France : LPC, un alibi bien commode ! pas un hôpital ou un laboratoire sans Nejla, Mohamed ou Hichem
Par Dr Mohamed Salah Ben Ammar - Pour Taieb, 18 ans à peine, bachelier en juin 2021, l’année universitaire 2021-2022 sera une année blanche. Nour, Youssef, Malek et tant d’autres sont dans la même situation. Ils étaient pourtant dûment inscrits dans des universités françaises à travers Parcoursup, leurs parents citoyens tunisiens ont un emploi stable et des revenus fixes ! A ce jour, ils ignorent pour quelle(s) raison(s) le sésame nécessaire aux études en France leur a été refusé.
L’autre jour sur les ondes de France Inter une jeune dame en fin de vie, résidant légalement en France a prié, avec une voix brisée par la maladie, les autorités françaises de délivrer un visa à ses parents pour qu’ils puissent venir passer avec elle les derniers jours qu’il lui reste à vivre.
Clairement la campagne présidentielle de 2022 en France a démarré sur de mauvaises bases. La pandémie, la dette publique, le chômage, le réchauffement climatique, le pouvoir d’achat ? Laissez tomber, cela ne draine pas les foules et ne fait pas le buzz. La question migratoire ? Sûrement et à tous les coups. Entendez par question migratoire les arabes, c’est-à-dire les maghrébins, en d’autres termes les musulmans trop souvent abusivement confondus avec islamistes. La glissade est facile.
Chacun y va de son petit quatrain : je propose de suspendre la politique de regroupement familial pendant 5 ans, le transfert d’argent, de réduire le nombre de visas délivrés, les plus hardis proposent des expulsions massives ou de nettoyer au Karcher les cités.
La destruction de l’hôpital public c’est les immigrés, le chômage, c’est encore eux, le déficit de la sécurité sociale, l’insécurité n’en parlons pas…Pas un sujet ne peut plus être abordé sans qu’on le rattache à l’immigration. Les sentiments les plus refoulés que l'on retrouve d'ailleurs dans toutes les sociétés, la xénophobie, le racisme…sont stimulés, banalisés. Ce que chaque responsable digne de ce nom devrait dénoncer, est, ici au contraire, exploité et mis en avant. Droite, gauche, centre jouent sur une palette de nuances mais le fonds de commerce est le même, rares sont ceux qui ont le courage de nager à contre-courant.
Pourtant, il suffit de mettre de côté ses instincts primitifs et d’observer. Pas un laboratoire de recherche français, pas une boîte d’informatique, pas un hôpital, pas une grande institution, une entreprise renommée ne pourra se passer des Mohamed, Nejla, Hichem, Ahmed et j’en passe. Ils produisent, payent leurs impôts et créent de la richesse, obtiennent des distinctions...au nom de la France. Qu'ils aient été formés dans leurs pays d'origine ou en France, ils sont à la recherche d’un épanouissement professionnel, d'une qualité de vie, d'un mode vie parfois. N'est-ce pas un droit humain universel ?
Prenez le métro le matin tôt, visitez un chantier, allez faire vos courses dans un marché, observez les femmes de ménage qui viennent nettoyer le matin tôt ou le soir alors que vous quittez votre bureau, prenez la peine de dire bonjour aux éboueurs, demandez-vous qui sont ces personnes qui font les métiers les plus pénibles, d’où viennent-elles et comment vivent-elles ? N'ont-ils pas droit à un minimum de reconnaissance (considération) ?
Réduire le nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays qui rechignent à reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière ! Voilà la solution miracle! "…Oui, c'est un des leviers que le président de la République, que le ministre de l'Intérieur envisagent" a déclaré le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune. Punir collectivement des citoyens qui n'ont aucune responsabilité dans cette situation, ni de moyens d'action, est-ce une bonne approche ?
Le reproche fait aux gouvernants est lui-même contestable. Les fameux "laissez-passer consulaire" (LPC), nécessaires aux expulsions, ne seraient délivrés qu’au compte-gouttes par les pays du Maghreb !!! Le raccourci médiatique surtout en période électorale est pratique. Les pays du Maghreb refusent de délivrer des LPC. C’est pourtant ces pays qui proportionnellement délivrent et de loin le plus de LPC !!! Rappelons au passage que pour qu'un étranger soit reconduit à la frontière, il est nécessaire de déterminer sa nationalité et que son pays accepte de le reconnaître comme son ressortissant. Pour ceux démunis de passeport, ce qui est le plus souvent le cas, il faut donc obtenir du pays un laissez-passer consulaire (LPC). Des accords bilatéraux entre États régissent ces procédures. Faut-il donc s’asseoir sur les conventions internationales, le droit des étrangers, le respect des libertés individuelles et mettre dans des charters les étrangers en situation irrégulière pour aller dans le sens des sondages ? Est-ce vraiment la solution aux problèmes de l'immigration illégale que d'accepter moins d'étudiants ou d'accorder moins de visas à de paisibles citoyens maghrebins ?
Serait-ce trop demander de parler des conditions de travail dans les centres de rétention administrative (CRA) ? Dans une proportion non négligeable, ces CRA libèrent les étrangers en situation irrégulière faute de place. Par ailleurs, les conditions d'hébergement dans ces CRA sont régulièrement dénoncées.
Pourquoi passer sous silence l’une des plus importantes causes de non reconduites à la frontière ? Les décisions de justice, administrative et judiciaires pour non-respect des conditions d’interpellation, pour absence de procès-verbal ou d’empreintes digitales, ou pour recours abusif à l’interprétariat par téléphone, ou de non-respect des délais… pour non représentation de l’État devant les juridictions (les préfectures sont censées représenter l’État devant le juge administratif).
Les causes d’échecs à l’éloignement ne se résument pas à l’absence de LPC, loin s'en faut. Il faut le dire.
Jouer sur les émotions et les colères rapporte sûrement des voix aux élections, mais ne règlera aucun problème, le pire est qu'ils le savent mieux que quiconque.
Certes les plaies encore béantes peuvent brouiller la vue des plus généreux, quoique la lettre ouverte "vous n'aurez pas ma haine" d'un certain Antoine Leiris qui venait de perdre son épouse au Bataclan résonne encore dans mes oreilles. Une grandeur d'âme et une lucidité exceptionnelles. L’horreur et la barbarie de ce qui s’est passé en France ces dernières années dépasse ce que l'on pouvait imaginer. Il y a un avant et un après 13 novembre 2015. Nous ne l’oublierons jamais. Mais la société française a été digne et a montré à quel point la France était une grande Nation, malheureusement sa classe politique l’est moins depuis quelques temps. Jouer sur les amalgames est profondément malhonnête et contre productif. La France compte sur son territoire plusieurs millions de personnes d’origine maghrébine qui vivent, produisent, respectent les lois de la république et aiment vivre en France, ne les confondons pas avec les quelques centaines d’étrangers en situation irrégulière suivis pour "radicalisation" ou autres méfaits.
La complexité des relations qui nous lient devrait nous interdire toute simplification. Des liens historiques indéfectibles se sont tissés entre nous depuis des milliers d'années, des liens intemporels qui nous dépassent, ils unissent définitivement les peuples de deux rives de la Méditerranée n'en déplaise aux démagogues et populistes des deux rives de Mare Nostrum.
Punir des familles entières, priver des étudiants de visas d’études, alimente le ressentiment des deux côtés de la méditerranée, et amène de l’eau au moulin de ceux qui veulent semer la discorde.
Dr Mohamed Salah Ben Ammar