Le barbier… des Sénateurs
Par Mohsen Redissi - A la mort de John Sims, le Sénat lui avait rendu un vibrant hommage. Son carnet d’adresses ferait pâlir de jalousie le plus grand des directeurs de communication. Pourtant il n’était qu’un simple barbier au Capitole, le Sénat américain. Il rasait de prés les sénateurs et côtoyait sans aucun complexe les grands du monde de la politique.
Twelve Years a Slave
Adolescent, lui l’enfant de couleur, avait brisé les chaines de son esclavage et avait fui son Etat natal la Caroline du Sud. Il avait laissé bien loin derrière lui la rage de ses maîtres et l’Etat qui l’avait vu naitre et avait gardé en servitude toute ces années. Il s’était installé dans l’Etat de l’Iowa pour faire perdre ses traces et éviter à jamais les coups de fouet de ses tortionnaires. Sa peau gardait encore les sillons profonds laissés par les lanières. Les planteurs enragés par la désobéissance de leurs cueilleurs rouaient de coups des peaux fragilisées par d’anciens châtiments, aggravées par des cicatrices purulentes et brulées par le soleil. Une façon comme une autre d’exprimer leur frustration. Un exutoire. Il avait risqué sa vie certes mais au bout du compte en choisissant la fuite Il s’était libéré du joug de la servitude. Ses anciens maitres l’avaient utilisé souvent comme lièvre. Pour entrainer leurs limiers, ils le lâchaient dans la nature et lançaient derrière lui leurs chiens. Il devait courir plus vite que la horde qui le traquait.
Chaque fois pour sauver sa peau, il devait chercher refuge dans un arbre.
Une lueur d’émancipation pointait à l’horizon à l’aube de la Guerre de sécession. L’espoir pour une vie meilleure et une liberté tant convoitée renaissait aux anciens esclaves et à ceux encore sous la servitude. Les roulements de tambour qui résonnaient au loin leur donnaient du courage. L’armée de l’Union les attendait à bras ouverts. Elle manquait de soldats gagnés à la cause. Ils désertaient leurs bourreaux, abandonnaient les plantations et allaient grossir les rangs des Etats abolitionnistes. Des régiments entiers étaient formés par d’anciens esclaves.
Rasera bien qui rasera de très prés
Il s’était fait engager comme main courante dans un salon de coiffeur, puis apprenti. Il restait debout des heures durant à observer son patron démêler les cheveux, les couper soigneusement aux ciseaux, brosser les barbes hirsutes et habiller chacun de ses clients. Un relooking dans les salons modernes. La rage de réussir le rongeait. Il avait très vite appris à manier la lame du rasoir et la mousse. Il était devenu un habile barbier et avait commencé à gagner de l’argent, le fruit de ses coupes.
Par le pur des hasards, le sénateur de l'Iowa William Boyd Allison s'était fait couper les cheveux par les soins de John Sims, l’esclave qui s’était affranchi. Séduit par les coups de ciseaux de son barbier et le glissement fluide de la lame aiguisée qui tombait sur les joues, il lui avait proposé d’exercer ses talents dans le salon de coiffure du Sénat. Le poste était vacant.
Il avait surpris ses nouveaux clients par la dextérité des ses doigts. Très vite son coup de peigne et son oreille d’écoute avaient conquis les sénateurs. Il était devenu très vite le confident des législateurs et leur conseiller en soins capillaires et vestimentaires. Les salons de coiffure en général ne sont-ils pas connus pour être des lieux d’interaction ? C’est là où il avait appris à connaitre les faiblesses de chacun de ses clients sénateurs et à jouer sur la fibre de leurs caprices.
Prêcheur dans ses heures perdues
John Sims, le barbier des Sénateurs, prêchait la bonne parole dans une paroisse les week-ends et les jours de fêtes religieuses. Il exhortait ses ouailles à servir Dieu et les hommes en toute honnêteté. Le remord le rongeait, il ne pouvait garder son office indéfiniment secret. Il s’était lié d’amitié avec le sénateur de l'Iowa et futur président Warren G. Harding, 29è président, 1921-1923. Il avait peur de trahir cette grande amitié. Cela frisait l’entendement. Sans passer par le confessionnal, il avait révélé à son sénateur son prêche jalousement gardé secret. Alléluia, il avait soulagé sa conscience et avait libéré son esprit.
Le barbier-orateur n’était pas tout à fait surpris de voir le sénateur Harding assister à un service religieux dans sa paroisse. Il s’enflammait, s’agenouillait, se roulait par terre pour garder ses fidèles alertes. Subjugué par le talent d’orateur du barbier, le sénateur Harding avait fait campagne auprès de ses pairs. L’Universal Church of Holiness voyait défiler chaque dimanche de nouveaux sénateurs. Deux vice-présidents, Calvin Coolidge et Charles Dawes, étaient devenus des habitués. Sims était fier de lui-même et de ce qu’il avait accompli. L’enfant né dans l’esclavage, 25 décembre 1843, côtoyait et prêchait maintenant devant un auditoire trié sur le volet. Dans les couloirs du Capitole, Il était connu sous le nom de « l'évêque du Sénat ». Il vouait publiquement une reconnaissance sans limite à Harding l’homme qui l’avait découvert et sorti de l’anonymat et de la clandestinité.
Eternelle reconnaissance
Son estime parmi les sénateurs il la devait à son neutralité. Il priait pour tous les candidats et leur souhaitait le succès. Aux urnes de les départager. L'âge et la maladie avaient eu raison de sa fière prestance. Affaibli, amoindri et incapable de saisir les outils de son gagne-pain quotidien, il continuait à aller tous les jours au Capitole et à son salon de coiffure, lieu de ses innombrables rencontres. Les sénateurs lui rendaient visite chez lui à la recherche de conseils et d’encouragements. Il meurt en 1934 à l'âge de 93 ans. A l’annonce de sa mort, les sénateurs décrivaient le barbier-prêcheur comme « l'homme le plus aimé et le plus populaire du Capitol Hill ». Hélas, son vœu le plus cher de prier lors d’une séance plénière du Sénat ne fut jamais exaucé.
Le secret de la longévité de John Sims en tant que barbier au Sénat américain, cinquante ans de loyaux services, il le devait à sa devise quand il était au summum de la coupe et du prêche. Une parfaite symbiose entre ses deux activités, une terrestre et l’autre céleste : « raser et sauver ». Rasez bien et prêchez toujours le salut et la bonne parole.
Mohsen Redissi