News - 06.07.2021

La fête du sacrifice en période de pandémie: une réponse à M. le Mufti de la république

La fête du sacrifice en période de pandémie: une réponse à M. le Mufti de la république

Par Sami Bibi - La fête du sacrifice commémore le sacrifice manqué du fils d’Abraham. Cette fête est probablement la plus importante fête pour les musulmans. Pour cette raison, elle est appelée traditionnellement « la grande fête » (El-Aïd El-Kebir).

Il convient de rappeler brièvement l’histoire commémorée par cette fête : Abraham et son épouse Sarah n’arrivaient pas à avoir d’enfants. Sarah propose alors à son époux de concevoir un enfant avec sa servante Hagar. De cette union naîtra premier fils d’Abraham, Ismaël. Quelques années plus tard, Abraham rencontre un ange qui lui annonce que sa femme Sarah tombera enceinte et qu’il aura un deuxième garçon : Isaac. Un jour, Dieu demande à Abraham d’offrir l’un de ses deux enfants en holocauste (le Coran ne précise pas lequel). Abraham obéit. Au moment de le faire, un ange s’interpose en lui demandant de remplacer l’enfant par un bélier.

Au regard des valeurs humanistes actuelles, cette injonction divine d’offrir en holocauste son propre enfant semble être invraisemblable, choquante et même d’une extrême violence. Toutefois, au regard des valeurs éthiques et sociales de l’époque du Prophète Abraham, cette injonction était plutôt à la fois progressiste et révolutionnaire. D’un côté, les sacrifices humains pour les fausses divinités étaient la règle à l’époque d’Abraham. Ils étaient au cœur des pratiques cultuelles des populations contemporaines d’Abraham; et même plusieurs siècles après lui. Il était donc naturel, et même honorable, pour Abraham de se soumettre à l’injonction du vrai Dieu unique pendant que ses pairs associationnistes offraient des sacrifices humains à des fausses divinités. De l’autre côté, la demande divine du sacrifice du fils d’Abraham avait décidé d’interdire cette pratique ancestrale. En refusant le sacrifice de l’enfant et en le remplaçant par un animal, Dieu avait fait comprendre à Abraham, à ses contemporains et à leurs successeurs qu’Il rejette les sacrifices humains, qui seront désormais interdits. En d’autres termes, Dieu nous enseigne à travers cette histoire que la vie humaine est sacrée; et il devient même interdit de la sacrifier y compris pour plaire à Dieu.

Comment célébrer cette fête aujourd’hui?

Comme toutes les histoires du Coran, l’histoire d’Abraham vise à nous faire comprendre sous la forme d’une parabole la démarche permettant de nous réaliser socialement et spirituellement. Le sacrifice animal avait pour objectif de célébrer la vie et de mettre fin aux sacrifices humains. Seulement, pour que cette histoire ait un intérêt aujourd’hui, il faut savoir en tirer les bonnes leçons face aux défis que nous impose la pandémie de Covid-19.

À cause du sous-équipement de nos hôpitaux, la Tunisie enregistre depuis plusieurs jours une centaines de morts. La majorité de ces vies perdues auraient pu être sauvées si nos hôpitaux disposaient d’un nombre suffisants de lits, de concentrateurs d’oxygène, et d’autres équipements anti-Covid.

Réagissant à plusieurs appels lancés par divers intervenants de la société civile de consacrer les fonds destinés à l’achat des moutons de l’Aïd pour combler le sous-équipement de nos hôpitaux, le cheikh Othman Battikh, Mufti de la République, a déclaré que la charité ne peut remplacer le sacrifice de l’Aïd El-Kebir qui demeure une obligation pour tout musulman qui en a les moyens!
M. Battikh semble tout d’abord oublier que le sacrifice du mouton n’est pas une obligation religieuse. Plus grave encore, M. Battikh ne semble  comprendre que se contenter de sacrifier un animal simplement pour le manger et passer un bon moment en famille n’est clairement pas l’objectif de cette fête. Ceci est d’autant plis vrai lorsque l’argent ayant servi à l’achat des moutons aurait pu être plus utile pour l’équipement de nos hôpitaux.  M. Batikh ne semble donc pas avoir compris le sens profond de l’histoire du Prophète Abraham et de la finalité du sacrifice d’un animal imposé à son époque. Lorsque ce sacrifice devient lui-même un frein qui nous empêche de réduire les dégâts humains de cette maudite pandémie, le rôle du Mufti qui doit mieux comprendre la finalité de cet événement est d’appeler les fidèles à suspendre, au moins temporairement, cette pratique pour contribuer à l’effort de guerre contre la Covid.

Depuis plusieurs années déjà, la façon de célébrer cette fête semble s’éloigner de son objectif d’origine. La fête du sacrifice visait avant tout le partage de l’animal sacrifié notamment au profit des plus démunis de la société. Faut-il ici rappeler qu’à l’époque du dernier Prophète et pendant plusieurs siècles après lui, le jour de cette fête était l’une des rares occasions où les gens pouvaient manger de la viande. Et l’animal tué était consommé le jour même donc partagé entre tous. Ce qui signifie de fait que tout les musulmans n’égorgeaient pas chacun son propre mouton, sinon il y en aurait beaucoup trop. Le bon compromis aujourd’hui pourrait être, par exemple, notamment en cette période si difficile, de sacrifier un mouton par trois ou quatre familles. Ce faisant, l’argent épargné pourrait servir à l’effort de guerre contre la pandémie.

Sami Bibi

 

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