News - 14.04.2021

Tunisie: Corruption du pouvoir et pouvoir de la corruption

Corruption du pouvoir et pouvoir de la corruption

Par Monji Ben Raies  - Le pouvoir est une entité délétère que l’on ne peut posséder éternellement. Certains peuvent en être dépositaires pour un temps, mais ils ne doivent pas trop s’y attacher, car il corrompt et avilit ceux qui en font mauvais usage et qui sont prêts à ramper et vendre leur âme pour le conserver.Dans ce sens il n’est que l’altération d’une situation qui devrait être meilleure pour l’intérêt de tous.Le pouvoir politique mis entre de mauvaises mains déformela réalité et altèreles buts premiers de cette personne morale qu’est l’Etat.

Cette déformation de la réalité les amène très vite à poser comme objectif politique la domination des faibles et la limitation de leur liberté individuelle, pour être sûr de nourrir sans risque les plus hautes ambitions dans la société. Si le pouvoir de l’Etat, détenu par des gouvernements à tendance autoritaire, s’arroge le droit de commander leurs actes aux hommes, il les prive nécessairement de leur responsabilité quant à décider de leur avenir.Il fait des peuples une population et des personnes des citoyens gouvernés. Le paradoxe absolu de cette argumentation est qu’elle se calque sur un moule théorique d’origine a-libérale qui considère que la masse de la population a peu à dire,si ce n’est plébisciter des personnes ou des actes quand elle est convoquée, en périodes électorales.En temps ordinaires, le peuple est mis à l’écart,on lui cache des choses, on prend des décisions irréversibles en son nom, en ne respectant pas certaines règlesélémentaires naturelles de groupes.Les potentats, ceux qui sont au sommet de la pyramide sociétale, exercent ainsi un pouvoir occulte de caste, privant les citoyens de leurs libertés et de la disposition de la Chose Publique ; ils agissent seuls selon leurs volontés, sans rendre de comptes, ni être corrigés ou sanctionnés en cas de mauvaises décisions. Bref, ilsfontce qu’ils veulent, comme doit l‘admettre fatalement la vox Populivox Dei deorum reprobi (voix des dieux déchus).

Ce fonctionnement autoritaire latent expliquerait l’écart qui se creuse généralement, quelques temps après les élections,entre les élites au pouvoir et le peuple. En effet, les éluscomme des miliciens fidèles au suzerain, disposeraient, comme dans une monarchie féodale, de tout l’appareil d’Etat avec les différents services du pays à leur disposition. Le peuple ne serait donc qu’une caisse enregistreuse, sans liberté de dire oui ou non, sans responsabilité de poser des questions, de proposer des changements ou même de refuser des rapports ou règlements qu’il doit voter.Forts de ce pouvoir, les élusémettent alors le souhait, au nez et à la barbe de tout principe républicain, de s’aménager des privilèges exorbitants pour s’écarter du commun, de la plèbe.Rappelons-nous en Tunisie la fin février 2020, lorsque les députés ont préféré se concentrer sur le dossier brûlant et cher à leurs cœurs des passeports diplomatiques, délaissant toutes leurs responsabilités et tous les sujets urgents à traiter.Il est regrettable que le Pouvoir politique utilise une telle argumentation, dérivant vers une forme volontaire de populisme consacrant l’opposition entre le peuple non écouté par le pouvoir et l’élite politique autoritariste décidant toute seule sans contre-pouvoir.Les limites du système actuel sont claires et conduisent à des situations préjudiciables au fonctionnement politique et institutionnel.

Les différentes affaires, la conclusion d’emprunts toxiques, la mise à l’écart régulière du peuple et le manque de légitimité sont des écueils insurmontables du système existant. Les décisions sont imposées d’autorité plus que débattues, la séparation des pouvoirs est battue en brèche, rendant flou un contrôle démocratique en continu. Aujourd’hui, le gouvernement ne rend pas de compte, ne manifeste aucune redevabilité et bénéficie d’une large impunité pour toutes les erreurs commises. La Tunisie, prise dans la tourmente des différends politiques et des tiraillements qui l’empêchent de tourner sainement, est victime d’une administration ankylosée par trop de personnel, pour la plupart non qualifié, et recruté sur des bases partisanes,est incapable de créer la richesse dont elle a besoin pour subvenir à ses besoins et s’acquitter de ses lourdes charges ; aussi, en dernier recours avant qu’elle ne soit déclarée en faillite déclarée, l’Etat en est réduit à mendier sa subsistance. Au lieu dechercher l’argent là où il se trouve,c’est-à-dire chez les riches exonérés d’impôts de fait, ou chez les barons des trafics en tous genres comme le Président de l’ARP et ses 2700 milliards, il se tourne vers les catégories vulnérables qui n’ont aucune échappatoire pour les pressurer et en tirer jusqu’à la dernière goutte. C’est d’autant plus vrai que le ministre du Commerce s’est rangé du côté delobbys mafieux pour affamer et asservir les tunisiens. Faisant preuve d’une arrogance vulgaire et désarmante, il déclarait, le 5 avril 2021, que les denrées alimentaires étaient disponibles en grande abondance, à des prix très abordables. Prétendre cela est un mensonge éhonté qui relève de la pure hypocrisie politique. Cette déclaration ne pourrait qu’être interprétée comme une complicité du ministre avec les lobbys des producteurs locaux et leur avidité sans limites, depuis que l’UTAP est contrôlée par un parti qui ne nourrit aucun sentiment et surtout pas de la pitié pour les tunisiens qu’il ne rêve que de dévaliser et de soumettre.

La Cour constitutionnelle,... pour limiter les dérives autoritaires du pouvoir

Dans ce capharnaüm institutionnel, trois présidents se disputent la suprématie‘’potentiaire’’dans une guerre ouverte dans laquelle tous les coups sont de mise, même les plus bas et les plus vils. Le sort du pays devient prétexte, celui du peuple, le dernier de leurs soucis. Il est cependant une lueur au bout du tunnel, mais elle aussi n’est pas épargnée par la hargne de ces barbares endimanchés qui abandonnent toute bienséance sur l’autel de leur ambition démesurée. La Cour constitutionnelle, pourrait assurer un rôle de contre-pouvoir pour limiter les dérives autoritaires du pouvoir, si elle était envisagée dans la Constitution de 2014 comme une instance indépendante et impartiale ! Il s’agirait d’une amélioration démocratique, qui contrarierait les prétentions de ceux qui souhaitent préserver leurs privilèges et disposer d’un ascendant décisionnel illégitime. Malheureusement, telle qu’organisée par la section II du Chapitre V relatif au pouvoir Juridictionnel, de la Constitution de 2014, la Cour constitutionnelle apparaît comme une instance hautement politisée.Cettetare explique qu’en six années de tergiversations fleuves, elle n’a toujours pas vu le jour, le consensus achoppant sur sa composition.

La Cour constitutionnelle est une urgence absolue pour l’ensemble de la vie politique tunisienne. Le mode de désignation des juges institué n’est un gage ni de compétence, ni d’indépendance.L’Article 118 alinéa 2 dispose que « Le Président de la République, l’Assemblée des Représentants du Peuple et le Conseil Supérieur de la Magistrature désignent chacun quatre membres, dont les trois-quarts sont des spécialistes en droit. Les membres de la Cour constitutionnelle sont désignés pour un seul mandat de neuf ans. ». Donner le pouvoir de nommer les juges constitutionnels à des organes politiques est une erreur dont on a constaté les effets pervers dans les faits, chaque parti politique souhaitant avoir ses juges de paille au sein de l’instance. Il en est de même pour le Chef de l’Etat qui sera enclin à désigner des juges de ses partisans. Depuis 6 ans, l’Assemblée des Représentants du Peuple est devenue une arène de combats où sont disputés les candidats potentiels. Ce qui est mis en avant, c’est l’opportunité d’un contrôle politique par les partis du processus de décision de la Cour par le noyautage de sa composition par des juges d’obédience partisane. Il eût été plus commode d’instaurer le principe de l’élection des juges, ce qui aurait été une garantie de qualité des discussions collégiales et de décisions impartiales. Même la révision de la Loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015, relative à la Cour constitutionnelle (JORT N° 98, du 8 décembre 2015, Page 2926) est l’objet de querelles, de sous-entendus et de manigances.

L’objectif des partis de la coalition majoritaire parlementaire est d’instrumentaliser la Cour constitutionnelle pour orchestrer la destitution du Président de la République et sa mise à l’écart par application de la procédure de l’article 88 de la Constitution du 27 janvier 2014. C’est dans cette optique qu’il faut interpréter le renvoi pour seconde lecture du projet d’amendement de la Loi de 2015. D’un autre côté, si le Président de la République n’avait plus l’autorité exclusive d’interpréter la Constitution, il perdrait l’une de ses armes principales dans la guerre qu’il livre contre le système politique corrompu. En définitive, dans un climat aussi tendu que celui dans lequel se trouve aujourd’hui la Tunisie, la Cour constitutionnelle ne sera pas un élément dispensateur d’apaisement, bien au contraire ; elle pourrait devenir un énième théâtre de tiraillements et de conflit entre les différents deutéragonistes de la société politique tunisienne. Dans un environnement marqué par l’absence de confiance politique et le désintérêt total des aspirations du peuple, la Cour constitutionnelle n’est donc pas instituée pour les bonnes raisons, les raisons de l’Etat de droit et donc, à l’heure actuelle, sa mise en place risque de porter atteinte et de dénaturer cette instance d’une telle importance en démocratie.Comment faire confiance à une juridiction dont les membres seraient les âmes damnées de trois instances politiques autant décriées les unes que les autres?

Le pouvoir corrompt ! Limitons sa concentration dans un nouveau système

Une scène politique sclérosée par la corruption, les luttes futiles, les petits calculs et la violation évidente de la loi en toute impunité. Nous avons journellement l’illustration saisissante de la corruption de l’Etatet la révélation des dysfonctionnements du pouvoir, dans l’institution Tunisie. Le jeu des pouvoirs y est féroce et pervers,autant qu’ailleurs, dans des républiques bananières, alors qu’on pourrait et devrait attendre un exercice voué au service du public ; mais l’exercice du pouvoir y a accompli des ravages.Nos hommes politiques ne maitrisent aucune des finesses du discours politique et leurs positions tout commeleur symbolique sont responsables du blocage politique actuel. La Tunisie ressemble à un corps meurtri sur lequel sont penchés des Diafoirus et Purgon inspirés par des lobbies et des gangs mafieux en tout genre.

La supériorité fonctionnelle accentue la corruption de l’homme et que ses valeurs, son passé, ajouté au pouvoir l’influencent aussi

En quelques jours de ce mois de mars, nous avons appris que les services proches du Président étaient infiltrés par des intervenants, des chuchoteurs, qui s’immiscent dans des dossiers pour la connaissance desquels ils ne sont pas accrédités, ni concernés. Ils fomentent, complotent, trahissent, suggèrent des noms, influencent des choix de nomination aux postes clés de l’Etat. Il est aussi des immixtions étrangères dans nos affaires intérieures véhiculées par des exécutants tunisiens. Nul ne peut s’en désintéresser, le désordre des uns nuit à tous, une civilisation repose sur des soutiens invisibles, une langue, une culture, un Etat de droit, une ou des religions, une vie associative, des traditions. Il est indispensable de conforter ces piliers en remédiant à leurs défaillances. Si l’on met bout à bout les révélations de ces dernières semaines, l’enchainement des causes devient évident. Si le pouvoir est une force organisatrice, une capacité d'action relative à un certain domaine, qu’une ou des personnes utilisent, est-il normal que des personnes, qui normalement doivent montrer l’exemple, abusent de leur autorité?

Le pouvoir corrompt l’homme,si l’on suppose que l’homme parte d’un état bon pour aller vers un état moins bon et qu’il se produit un changement de nature. Il existe plusieurs causes qui expliquent cette corruption. Afin de répondre à cette question, il faut admettre que la supériorité fonctionnelle accentue la corruption de l’homme et que ses valeurs, son passé, ajouté au pouvoir l’influencent aussi. D’abord, l’homme sans pouvoir n’est pas naturellement bon. En fait, il peut être très méchant avec ses proches simplement pour une question d’amitié ou d’argent, d’orgueil, de domination.Cependant, il est assez facile de ramener cette personne à la réalité et de lui expliquer ce qu’est le bien et le mal ; par contre, lorsqu’on donne du pouvoir à une personne, elle se sent gratifiée et sait que les autres seront en situation d’infériorité et seront dans l’obligation d’obéir au commandement. L’homme est un loup pour l’homme, nous dit l’adage, c’est d’autant vrai s’il a du pouvoir. Pourquoi s'interroger sans cesse sur une épopée qui a duré plus de 30 ans ? Le président Bourguiba lui-même en a été victime. Le lui reprocher serait oublier son rôle joué non seulement dans l'Histoire mais aussi dans l'imaginaire tunisien. Ce ne sont pas seulement les institutions de la Tunisie moderne qu'il a fondées, ce sont aussi, pour le meilleur et pour le pire, les mœurs d'une société meurtrie par la Révolte et une pratique du pouvoir qui perdure. Aussi continue-t-il à passionner autant les historiens que les hommes de pouvoir qui réfléchissent sur le fonctionnement de l'État, délaissant l'homme au profit des institutions.Il ne faut pas mettre des têtes au bout des piques, mais la suite de l’histoire se décidera nécessairement par des événements, même si l’on ne peut pas deviner quelle forme prendra cette violence que l’on voit monter et qui atteindra inéluctablement un paroxysme. Ceux qui détiennent le pouvoir, ceux qui achètent et ceux qui se vendent, ne le lâcheront jamais par eux-mêmes. Il y a dans notre société de multiples symptômes d’une guerre civile qui a commencé. La corruption, comme moteur fondamental de notre vie publique, est de l’ordre de l’insupportable.

Pourquoi le pouvoir prédispose-t-il tant à la corruption?

L’actualité ne cesse d’exposer au grand jour toutes les malversations et manipulations dans le monde politique et économique. Comme si les voleurs traditionnels avaient été éclipsés par les voleurs de haut niveau, ceux vêtus d’habits feutrés et cols blancs, et affublés d’un large sourire blindé et d’une poignée de main dont la confiante fermeté n’a d’égal que la tromperie et l’égocentrisme qui l’anime. Mais pourquoi le pouvoir prédispose-t-il tant à la corruption ? Essentiellement, être en situation de pouvoir donne un avantage à l’accès aux ressources de l’Etat. Il en est ainsi dans le monde animal où l’alpha mangera et se reproduira avant tout le reste du clan. Chez l’homme, le pouvoir donne prioritairement accès à toutes les ressources vitales qui, une fois acquises en grande quantité, apaisent le fauve en nous. Dans notre modèle de société riche et industrialisée, l’estime de soi repose prioritairement sur notre taux de rendement et rien n’est plus efficace pour indiquer notre niveau de performance. Nous avons aussi besoin d’accumuler de l’influence parce nous n’avons qu’une vie à vivre et que nous réalisons en vieillissant que cette vie est éphémère et vite passée. C’est pourquoi le jeune politicien voulant changer le monde avec ses idéaux, ses valeurs sociales et communautaires devient de plus en plus aigri et attiré par les tentatives frauduleuses en vieillissant. L’âge faisant sa marque, l’adulte réalise également qu’il est mortel et que seul le plaisir de vivre « à fond de train » revêt un certain sens.

La vie publique est surtout malade d’une faillite démocratique

Empoisonnée par les esclandres, la vie publique est surtout malade d’une faillite démocratique qui laisse le système de la corruption étendre son empire au point d’en devenir insupportable.Depuis Cicéron, on sait que la corruption par le pouvoir existe au même titre que celle du pouvoir et qu’il y aura toujours des corrupteurs et des corrompus. Sans entrer dans une démarche moralisatrice ou purificatrice qui viserait à changer l’âme humaine,le problème n’est pas tant que la tragédie de la corruption existe, mais que l’on soit à ce point incapable, dans notre République, de lui apporter des réponses politiques, institutionnelles, culturelles et judiciaires fortes. Cette incapacité tend à renforcer le sentiment de son omniprésence à tous les niveaux. La mondialisation, les finances folles, les instruments mis au service du capitalisme semblent contribuer à industrialiser la corruption. À plus forte raison dans un contexte d’affaiblissement croissant de l’Etat et des contre-pouvoirs. Nous sommes à un moment où la relation entre l’argent, l’influence et la démocratie est devenue dangereuse. Les scandales sont en quelque sorte des crash-tests qui permettent d’éprouver la carrosserie de la démocratie. Naît-alors une forme de fatigue démocratique des citoyens avec son symptôme du "Tous pourris". La mollesse des pouvoirs publics côtoie la complaisance, laquelle confine à la complicité et cela devient totalement insupportable pour les citoyens.Le volume de la corruption, au sens large, consistant à acheter des idées, des consciences et des actes, est directement indexé au volume des flux économiques et financiers de l’économie libérale. Les données sur la finance non-régulée, non contrôlée et parfois illégale, sur la part des avoirs financiers dans les paradis fiscaux, et sur celle des sommes consacrées à l’achat de décisions politiques, ces trois indicateurs sont en hausse permanente. Avec la financiarisation de l’économie, les volumes d’argent criminel consacrés à la corruption augmentent constamment. La corruption étant un instrument substantiel du capitalisme libéral, l’expansion de ce dernier entraîne celle de la corruption. Sur un plan "qualitatif", l’affaire des milliards du président de l’ARP tunisienneest d’une nature très différente de ce que la Tunisie connaissait, car relevant du blanchiment d’argent sale et de la criminalité organisée terroriste, autant que des marchés internationaux de l’armement et de l’énergie, dont la nocivité pour les peuples, pour la planète et pour notre sécurité est d’une tout autre gravité. Il est significatif que ces affaires soient pour la plupart couvertes par le secret défense, et sont donc désormais inaccessibles à la police judiciaire et aux juges d’instruction.

L’esprit de la corruption...

Même si on distingue entre des systèmes de corruption internationalisés, et des formes plus bénignes, liées notamment aux conflits d’intérêts ou à l’action des lobbies, ces deux formes relèvent de l’esprit de la corruption. On est au cœur même de cet esprit, quand des États, censément souverains, dépendent d’agences ou d’agents qui ont partie liée avec la vie des marchés.Il est absolument inadmissible, en termes d’éthique et de souveraineté des peuples, que des gouvernements et des responsables politiques soient à la solde de groupes d’intérêts privés qui, d’un claquement de doigt, peuvent faire basculer une économie dans l’austérité ou changer la position diplomatique d’un Etat (l’affaire du plan de paix de Donald Trump et la position tunisienne au Conseil de sécurité des NU avec le rappel de Moncef Baâti). On est là dans des logiques d’influence qui se soustraient totalement au bien commun. Du clientélisme de certains élus jusqu’aux affaires les plus graves, la corruption réside dans une culture générale de l’achat des actes et des consciences et de la vénalité de leurs titulaires. La question de la corruption s’élargit aujourd’hui avec la prise de conscience que notre système social, économique et politique est un système d’achat des libertés, y compris des libertés vitales. Des États ou des forces politiques importantes peuvent être financés par des puissances qui ont intérêt à influencer leurs décisions, alors qu’ils ne devraient être mus que par la volonté des citoyens, du moins selon un idéal démocratique. En raison de leur dette, des États se trouvent dans une telle situation de dépendance envers le système financier que les gouvernants, une fois élus au terme d’une mascarade démocratique, ne sont plus aux ordres que de ces puissances.

Un autre fait récent est très significatif. La Tunisie est une des victimes de cette autre pandémie qu’est la Corruption dans ses deux formes, corruption du pouvoir et corruption par le pouvoir. Des personnes qui ont refusé de couvrir des faits délictueux au sein, par exemple, des Organisations Internationales, ont été finalement licenciées. La première année du mandat de la Tunisie en tant que membre élu non-permanent du Conseil de sécurité est passée inaperçue et l’Etat n’a pas voulu se saisir de cette opportunité pour ne pas déplaire aux USA et en coulisses à Israël, ainsi qu’à la Turquie. La Tunisie aurait pu trouver les moyens de faire de la politique à échelle internationale et de changer des choses au sein du Conseil de sécurité, mais son bilan est négatif.La question du conflit d’intérêts lui-même est lié par une chaîne continue aux maillons faits de corruption.Autant d’exemples vertigineux de l’effondrement des consciences et de la complicité des systèmes politiques par la corruption. Il est stupéfiant de constater l’état de délitement républicain d’une partie importante de nos élites politiques. Elles ne considèrent pas que les ravages de la corruption ont un impact concret et quotidien, mais aussi symbolique, sur la vie de la société. Même les médias ne créent pas un écosystème favorable à une pédagogie de luttecontre la corruption. Celle-ci est alors réduite à des sortes de pièces de théâtre ou à des faits-divers financiers qui ne permettent pas d’en dégager le sens et nous maintiennent dans un aveuglement citoyen. Beaucoup d’élus évoluent à des niveaux de richesse outranciers qui, d’une part, sont scandaleux en regard du niveau de vie moyen des Tunisiens et, d’autre part, constituent des anomalies par rapport aux financements légaux de la vie politique.

L’origine de cet argent va des conflits d’intérêts qui voient des puissances privées faire en permanence aux élus des cadeaux invraisemblables, jusqu’au détournement de l’argent des contribuables ou des militants partisans. Un grand nombre de cadres politiques ou économiques bénéficient à titre personnel de niveaux de vie qui leur seraient inaccessibles s’ils ne se vendaient pas et ne vendaient pas leur cause et leur pouvoir. La corruption achète les leviers d’influence. Cette faillite démocratique dans laquelle semble résider le cœur du problème résulte de son inscription dans les institutions, de la démission des élus, de la défaillance de la société civile et de l’absence de contrôle citoyen.Il est certain que les institutions de la IIèmeRépublique ne protègent pas les citoyens, des ravages de la corruption. Elles protègent ceux qui gouvernent en notre nom, quand ils sont visés par les affaires de corruption. Pourtant, les verrous institutionnels sont identifiés, et cela ne coûterait strictement rien de les faire sauter. On nous a appris à l’école, avec Montesquieu, qu’il faut que « Par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Les coulisses saumâtres des affaires scandaleuses nous montrent qu’au contraire, le pouvoir n’arrête pas le pouvoir. Les exemples abondent de dispositifs pour lutter contre la fraude fiscale, la dépendance hiérarchique et statutaire du procureur de la République envers le gouvernement, le secret défense, la non-protection des lanceurs d’alerte, l’appauvrissement de la Justice… Il n’y a aucune raison, sauf à vouloir être complaisant, donc complice, de ne pas y remédier.
La criminalité politique et financière constitue un assassinat contre l’idée de société organisée.

L’institution de la deuxième République a définitivement validé l’opération dont nous vivons encore aujourd’hui les conséquences d’un Etat régalien, au sens de la monarchie de Louis XIV, qui protège le roi et sa cour en les mettant à l’abri de ceux qui pourraient leur demander des comptes. Les enquêtes sur les braquages sont beaucoup plus simples que les enquêtes sur la corruption, non pas parce que les faits sont plus simples, mais parce que les moyens légaux sont beaucoup plus puissants et efficaces pour réprimer cette délinquance. La criminalité politique et financière, telle que l’ont par exemple définie les Nations Unies dans la convention de lutte contre la corruption, constitue pourtant un assassinat contre l’idée de société organisée. Nous devrions accorder à la lutte contre la corruption les moyens les plus absolus. Cela en dit long sur le moyen âge culturel dans lequel nous sommes vis-à-vis de la corruption. Bien sûr que l’instance de lutte contre la corruption, va dans le bon sens.

Ces dispositions ont le mérite de favoriser une pédagogie citoyenne embryonnaire. Mais ces évolutions restent ridicules en regard des enjeux. On est passé, pour forcer la porte blindée qui protège les lieux du secret de l’opacité et du mensonge d’État, du plumeau au tournevis et du tournevis au burin et ces outils ne peuvent suffire, même à rayer le métal. Les nouveaux dispositifs légaux de lutte contre la corruption sont de faux outils, certains pouvant même créer des effets pervers en compliquant la tâche des enquêteurs. Les loisont été consciencieusement neutralisées par les institutions publiques qui se sont inscrites dans une défense consciente des intérêts des fraudeurs, fiscaux notamment. En revanche, des progrès sont à noter dans la conscience publique, dans la prise de conscience de la nécessité de mettre ces sujets au centre de la vie publique. Cette thématique s’installe aussi dans l’opinion. La situation n’évoluera qu’au travers d’initiatives citoyennes, de mobilisations d’experts et de citoyens pour se faire craindre de ces pouvoirs qui, pour l’instant, ne craignent que ceux qui les ont achetés. L’initiative de la lutte contre la corruption n’est jamais partie des politiques, c’est-à-dire de ceux qui ont le pouvoir de changer les choses. N’y avait-il vraiment personne d’autre que Elyes Fakhfakh, entaché de conflit d’intérêt.Qui était Hichem Mechichi venu le remplacer, suggéré par des éminences grises tapies dans l’ombre des alcoves ? Regardons à quel point le système médiatique et la classe politique acceptent ce spectacle, au nom de très beaux concepts détournés, comme celui de la présomption d’innocence ; nous sommes dans un système qui, de ceux qui le font à ceux qui le racontent, banalise l’esprit de la corruption. Si cela doit changer, le changement ne peut donc venir que des citoyens. Cette phrase de Victor Hugo : « Quand la foule regarde les riches avec ces yeux là, ce ne sont pas des pensées qu’il y a dans les cerveaux, ce sont des événements. ».Nous sommes arrivés à cet instant où il ne s’agit plus de savoir si des événements vont avoir lieu, mais quelle forme ils vont prendre et sous l’autorité de qui.

On ne veut pas mourir sans avoir vécu dans la liberté, la joie et le plaisir et pour cela, nous cherchons à apaiser notre fantasme d’immortalité

En définitive, plus nous avons du pouvoir, plus il est possible de s’enrichir de force et d’argent et de renforcer notre sentiment puéril d’invincibilité. Mais il est impossible de s’enrichir frauduleusement tout en maintenant une image de soi positive, parce que sous ce bel habit d’apparat gît un corps vide d’humanité, qu’aucun argent ni pouvoir ne peut faire reluire.Le pouvoir est révélateur d’un aspect particulièrement sombre de la nature humaine, que la politique s’efforce de réguleren donnant une dimension institutionnelle, fixe, non arbitraire, à l’exercice du pouvoir.La pratique politique est une manière de réguler la volonté de pouvoir de l’homme, mais lui donnant en même temps l’occasion de développer, de manière parfois négative, cette volonté de puissance. La politique a souvent la réputation d’être aux mains d’hommes malhonnêtes et corrompus.Cette vision des choses manifeste un effet naturel et inévitable du pouvoir. Nous ne pouvons qu’accepter ou bien refuser de voir dans cette corruption son essence et le définir de manière à écarter son aspect sombre. Les mêmes questions se posent au niveau du pouvoir personnel, même si la dimension politique n’entre pas vraiment en jeu pour garantir que celui qui sait posséder un pouvoir sur quelqu’un en usera à bon escient.

Monji Ben Raies
Universitaire, juriste et politiste
Enseignant en droit public et sciences politiques
Université de Tunis El Manar
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis

 

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