News - 16.04.2021

Tunisie: Sachet en plastique et gaspillage, deux abus qui nuisent à notre pain quotidien

Tunisie: Sachet en plastique et gaspillage, deux abus qui nuisent à notre pain quotidien

Par Ridha Bergaoui - Pour le Tunisien, le pain est un produit de base essentiel et incontournable, présent obligatoirement à tous les repas. Tous les jours il doit passer par l’épicier ou le boulanger s’approvisionner en pain. Celui-ci est servi, depuis quelques années, dans des sachets en plastique jetables (spj) malheureusement nuisibles aussi bien à la santé qu’à l’environnement. Ils ont été interdits partout. En Tunisie le décret 2020-32 du 16 janvier 2020 a mis théoriquement fin à l’usage de cet emballage.

Par ailleurs, le consommateur affectionne le pain chaud qui vient de sortir du four. Le pain sec et les restes sont carrément mis à la poubelle. Le gaspillage du pain est important surtout au mois de Ramadan connu pour les excès alimentaires. L’INC estime, en 2016, à 113 milles tonnes de pain gaspillé par an (en moyenne 900 000 pains/jour) représentant une perte de 100 millions de dinars.

Le plastique ne convient pas pour l’emballage du pain

Les sachets en plastique jetables (spj) sont trop fins, se déchirent rapidement, surtout avec du pain chaud et si on y place plus d’une baguette. Le pain se retrouve rapidement par terre. Il a été démontré que les spj réagissent avec le contenu surtout en présence de chaleur en produisant des composés chimiques toxiques et cancérigènes.  Ces spj très étanches ne permettent pas à l’humidité du pain de s’évaporer conduisant ainsi, après peu de temps, à un pain froid et humide, caoutchouté, très peu appétissant. La meilleure façon de transporter et de garder le pain est le sac en papier kraft ou en tissu.

Ces emballages reviennent beaucoup plus chers que le simple spj. Ni le consommateur, ni le boulanger ni l’Etat ne sont prêts à accepter prendre en charge ces frais supplémentaires. Deux solutions sont possibles. Soit que le boulanger ne donne pas de sac et ne doit compter que le prix de la baguette (190 millimes et non 200 millimes). Dans ce cas le consommateur doit apporter son sac à pain ou en acheter un à la boulangerie (comme on le fait déjà au supermarché pour faire ses courses).

Soit autoriser l’utilisation du sac à pain publicitaire (spp). Dans ce cas, les frais seront pris en charge par l’entreprise qui veut faire la publicité. Celle-ci va approvisionner gratuitement la boulangerie en sacs papier comportant le message publicitaire imprimé. Elle peut également payer une agence de publicité qui se chargera d’imprimer le message publicitaire sur les sacs et les livre aux boulangers. Le client bénéficiera ainsi gratuitement d’un sac de qualité que ni l’Etat ni le boulanger ne payent non plus.

A l’étranger, le sac à pain est reconnu comme moyen de publicité très puissant et efficace. Le message arrive directement au client et l’accompagne longtemps. Il est très utilisé par les entreprises et également par les organismes locaux ou régionaux lors de diverses campagnes de sensibilisation et d’information.

L’approvisionnement des boulangers en sacs à pain dépend malheureusement de l’engagement, des politiques et des moyens des entreprises économiques privées ou publiques désirant communiquer à travers le spp. Cette solution semble peu envisageable pour le moment dans le contexte de crise économique actuelle.

Comment réduire le gaspillage du pain

Une grande partie du pain confectionné et mise à la vente n’est pas consommée et se trouve perdue. Ce gaspillage revient cher à l’économie nationale. Le faible prix du pain, payé par le consommateur, n’explique pas à lui seul le phénomène du gaspillage. En France, où le prix de la baguette de 250 gramme avoisine  un euro, le pain est également jeté à la poubelle et le gaspillage y représente un sérieux problème. Augmenter le prix du pain ne résoudrait pas la question. Il faut en premier sensibiliser le consommateur pour l’amener à changer de comportement.

1- La sensibilisation du citoyen

Jadis, le Tunisien témoignait de beaucoup de respect pour le pain, d’ailleurs la religion musulmane interdit tout gaspillage et excès. Aujourd’hui, les jeunes sont moins sensibles et attachés à cette culture. Il serait important d’organiser, en collaboration avec les associations, organismes et toute la société civile,  des campagnes de sensibilisation pour expliquer (à coup d’arguments patriotiques, civiques, économique, religieux…) l’importance de combattre le gaspillage du pain. Ces campagnes doivent s’adresser aux jeunes dans les établissements scolaires et également aux parents sensés donner l’exemple à la maison.

Il serait opportun d’organiser également une « journée du pain » et d’arranger des séminaires, colloques et réunions pour parler du pain, expliquer sa fabrication, la composition nutritionnelle, les différents types, le travail du boulanger, comment lutter contre le gaspillage et bien d’autres questions en rapport avec le pain. On pourrait organiser à cette occasion, une exposition ou un salon, pour présenter notre patrimoine, nos spécialités régionales et nos traditions en matière de confection du pain.

L’INC a mené des enquêtes pour évaluer  l’importance et dresser les éléments d’une stratégie pour la réduction du gaspillage de pain (2015-2019). Il serait intéressant de refaire ces enquêtes pour évaluer le progrès  réalisé en matière de lutte contre le gaspillage du pain. Par ailleurs cette stratégie doit être reconduite sachant que le changement de comportement du consommateur est un travail long, fastidieux et continu.

2- Agir au niveau des boulangers

Le boulanger connait un certain retour du pain invendu (estimé à plus de 10%). Afin de réduire les pertes, les boulangers doivent fabriquer juste la quantité de pain qu’ils sont capables de vendre. Ils peuvent tirer profit des invendus pour en faire du pain grillé (bochmat) ou de la chapelure.

En France, le pain invendu peut être broyé et recyclé. On y ajoute de la farine et on peut le pétrir de nouveau pour en faire soit un nouveau pain agrémenté et assaisonné avec des olives, de l’ail, des herbes… soit des biscuits.
Le Tunisien consomme surtout de la baguette. Il serait intéressant d’autoriser les boulangers à varier la forme du pain (subventionné) et de sortir de la baguette classique. Les pains ronds se conservent mieux. Un bon pain doit avoir une belle croute et une mie bien aérée.

Les nutritionnistes pensent que notre pain contient trop de sel à l’origine des problèmes d’hypertension et recommandent une diminution de l’apport du sel dans le pain.  Par ailleurs, Le pain complet est recherché par de nombreux consommateurs pour ses bienfaits sur le transit digestif. Le Ministère du Commerce pourrait proposer aux boulangers l’approvisionnement en farine riche en son (type 110 ou 150) pour la fabrication d’un pain complet qui reviendrait moins cher ce qui permettra d’alléger la compensation.

Nos boulangers ont besoin de se recycler pour fabriquer un pain de qualité et qui se conserve bien. Du pain croustillant, bien cuit ne ramollit pas et se conserve mieux qu’un pain mou et mal cuit.

3- Au niveau des ménages

Le consommateur a une grande responsabilité dans le gaspillage du pain. Il ne doit acheter que la quantité dont il a besoin. Les boulangeries, pâtisseries et épiceries sont à tous coins de rues et il peut s’approvisionner en pain à tout moment sans difficulté.

Le pain doit être gardé dans un sac à pain propre. Si on s’aperçoit qu’on a trop de pain, on peut mettre l’excédent au frigo ou même au congélateur. Le pain se conserve ainsi quelques jours et peut se décongeler à température ambiante ou légèrement réchauffé au four, sans perdre de ses qualités initiales.

Au lieu de jeter les restes du pain, il est possible de les utiliser de plusieurs façons. Ils peuvent être broyés pour en faire de la chapelure. Ils peuvent être utilisé en petits morceaux pour le lablabi ou trempés dans la soupe. Enfin, de nombreuses recettes existent et permettent de valoriser ces restes comme salades, pain perdu…

4- Au niveau des cantines et restaurants

Les collectivités, restaurants (restaurants universitaires, restaurants d’entreprises, cantines scolaires, hôpitaux…) connaissent un énorme gaspillage du pain. Pour limiter ce gâchis, il est recommandé d’éviter de placer en libre service. Le panier à pain sera placé à la fin du service en demandant aux clients de prendre juste ce dont ils ont besoin. 

L’installation de  gachimètres permet aux consommateurs de se rendre compte de l’importance du pain gaspillé. Il s’agit, pendant une période déterminée (un repas, une semaine ou plus) de collecter en sortie de cantine le pain non consommé se trouvant dans les plateaux et sur les tables du restaurant, de le peser et de l’exposer dans un lieu de passage ou à l’entrée du restaurant. Le message sera vite perçu par les clients et l’effet est Garanti.

Conclusion

Le gaspillage serait moins important si le pain était de meilleure qualité. Pour faire du bon pain il faut une farine de qualité et un boulanger compétent. Le Ministère du Commerce, l’Office des Céréales et les minoteries doivent veiller à fournir aux boulangers de la farine panifiable de qualité, répondant aux normes internationales. Les boulangers doivent bien maitriser leur travail et disposer des compétences nécessaires pour fabriquer un pain de qualité,  bien cuit et qui se conserve bien. Une attention particulière doit être apportée au transport et à la manipulation du pain. L’emballage dans les spj est à éviter pour ses conséquences néfastes sur la santé, l’environnement et la qualité du pain.

Enfin, le secteur du pain gagnerait à être mieux structuré. Le système actuel est complexe. On trouve de tout : des boulangeries légales, des boulangeries illégales, d’autres anarchiques, des épiciers qui vendent du pain, la vente du pain sur la voie publique, la baguette à 220 g et celle à 150g ou moins … Il serait nécessaire de discuter avec toutes les parties concernées et prendre des décisions concrètes et applicables. La dernière décision du Ministère du Commerce de novembre 2020,  en révision de la décision du 22 juin 2015 qui régit le secteur de la boulangerie, a été rejetée par les professionnels concernés. De nombreux autres problèmes existent  comme l’approvisionnement en farine, le remboursement des boulangeries légales…. Tous ces problèmes se sont traduit à plusieurs reprises par des grèves ou des menaces de grèves, preuve d’un profond malaise dans le secteur.

Le contrôle économique et sanitaire strict, avec des sanctions sévères contre les contrevenants, doit être mené en permanence pour assainir le secteur de la boulangerie et du pain, un secteur vital, sensible et stratégique tant au niveau individuel que national.

Ridha Bergaoui
Professeur universitaire

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