gouvernorats du Nord du pays détiennent ensemble entre 71% et 83% des superficies totales cultivées en céréales du pays(1) et les gouvernorats de Béja, Bizerte, le Kef, Siliana et Jendouba fournissent 67% en moyenne de la production nationale entre 2013 et 2018 ( FAO, 2018).
De par ses exigences en intrants et en semences améliorées, la culture du Colza, ne peut être développée que dans les catégories d’exploitations à grande superficie utilisant de la main d’œuvre salariée et nullement dans les exploitations familiales de petite et moyenne taille alors que 96% des exploitations produisant des céréales ont des superficies inférieures à 50 hectares en 2006 (FAO, 2018). Ces dernières n’ont pas, de toutes façons, les moyens d’accéder aux intrants, ni aux équipements lourds nécessaires à la culture du Colza.
La diversification des systèmes de production est certes louable à condition que les services procurés par lesdits systèmes soient économiquement et socialement équitables et viables du point de vue de la protection de l’environnement. Cependant, par essence, seules les petites et moyennes exploitations réunissent les conditions nécessaires pour l’intégration de l’agriculture et de l’élevage. Ainsi, des systèmes de production mixtes seront les plus à même de permettre de reproduire la fertilité du sol par le maintien du taux de matière organique grâce à l’utilisation du fumier.
Un certain nombre de risques sont à identifier et caractériser sur la base des constats établis ci-dessus.
D’abord, le risque majeur encouru est que la culture du Colza entraînera l’accélération de la faillite des petites et moyennes exploitations et à moyen terme une concentration accrue du foncier entre les mains des grands exploitants, ayant un accès facilité aux intrants. Et ceci, notamment parce que la rentabilité des cultures céréalières sur les petites et moyennes exploitations du Nord a diminué à cause de la pénurie d’engrais, dans un système de prix des produits céréaliers non suffisamment attractif.
Ensuite, la culture du Colza rentre en compétition directe dans la rotation avec les cultures de légumineuses (Fève, Féverole et Pois Chiche..), dans un contexte où la recherche sur les variétés locales de légumineuses et surtout les techniques culturales appropriées n’ont pas été promues (récolte semi-mécanisée en absence de main d’œuvre, maladies peu contrôlables) comme le souligne M. Mhiri. A cause de ces contraintes, les cultures de légumineuses disposent de peu de marge d’extension bien que leur présence dans les rotations garantirait non seulement la fixation de l’azote l’air pouvant améliorer la fertilité des sols mais également la production de protéines, essentielles dans l’alimentation humaine et animale.
D’après la FAO(2), le pourcentage d’occupation du sol par la céréaliculture durant les années soixante était beaucoup plus élevé (60 pour cent). Il a régressé à environ 35 pour cent durant les années deux mille suite à la diversification de l’agriculture tunisienne. La tendance de la réduction de la superficie consacrée aux céréales sans pour autant avoir une augmentation rapide des rendements risque de s’aggraver suite au développement de la culture du Colza au Nord car l’objectif de développement de la culture en terme de superficie est de 150 000 hectares soit plus de 10% de la superficie consacrée aux céréales (1,4 millions d’hectares environ).
Puis, dans un contexte de déficit hydrique, au même titre que les cultures industrielles telles que le tabac ou la betterave dans les périmètres irrigués de Béja et Jendouba, la culture de colza risque de rentrer également en compétition avec les cultures céréalières et fourragères conduites en irrigué, essentielles à la sécurité alimentaire du pays ; la filière du Colza étant organisée grâce à l’accès au financement et l’existence d’un débouché garanti. Ce danger est réel compte tenu que la culture du blé dur conduite en irrigué correspond à 20% de la production nationale(3) (Mazhoud et al, 2020).
Dans le but de développer la culture du Colza et d’assurer des avantages au niveau de la collectivité, il faudrait apporter des réponses à un certain nombre de questions.
Il est d’abord impératif de savoir si les avantages générés par la culture du colza comme la production de tourteaux et d’huile permettent de compenser les coûts de production. Est-ce que l’huile de Colza produite et vendue en Tunisie pourra entrer en compétition avec l’huile végétale importée en grand volume et vendue à bas prix car subventionnée ? La question de rentabilité de la culture du Colza est entière; elle n’est mesurable qu’en calculant la Valeur Ajoutée par Hectare mais aussi en établissant la Valeur Ajoutée à chacun des segments de la filière.
Ensuite, dans le contexte actuel, le coût d’opportunité des intrants est très élevé compte tenu de l’arrêt de la production des engrais. La question posée est la suivante : est-il plus avantageux de produire du colza avec les engrais disponibles (et importés) ou de produire des céréales étant donné qu’il y a nécessité d’équilibrer la balance commerciale et de réduire les importations de produits alimentaires ? Dans le cas où l’objectif des 150 000 hectares de colza serait atteint, au détriment des cultures céréalières, cela alourdirait la facture des importations de blé tendre d’environ 1000 millions de Dinars Tunisiens par an.
L’usage alimentaire du Colza cache d’autre part un usage non déclaré qui est celui de la production de biocarburants. Si tel est le cas, l’investissement dans cette filière pourrait avoir des effets insoupçonnés sur la sécurité alimentaire de la Tunisie, déjà largement malmenée par le manque d’attention apporté au secteur stratégique qu’est l’agriculture.
Rym Ben Zid
(1) Analyse de la filière céréalière en Tunisie et identification des principaux points de dysfonctionnement à l’origine des pertes, FAO, 2018.
(2) Évaluation de l’approvisionnement alimentaire dans un contexte de pénurie d’eau dans la région NENA, Cas de la Tunisie, CNEA, 2018
(3) Analyse typologique et performance productive de la culture du blé dur irrigué en Tunisie, Cahiers Agriculture, 2020
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Merci beaucoup Me Rym Ben Zid pour cette pertinente contribution à l'analyse de la problématique du développement de la filière colza dans le Nord-ouest tunisien, zone à vocation céréalière et jouant depuis toujours un rôle capital en matière de sécurité alimentaire du pays. Venant d'une agronome, agro-économiste tout en étant une agricultrice avertie, cette analyse devrait retenir l'attention du Ministère de l'agriculture en général et plus particulièrement de ses DG concernées comme celles la " production végétale" de la production animale" de " la planification ..." ainsi que de l'IRESA. Il y a de quoi meubler un débat interdisciplinaire.