Opinions - 06.11.2021

Mohamed-Arbi Nsiri: discours de réception du Prix du jeune chercheur attribué par Beït El-Hikma

Mohamed-Arbi Nsiri: discours de réception du Prix du jeune chercheur attribué par l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts (Beït El-Hikma)

Monsieur le Président de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts,
Madames et monsieurs les Académicien(ne)s,
Madames et monsieurs,

Permettez-moi tout d’abord de saluer et de remercier votre vénérable Académie pour avoir créé le « Prix du Jeune chercheur » afin d’encourager et de pousser les jeunes talents du pays vers plus de créativité. Je ne vous cache pas, honorables professeurs, que je suis très fier aujourd’hui de recevoir ce prix et je souhaite exprimer ma profonde reconnaissance aux membres du comité scientifique et à leurs collaborateurs qui me font l’honneur de cette cérémonie dont je garderai longtemps. Et sans faire recours à la rhétorique et à la puissance du verbe, l’annonce de ce prix m’a paru au prime abord irréel et j’avais hâte de savoir pourquoi vous m’aviez choisi. Ce jour-là, je crois n’avoir jamais ressenti de manière aussi forte combien un historien est aveugle vis-à-vis de sa propre histoire.

Curieuse activité solitaire que celle de produire des travaux académiques sérieux et de qualité. Vous passez par des moments de découragement quand vous rédigez les premières pages d’une recherche en construction. Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route. Et alors, la tentation est grande de revenir en arrière et de vous engager dans un autre chemin. Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route. Néanmoins, cette route semble parfois difficile. La crise des sciences humaines et sociales est désormais un fait réel et ressenti malgré qu’on insiste, dans les rencontres internationales ainsi que dans les plateaux télévisés, sur la capacité des sciences sociales de prévoir les états futurs des phénomènes étudiés et sur les possibilités de la mettre à profit dans la pratique. Cela est bien évidemment vrai, mais la recherche en sciences sociales ; fortement atteinte par le matérialisme de notre société postmoderne ainsi que par les différents types de crises économiques (quel que conjoncturelle ou structurelle), n’échappe pas à la logique du marché ce qui peut désencourager plusieurs jeunes chercheurs de tendance idéaliste.

Pour ma part, ce manque de visibilité et de perspective m’a poussé, pour des raisons différentes et contradictoires, à être plus productif car la compétition scientifique entre chercheurs est généralement la première modalité à laquelle on pense lorsqu’on veut s’imposer dans le monde universitaire. Mais avec le temps, j’ai pu développer une autre philosophie de recherche basée sur l’amour de ce que je fais.

Depuis quelque temps, je suis de plus en plus convaincu que nous sommes en train de vivre, et ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité, une période de transition historique : une transition conceptuelle, académique et aussi méthodologique. Dans le même temps, les esprits semblent trop souvent gagnés par la confusion. La recrudescence des discours extrémistes, de l’intolérance, du racisme, du populisme est l’une des tristes caractéristiques de notre époque gagnée par l’amnésie. Ici, le rôle académique, mais aussi social, des spécialistes des sciences humaines et sociales, et en particulier des historiens, semble important. Nul n’ignore que la connaissance du passé nous éclaire sur la conduite à tenir dans les événements à venir. C’est pour cela que l’enseignement de l’Histoire doit conserver toute sa place dans l’Agora. C’est une exigence cruciale pour donner le recul nécessaire, pour bien appréhender le présent et préparer l’avenir. C’est pour cela que le devoir de mémoire, de toutes les mémoires, est une ardente obligation.

Plusieurs historiens tunisiens, dont plusieurs membres de votre prestigieuse académie, comme Mohamed Talbi et Hichem Djaït, ont insisté, dans le leurs travaux de réflexion, sur l’obligation de l’élargissement du champ de la prospection historique afin d’assurer une connaissance de plus en plus solide des traces du passé. Cette vision d’une lecture toujours en progression de l’histoire m’a beaucoup marqué dans mes travaux académiques qui ont essayé de contribuer à percer les ressorts d’une période charnière (l’Antiquité tardive) de l’histoire de la civilisation méditerranéenne.

L’origine de mes travaux plonge ses racines dans une passion personnelle précoce pour la fin du monde antique et une curiosité scientifique pour les relations entre le christianisme (religion marquante de cette période) et la civilisation romano-africaine. Éveillé dans le contexte universitaire, ce dernier engouement aiguilla le choix de la problématique examinée dans le cadre de ma thèse de doctorat, soutenue à l’université Paris Nanterre, et qui porta sur le pouvoir local des évêques dans les cités de l’Afrique du Nord tardo-antique. Cette plongée dans le monde de la fin de l’Antiquité s’est révélée fascinante et a engendré de nombreux questionnements qui ont inspiré plusieurs communications et articles académiques.

Cette thèse, entamée il y a maintenant presque sept ans, fut un labeur de longue haleine qui, s’il revêt par de nombreux côtés un caractère solitaire, n’aurait pu aboutir sans que de nombreuses personnes et institutions n’apportent leur pierre à l’édifice, sur le plan scientifique autant que personnel. C’est pourquoi j’en profite de cette occasion pour remercier de nouveau, et d’une manière solennelle cette fois, mon directeur de thèse le Professeur Hervé Inglebert, qui après avoir joué un rôle de premier plan dans la construction de mon savoir historique sur l’Antiquité tardive, il m’a apporté son soutien sans faille dans la définition, l’élaboration et la réalisation de mon projet doctoral. Qu’il reçoit ici toute ma gratitude pour la confiance qu’il a placé en ma personne, pour sa disponibilité et sa bienveillance, ses encouragements, ses conseils avisés, ses observations pleines d’érudition et aussi pour ses critiques, parfois trop sévères.

Ma reconnaissance va également à tous mes professeurs français et tunisiens, dont madame Mounira Chapoutot et monsieurs Azedine Beschaouch, Ammar Mahjoubi et Abdelhamid Hénia, pour ne citer que les membres de votre académie.

Je réserve les ultimes phrases de ce discours à mon père, ma mère et mon frère qui, depuis des années maintenant, partagent mon quotidien malgré la distance qui nous sépare. Outre des remerciements pour leur aide financière et surtout morale, qu’ils trouvent ici l’expression affectueuse de ma profonde reconnaissance pour l’amour et la confiance qu’ils me témoignent. Ce prix, dont vous m’avez honoré, est aussi le leur.

Mohamed-Arbi Nsiri