L’élevage tunisien et les nouveaux défis
Par Ridha Bergaoui - Chaque année, la Tunisie importe de grandes quantités de produits alimentaires aussi bien pour l’alimentation humaine qu’animale (blé, huiles végétales, maïs, soja, orge…). A coté de la sortie importante de devises qu’elle représente, cette importation fragilise notre économie, menace notre sécurité alimentaire et la durabité de nos systèmes de production.
Suite à cette dépendance, face aux marchés du maïs et du soja, le secteur de l’élevage plus particulièrement connait ces dernières années des difficultés importantes qui ont entrainé une augmentation des coûts de production, une détérioration de la rentabilité et ont désorganisé les différentes filières. Cette situation risque encore de s’aggraver suite aux nombreux défis auxquels le secteur de l’élevage est exposé.
L’élevage pose déjà de nombreux problèmes
Depuis quelques années, l’élevage est accusé de multiples maux. On lui reproche d’être un facteur important de production des gaz à effet de serre (méthane et CO²), responsables du réchauffement climatique. Il serait également à l’origine de pollutions diverses, de fortes consommations des ressources, de l’érosion des sols et de la désertification, de la disparition de la biodiversité…
Les conditions d’élevage, particulièrement des animaux dans les élevages intensifs industriels, jugées pénibles et inhumaines, sont de plus en plus décriées. Partout, une législation en matière de bien être animal réglemente les conditions à respecter lors de l’élevage, le transport et l’abattage des animaux.
De nos jours, le consommateur est de plus en plus conscient de l’incidence de son alimentation sur son état de santé et exige des produits sains, sans additifs nuisibles et qui lui plaisent sur le plan organoleptique. D’où le succès des produits biologiques, labels et de qualité.
Par ailleurs, la hausse des prix des intrants (engrais chimiques, pesticides, semences…) et surtout de l’énergie (pétrole et gaz) et le manque de main d’œuvre agricole ne cessent de faire grimper les coûts de production des produits animaux.
Produire plus et moins cher n’est plus suffisant. Il devient nécessaire de tenir compte des contraintes environnementales, du bien être animal, des incidences sur la santé du consommateur et des prix de plus en plus élevés des intrants.
Le réchauffement climatique, une menace permanente et silencieuse
Le réchauffement climatique, avec les changements qui l’accompagnent, représente un réel danger pour la planète. Chaque année des conférences internationales se tiennent pour examiner la situation et décider des mesures à prendre pour éviter un réchauffement excessif fatal. La COP 21, tenue à Paris en 2015 avait recommandé limiter l’augmentation du réchauffement à 1,5°C et la neutralité carbone à l’horizon 2050. La dernière COP 26 a décidé de la réduction de 30% des émissions du méthane produites par les animaux d’ici 2030.
Le réchauffement conduit à de graves changements climatiques avec des sécheresses et des phénomènes climatiques extrêmes (inondations et incendies). Il va remodeler le climat et les territoires. On s’attend à des répercussions socio-économiques importantes et des mouvements migratoires des régions sèches vers les régions plus favorisées.
Le réchauffement climatique risque d’affecter les disponibilités alimentaires au niveau de la planète alors que la population mondiale ne cesse d’augmenter pour passer de 7.5 milliards à 10 milliards d’habitants d’ici 2050. Il va entrainer la disparition de nombreuses espèces animales et végétales et une nouvelle répartition territoriale des êtres vivants aussi bien sur terre que dans les océans et les mers.
La Tunisie subit de plein fouet les effets du changement climatique. Ses effets sont déjà manifestes et nous sommes en train de vivre une série d’années sèches successives et un important déficit pluviométrique dont les conséquences sur les disponibilités hydriques et les productions agricoles sont visibles. Il faut s’attendre, dans les années prochaines à une augmentation de la fréquence des années sèches, la diminution des pluies, une variabilité importante des précipitations et des phénomènes climatiques extrêmes.
Les orientations futures de l’élevage
Dans le monde, les surfaces agricoles ne cessent de se rétrécir suite à l’érosion, la salinisation des terres et la désertification. Parcours, pâturage et surfaces réservées aux cultures fourragères seront réduits pour céder la place à des cultures nécessaires pour l’alimentation humaine.
La tendance est à la limitation des élevages et la réduction de la consommation des viandes. Les substituts des produits animaux, issus des industries agroalimentaires, l’élevage des insectes et le végétalisme font désormais partie des nouvelles habitudes alimentaires.
L’élevage bovin sera moins répandu, malgré des techniques mises au point et utilisées pour maitriser la production de méthane. Seul l’élevage des ruminants, nourris à base de produits riches en cellulose, des déchets végétaux et sous-produits agroindustriels, serait intéressant puisqu’il ne se place pas en concurrence avec l’homme. L’élevage des petits ruminants se fera dans les zones marginales ou pour valoriser les restes des cultures et les déchets de l’exploitation. L’élevage label, de terroir et de qualité sera dominant. Les élevages intensifs, industriels seront limités et se feront conformément à une réglementation très stricte et respectueuse de l’environnement et du bien être animal.
En Tunisie, des études montrent que la sécheresse va entrainer un manque des ressources alimentaires et conduire à une diminution des effectifs des animaux allant jusqu’à 80 % dans le sud et 20% dans le nord. Ces difficultés seront à l’origine d’un déficit des disponibilités en viandes, lait et œufs sur le marché et une augmentation sensible des prix de ces produits face à une population qui passera de 12 à 14 millions d’habitants en 2050.
Quelques pistes à développer
Dans le contexte d’un monde incertain et imprévisible, la priorité doit être donnée à la préservation de la sécurité alimentaire. L’élevage est un élément important de notre alimentation. Son rôle socio-économique n’est nullement négligeable et on ne peut se passer des animaux.
L’élevage, sera exposé de plus en plus à des difficultés et des contraintes qui risquent de réduire drastiquement les effectifs et les productions. Afin de faire face à ce danger, il est nécessaire de disposer d’un élevage diversifié, adapté aux changements climatiques et résilient.
1/ Des recommandations générales
• Lutter contre les pertes et le gaspillage alimentaire à tous les niveaux des différentes chaines de valeur des produits agricoles ainsi qu’au niveau du consommateur. Ce gaspillage, actuellement très important, ne sera plus permis dans un contexte d’économie de ressources et de manque de disponibilités alimentaires. Un effort de vulgarisation, sensibilisation et éducation auprès des producteurs, transformateurs et consommateurs sont nécessaires.
• Développer la culture des légumineuses, qui permet, à coté d’une couverture importante des besoins en protéines des consommateurs, d’améliorer la structure et la fertilité du sol et ne nécessitent aucun apport azoté lors de la culture.
• Une bonne éducation nutritionnelle du citoyen, dés le jeune âge, est nécessaire pour l’amener à manger suffisamment mais équilibré afin de faire des économies d’aliments et avoir une bonne santé (éviter les problèmes de surpoids et d’obésité à l’origine de graves pathologies).
2/ Au niveau des élevages
• Dans un contexte de rareté des ressources fourragères, rien ne sert d’augmenter les effectifs des animaux. Il faut opter pour la qualité et n’élever que les animaux qui sont capables de valoriser correctement les ressources limitées disponibles.
• Le stress thermique a un impact direct sur la production laitière. Limiter l’élevage de la laitière aux zones favorables et éviter de l’exposer aux fortes chaleurs.
• Développement des élevages bovins intégrés en polyculture, où les animaux sont nourris essentiellement à partir des produits de la ferme. Ces élevages seront ancrés dans un territoire géographique, adaptés au comportement naturel des animaux et permettant un accès au plein-air.
• Les éleveurs doivent constituer des stocks de fourrages pour faire face aux variations du climat et de la pluviométrie. La pratique de l’ensilage est à encourager et à développer.
• Le concentré doit être composé essentiellement de produits et sous produits locaux et donné, en complément en de quantités limitées.
• L’élevage intensif doit respecter le bien être animal et les législations environnementales. Ces élevages doivent se faire au sol avec accès à un parcours en plein air. L’alimentation doit comporter un maximum de produits locaux.
• Un retour à l’élevage traditionnel, ramasse miettes, avec une bonne couverture sanitaire est à encourager.
3/ La recherche, un pilier essentiel pour innover et s’adapter
Un grand travail de sélection sur l’adaptation aux changements climatiques est à prévoir pour définir les espèces animales et races les plus intéressantes et les moins exigentes. La recherche sur les cultures fourragères est appelée également à se développer afin de sélectionner des espèces et des variétés productives et peu exigentes.
La recherche est appelée à se développer pour améliorer l’efficacité des aliments par la génétique ou par les additifs nutritionnels. Les incidences socioéconomiques des événements et phénomènes climatiques présentés plus haut doivent être étudiées et quantifiées pour définir les orientations de la politique agricole et le soutien du secteur de l’élevage.
Conclusion
Les systèmes des productions animales pratiqués jusqu’ici ont permis d’améliorer les apports protéiques de la ration du Tunisien, d’atteindre notre autosuffisance en viandes, lait et œufs et de diversifier l’offre des entreprises agroalimentaires. Ces systèmes intensifs font appel à l’utilisation de quantités importantes d’aliments concentrés à base de maïs et de soja importés. Par ailleurs, depuis les dernières années, l’agriculture et l’élevage passent par des difficultés graves en rapport avec le changement climatique, le déficit hydrique et le stress thermique.
La refonte complète des systèmes actuels de production et l’adoption de méthodes innovantes et propres, respectueuses de l‘environnement, sont nécessaires.
La recherche sera le moyen sûr pour l’innovation et l’adaptation. Il faut lui accorder les moyens humains et matériels nécessaires à la réalisation de ses programmes.
Il est indispensable de soutenir les agriculteurs pour surmonter les conséquences désastreuses des caprices du climat et disposer des aliments nécessaires pour notre survie et notre sécurité alimentaire. L’encadrement, l’accompagnement et la vulgarisation sont àdévelopper pour permettre aux agriculteurs et éleveurs de s’adapter et surmonter les nouveaux défis.
Enfin il serait peut être possible un jour, grâce aux progrès technologiques et de la bonne volonté, de transformer la difficulté en opportunité. Exploiter le désert pour produire de l’électricité qui sera utilisée pour la désalinisation de l’eau de mer est un rêve qui a caressé nombreux d’entre nous. Ce sera une belle solution pour disposer de l’eau douce bon marché et en quantité illimitée. Il serait ainsi possible de produire aliments divers et fourrages et vaincre la sécheresse et le stress hydrique.
«Un rêve est toujours agréable à vivre, même si au bout la réalité est décevante» disait Mazouz Hacène
Ridha Bergaoui
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