Riadh Zghal - Tunisie: Où va le processus de la transition démocratique ?
Il faut admettre que le risque d’échec du processus cahotant de la transition démocratique dans notre pays est on ne peut plus prégnant. Cela paraît de plus en plus clair au fur et à mesure que les maux de la société et ceux de la classe politique _ qui en est une émanation _ éclosent au grand jour. Car la démocratie c’est avant tout une dynamique sociale. Elle peut être impulsée par le sommet ou par la base qui se soulève contre l’autoritarisme. En revanche, le déclic démocratique ne trouve pas toujours de répondant pour se propager et s’étendre aux modes de pensée et de comportement individuels et collectifs. Les obstacles se forment et se renforcent mutuellement pour bloquer l’évolution vers un environnement démocratique.
C'est l’environnement souhaité où règne la liberté d’expression avec des décideurs à l’écoute, la gestion participative des affaires publiques, la bonne gouvernance à l’échelle nationale, régionale et locale, une économie saine et prospère, une distribution équitable et inclusive des richesses, des services sociaux de qualité – éducation, santé, transport…
Tous ces ingrédients d’une démocratie durable font défaut ou sont actuellement menacés telle la liberté d’expression. Tout se passe comme si un air de retour à la dictature soufflait sur le pays. La menace pèse sur tant d’acquis : l’éducation, la santé, le droit des femmes et des enfants, les valeurs sociales du vivre-ensemble, la valorisation du savoir et de la science, la foi dans la nation et dans sa position sur l’échiquier régional et mondial.
Cette menace va s’amplifier tant que la prise de conscience des maux qui rongent en profondeur, tel un cancer, est défaillante, et que rien n’est engagé pour leur traitement. Par ailleurs, les principes fondateurs et toxiques à l’œuvre depuis 2011 dominent le climat politique: destruction versus préservation des acquis et construction, revanche versus mobilisation des compétences et synergies entre acteurs, ego démesurés de politiques au pouvoir, opportunisme assorti de cupidité, d’avidité avec leur pendant de corruption, absence de vision et de stratégie pour conduire les affaires d’intérêt général, domination des idéologies et du juridisme versus traitement des graves questions d’ordre économique et social.
On ne verra pas le bout du tunnel tant qu’on ne s’est pas débarrassé de ces paradigmes nocifs. Au lieu de pérorer sans cesse sur la pertinence de la constitution, attelons-nous à l’amélioration des conditions de vie des citoyens placés sur la pente glissante de l’appauvrissement, donnons plus de pouvoir et de moyens à la base pour participer à la résolution des problèmes qui ne sont pas tous nationaux ni juridiques, mais aussi locaux, redonnons confiance dans la démocratie en l’orientant vers la participation et la délibération à plus d’un niveau institutionnel... Il y a un travail colossal à faire sur l’économie, la culture dans ses dimensions de valeurs et de représentations sociales. La palabre sans suite a trop duré. Maintenant il est temps d’agir positivement. Mais est-ce possible alors que le déficit de communication qui sépare le politique du social est abyssal ?
La sortie de la crise n’est pas une affaire d’un homme qui détient tous les pouvoirs, quelle que soit sa popularité, l’histoire montre que tout enthousiasme populaire reste volatile. Ce n’est pas non plus l’affaire de l’aide des partenaires bienveillants de la Tunisie fût-elle très généreuse. Le ver est dans le fruit et comme le dit le proverbe arabe, «rien ne peut gratter ta peau comme ton propre ongle». La démocratie et la gouvernance sont affaire de culture et partage des pouvoirs. Il y a besoin de changement culturel qui ne pourrait se réaliser sans un encadrement de proximité. Cela fait partie du rôle des partis politiques et des institutions. Les partis qui s’attachent à la démocratie peuvent assurer une telle mission. Encore faut-il qu’ils s’allient autour d’une vision partagée susceptible de faire sens pour la majorité des citoyens. Parallèlement, il faudra, sans plus tarder, trouver une formule pour remettre en place les institutions démocratiques et la séparation des pouvoirs. Plus le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul homme, plus les chances d’instaurer durablement la démocratie, telle que décrite plus haut, s’amenuisent. Ce qui est le plus à craindre c’est que le retour des réflexes populaires d’encensement d’un chef détenteur de tous les pouvoirs se renforce par la volonté de ce dernier de prolonger l’Etat d’exception au mépris de toute tentative d’engager un dialogue avec lui. Qui pourra arrêter la colère qui gronde lorsqu’elle explosera dans la rue ? Et qui pourra l’éviter ? Difficile d’y répondre car comme l’a écrit Steve Taylor : «L’un des grands avantages de la démocratie, c’est qu’elle permet à n’importe qui, peu importe sa situation sociale initiale, d’occuper des postes d’influence et de pouvoir. Mais l’un des pires aspects de la démocratie, c’est qu’elle permet à n’importe qui, peu importe sa personnalité et ses défauts de caractère, de se hisser dans des positions d’influence et de pouvoir.» (Out of the Darkness: From Turmoil to Transformation, 2011)
Riadh Zghal