News - 22.05.2021

Le cri du cœur d'un enfant de Ghaza à l'adresse des Israéliens: vous n'aurez même pas ma haine

Le cri du cœur d'un enfant de Ghaza à l'adresse des Israéliens: vous n'aurez même pas ma haine

Par Selim Samer - Je suis né à Jayous, un village palestinien, proche de la Méditerranée.

En été, je peux apercevoir la mer du toit de notre maison. Mais, nous sommes séparés de la mer par la nommée Tel Aviv.

Cette séparation n’est pas seulement physique et matérielle, elle est surtout morale… car je ne peux jouir de la mer qu’avec la permission d’un soldat d’origine éthiopienne, russe, française, polonaise et que sais-je encore.

Mon père est agriculteur et commerçant. Il cultive les oliviers de mon grand-père et vend toutes sortes de marchandises
Ma grand-mère et mes oncles ont tenu à ce que je grandisse chez mon grand-père et pas chez mes parents… Peut-être parce que je suis l’aîné parmi mes frères et sœurs, c’est ce que je crois, mais je ne suis sûr de rien.

J’ai grandi en écoutant des discours passionnés… entendant le mot « Fatah » à chaque pause et à chaque repas…

Une grande photo occupait la place centrale dans le salon. C’était la photo d’un homme que je ne connaissais pas, mais il parait qu’il avait une importance que je ne comprenais à l’époque : c’était Jamal Abd Ennasser, le président égyptien.

Un jour, j’entendis un homme hurler à la radio et ma grand-mère -paix à son âme- était en train de pleurer… C’était Abou Ammar (alias Yasser Arafat) lors du massacre de Sabra et Chatila en 1982.

Lors de mes dix ans, éclata le soulèvement aux jets de pierre plus connu sous le nom de « l’Intifada ».

Je n’avais rien compris, et je ne sais ni pourquoi ni comment je me suis retrouvé participant à chaque manifestation et à chaque occasion me permettant d’exprimer je ne sais quoi qui me taraudait de l’intérieur et que je ne pouvais expliquer alors.

Les balles, la vie, la mort, la peur, je n’y pensais guère. Je vis des soldats de couleurs différentes, blancs et noirs, grands et petits, d’allures européennes ou africaines, arabes ou étrangères... Ces soldats je les appelais « les colorés»… Tous nous tiraient dessus… Et nous, nous leur jetions des pierres. C’était le jeu du chat et de la souris. Un jeu plaisant pour un enfant dans la vie duquel le jeu n’avait pas de place. Entre l’école et le travail avec mon père –paix à son âme-  l’enfant que j’étais n’avait jamais su ce que c’était que jouer ou s’amuser.

Et tombe la nuit… Et les hommes aux couleurs disparates, aux ethnies et aux nationalités diverses, envahirent la maison de mon grand-père, ils démolirent tout le contenu de la maison, et en premier lieu la grande photo qui trônait dans le salon.

Ils étaient venus arrêter mon oncle Jamal… Cet homme qui, entre un verre et un autre, ne s’intéressait qu’aux livres, nouvelles, romans, dictionnaires… Je m’endormais après sans me soucier de ce qui s’était passé, ou du moins, c’est ce que je crus alors.

Les colorés revinrent une autre nuit et ils cassèrent, brisèrent, battirent, humilièrent, crachèrent, maudirent, urinèrent et arrêtèrent mon autre oncle Khaled, cet universitaire calme mais révolutionnaire et partisan du Fatah. Il ne revint qu’après plus de cinq ans d’emprisonnement.

Et entre ces arrestations et ces balles, je perdais mon enfance.

Plus rien ne fut comme avant. La colère bouillonnait dans mes entrailles. Toutes ces catastrophes assassinèrent mes rêves, assombrirent mes matinées, tuèrent tout trace de joie à la maison.

Et je grandis au milieu de cette fureur…

Et je grandis entre les barrières de ces soldats aux couleurs variées et sous leurs balles… Je croisais ces colorés sur la route de l’école entre Jayous, mon petit village natal, et Azoun, le village où se trouvait mon lycée. Ils étaient courts sur leurs jambes, abattus, misérables, leurs armes touchaient presque le sol tellement ils étaient petits de taille. Je voyais dans leurs yeux un mélange de tristesse, de peur et de haine…

Je ne les craignais pas…

Ils nous demandaient de descendre de la voiture du professeur Youssef –Paix à son âme- et de vider tout le contenu de nos cartables. Ils y trouvaient du plaisir, chaque jour, chaque matin…

Et à chaque fois, j’en riais presque… mais je me contentais d’un sourire moqueur …Il en devenait fou de rage, ce bout d’homme soldat venu de je ne sais où, ignorant lui-même d’où il vient et dans quel but il est là.

Oui, nous les combattions avec les pierres, les rires moqueurs, l’indifférence alternant attaques et retraites.

Je n’étais ni du Hamas ni du Fatah… ni de gauche, ni de droite… ni islamiste ni nationaliste…

J’étais un enfant dont on avait volé les rêves… et qui se contentait d’une pierre et d’un sourire moqueur.

Je suis aujourd’hui en France… J’écoute les opinions des uns et des autres : ils réduisent la cause palestinienne à Hamas et à ses fusées et osent nommer ce qui se passe : un combat entre fanatiques !!!

Hamas d’un côté, Nataneyahu de l’autre

Ils résument le fait de spolier et de violer la terre et le ciel, d’aliéner les hommes, de s’approprier les arbres et les terres, de falsifier l’histoire, de détruire le présent et le futur, d’anéantir mes rêves et mes joies…

Ils résument tout cela en combats entre fanatiques… Et ce faisant, ils démolissent à nouveau mon esprit et tout mon être.

A tous ceux-là, je m’adresse en toute amabilité : ayez l’obligeance de vous contenter de vos propres peurs et de vous taire… Vous me témoignerez ainsi un certain respect en tant qu’être humain.

Selim Samer
Médecin anesthésiste réanimateur
 

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