Néjib Ben Lazreg au British Museum : Qu'est ce qui fait le caractère national tunisien ?
Les amateurs de patrimoine tunisien  et  universel ont suivi avec beaucoup d'intérêt - et de passion - l’autre  jeudi  au prestigieux British Museum de Londres, la conférence du Pr Néjib Ben  Lazreg, archéologue à l'Institut  National du Patrimoine sur l'identité  tunisienne.
  
  Les questions d'identité culturelle et le caractère national ont  toujours suscité des débats contradictoires et parfois houleux, et les  Tunisiens - malgré leur appartenance à une société plutôt homogène - ne  font pas exception. 
  
  Le débat autour de l’identité tunisienne  a touché aussi bien à  l'histoire, qu'à la culture, la race, la langue ou aux croyances. Et  comme il fallait s'y attendre, il a été "animé" avec des positions   opposées, mais sans sectarisme et dans le respect des  opinions de chacun,  ce qui est en lui-même un trait dominant de  l’identité tunisienne. 
  
  Dans cette conférence, intitulée «La génèse de l'identité tunisienne,  une suite d'échanges et d’enrichissements", le Pr. Ben Lazreg a fait  valoir que les caractéristiques actuelles des Tunisiens sont le produit  d'un certain nombre de civilisations qui se sont succédé, qui ont régné  ou influencé le pays à travers l'histoire. Il fait remonter les premiers  signes de la stabilité en Tunisie, qui ont conduit à des effets  positifs à long terme au développement de l'agriculture  depuis les  phéniciens.
Un peuple aux origines diverses
  
  A l’époque, il y avait un "melting pot", a noté Pr Ben Lazreg, qui était  plus berbère que Phénicien.  Carthage était un endroit très cosmopolite  qui avait accueilli les Grecs, les Égyptiens et les Espagnols  lesquels  ont  cohabité en bonne intelligence pendant des siècles et ont fini par  se fondre dans un même creuset. Mais, l’invasion romaine a  malheureusement mis fin à cet âge d’or. Autre fait intéressant selon le conférencier, les Berbères sont  eux-mêmes des peuplades venus d'ailleurs.
  
  Pendant le début de l'ère arabo-musulmane, un brassage s'est opéré entre  les différentes ethnies et  races arrivés en Tunisie dans la foulée des  nouveaux conquérants ajoutant ainsi une nouvelle dimension à la  diversité  de nos origines qui durera jusqu'à ce jour.
  
  Mais l'influence ne fut pas à sens unique: les Tunisiens ont depuis la  nuit des temps apporté leur touche personnelle comme dans la forme  carrée des minarets d'Ibn Khaldoun, le «père de la sociologie», a noté  Pr. Ben Lazreg.
  
  Cette ère d’échanges a été interrompue par l’invasion espagnole du pays  (avec l'aide des Italiens), période pendant laquelle, de nombreux  Tunisiens ont été persécutés et forcés de se convertir au catholicisme,  jusqu'à ce qu'ils soient secourus par les Ottomans…
  
  Pr. Ben Lazreg a souligné que  certaines particularités comme « la  tolérance » ou « le rôle important  de la femme » ne sont pas  spécifiques à notre époque et ont toujours été présentes à travers  l’histoire, citant un certain nombre de femmes influentes comme  Ellisa  (reine de Carthage) ou Fatima al-Fihri et sa soeur Mariam qui ont  construit  notamment la mosquée des Kairouanais (El Qarawiyine) det la  mosquée El Andalous à Fès  ou encore  Aziza Othmana (qui a construit un  hôpital).
  
  Pr Ben Lazreg a également souligné que les Juifs ont joui d’une place  privilégiée en Tunisie, surtout comprés à leurs coreligionnaires en  Europe. En effet, malgré les nombreuses tentatives des forces coloniales  françaises de créer un clivage entre les musulmans et les non musulmans  en Tunisie, elles n’égaleront jamais les persécutions vécues par les  juifs en France.
  
  Les juifs tunisiens sont largement influencés par la culture tunisienne  ainsi que l'attestent l'art juif, les codes vestimentaires et les  cérémonies de mariage.
Mais où sont passés les Phéniciens ?
  
  Aujourd’hui, selon Pr Ben Lazreg, les Tunisiens sont  attachés à leur  tunisianité même si leurs racines sont ailleurs. Ce sentiment de fierté,  a ajouté Lazreg, a été renforcé par les gouvernements d’après  l’indépendance, qui ont reflété l'histoire diversifiée du pays dans les  manuels scolaires, les billets de banque, et les noms de domaines, etc
  Partout où vous allez en Tunisie vous trouverez des traces de cette  riche histoire: le drapeau  ressemblant à celui de la Turquie, les  ruines romaines, les bâtiments en bleu et blanc couleurs de l’Andalousie  et de la Grèce , le poisson berbère ou le symbole de la Khomsa qui sont  censés protéger les gens contre le "mauvais oeil"…
  
  Mais peut-être que le plus important, c'est cette chaleur dans l’accueil  , cette tolérance aussi dont l’origine remonte à une histoire partagée.
  À la fin de la conférence, le nouvel ambassadeur tunisien au  Royaume-Uni, M. Hatem Atallah, a raconté  une anecdote : au cours d'une  rencontre internationale, un participant  lui avait demandé :  «où sont  passés les Phéniciens?" Réponse  de M. Atallah : "vous en avez un,  juste  devant vous ! "
  
  En Tunisie, le débat sur l'identité est toujours ouvert et il n’y aura  peut-être jamais d’accord clair sur ce qui constitue le caractère  national tunisien.