News - 26.01.2021

Habib Batis: La pandémie du Covid-19 en Tunisie, le politique et le scientifique

Habib Batis: La pandémie du Covid-19 en Tunisie, le politique et le scientifique

L’urgence de la pandémie du Covid-19 a remis au premier plan, sous une forme renouvelée, le difficile problème de la rencontre entre la connaissance scientifique et la pratique politique. On estime que pour tenir le gouvernail et fixer le cap, le recours à des vérités scientifiques permet aux responsables politiques de prendre des décisions justifiées et répondant davantage aux besoins de la population. Cela suppose que la communauté scientifique dispose de données probantes c’est-à-dire, des faits, des propriétés ou des corrélations découverts dans le cadre d’une démarche scientifique rigoureuse et dont l’analyse a été révisée et validée par les pairs. Les experts, sommés de «dire le vrai au pouvoir», selon la fonction qui leur est traditionnellement attribuée, se trouvent devant plusieurs énigmes qu’il va falloir résoudre: saisonnalité et mutation de ce virus, efficacité des traitements, sécurité et efficacité des vaccins, période de contagiosité, durée de l’immunité… De ce fait, le coronavirus crée non seulement une crise mondiale, mais il transforme le monde en un vaste laboratoire. Tous les pays cherchent à comprendre comment il fonctionne, comment il se transmet, comment on peut l’inhiber, le contrôler, s’immuniser, prévenir l’infection. Bref, la science et la politique se trouvent face à un conflit de deux temporalités: la temporalité du pouvoir politique dictée par l’urgence et l’état de l’infrastructure sanitaire et la temporalité des scientifiques qui sont face à une pathologie nouvelle pour laquelle le savoir médical reste largement à découvrir. Est-ce à dire que l’humanité était si peu préparée à cette pandémie ? Cette dernière n’a-t-elle pas agi comme un révélateur des dysfonctionnements du système de recherche ? Les chercheurs n’ont-ils pas été contraints d’abandonner le champ de recherche sur les Corona virus faute de moyens ? Cette pandémie ne vient-elle pas rappeler au politique que seulement, par une biodiversité de l’écosystème de recherche garantie par des financements pérennes et par une autonomie du monde des chercheurs qu’on est capable de répondre efficacement à des crises que doivent affronter nos sociétés ? Toutes ces questions et certainement tant d’autres laissent présager que la situation ne peut être qu’inédite et que les responsables politiques sont amenés à prendre des décisions en méconnaissance de cause.

Pandémie, déni et «sachant»

Dans ce climat, les fausses informations, les rumeurs et les théories du complot ont largement eu pour effet de miner la crédibilité des autorités publiques et de contribuer à générer un climat de méfiance envers les gouvernements, les autorités sanitaires et les sources d’informations factuelles. Cet effet a été parfois dédoublé d’un déni de certains responsables politiques qui se mettent à se justifier en pointant du doigt des éléments extérieurs sans jamais se remettre en cause. Ils utilisent le bon sens comme critère de jugement des vérités de la science. S’il est rare que des scientifiques soient capables de dire "je ne sais pas", avec parfois pour corollaire "il faut appliquer le principe de précaution", des politiciens se présentent aussi comme sachant (sur tout ou presque). Avouer ne pas savoirc'est le plus souvent, pour un scientifique se mettre en difficulté professionnelle ou même s'exclure du "marché" du savoir. Pour le politique, c’est la crainte de se mettre en difficulté sur le "marché" électoral. C’est ainsi que certains se sont mis à statuer sur les certitudes et les incertitudes scientifiques en faisant des déclarations sur l’efficacité de médicaments et la venue prochaine d’un vaccin efficace. On a même vu un responsable politique brandir au sein du parlement, un flacon en étalant son « savoir sur un remède miracle contre le Covid-19 » et ce, sans que des données probantes soient disponibles et que des incertitudes soient levées à cet égard. Une scène qui rappelle vaguement le flacon exhibé à l’ONU il y a quelques années, par un certain ministre des affaires étrangères de la première puissance du monde pour justifier la présence des armes de destruction massive en Irak, introuvables à nos jours.

Pandémie et Infrastructure sanitaire

Face à cette crise que nous traversons, il est légitime de supposer que chaque pays choisit sa stratégie et réagit de façon plus ou moins rapide, plus ou moins claire, à un danger sanitaire sans précédent. Il va aussi de soi que la qualité du système de santé publique déterminera en grande partie l’efficacité de la gestion, la limitation des effets et la circonscription de la propagation de ce virus et permettra de lutter contre de prochaines épidémies. L’hôpital est bien sûr au cœur de la crise. Disposer de suffisamment de lits de réanimation et de soins intensifs ainsi que de respirateurs pour prendre en charge les patients les plus sévères est déterminant face à l’épidémie. Au-delà du nombre de lits, les hôpitaux doivent également démontrer leur capacité à former et protéger leurs personnels et à réorganiser leurs plannings pour assurer la continuité des soins.

Paradoxalement, la pandémie a agi comme un révélateur de la fragilité du système de santé publique qui ne peut absorber le choc d’une telle crise dans le cas d’un emballement. Ceci est aggravé par le fait que celui-ci est fortement tourné vers l’hôpital et ne s’appuie pas suffisamment voire pas du tout sur la médecine de ville. C’est ainsi que, malgré la bonne volonté de son corps hospitalier, l'institution sanitaire tunisienne s’est révélée doublement désarmée. D'une part, elle a manqué d’une bonne gestion des moyens humains et financiers mis à sa disposition. Celle-ci est caractérisée par une corruption fulgurante qui empêche toute tentative de mise en place d’une infrastructure hospitalière digne et de la construction d’une recherche fondamentale de long terme mobilisable et utile dans cette crise. D’autre part, face à la faiblesse et à la disponibilité d’équipements de protection, le personnel hospitalier, en première ligne pour lutter contre la pandémie, s’est trouvé de fait en conflit avec l’autorité politique. Cette situation pandémique est une occasion de plus pour déballer sur la scène publique, les carences du système de santé longtemps emmurées dans ses infrastructures délabrées. Et cet état s’est particulièrement aggravé depuis 2011, année de « la révolution du jasmin », quand les institutions de l’Etat se sont fragilisées et le lien de confiance de la population dans ces institutions se trouve catapulté. Depuis cette date, le développement des institutions hospitalières privées, accessibles à certaines classes de la société, s’est accéléré, alors que celles dédiées aux soins publiques, accessibles à une grande frange de la population, sont de plus en plus adossées à des infrastructures détériorées et mal menées. C’est à croire que les gouvernants qui se sont succédé à la tête de l’état ont largement contribué depuis, au développement de politiques fondées sur l’idée des droits individuels qui priment sur toute autre considération collective.

Pandémie, «expertocratie» et confinement

Dans cette situation d’urgence, un conseil scientifique a été créé normalement pour servir de quotient à des décisions politiques prises d’ailleurs pour les accréditer, pour leur attribuer un label de conformité aux faits scientifiquement fondés. Ainsi, en occupant le devant de la scène, l’expert scientifique est sensé nous livrer une masse d’informations sous forme de graphiques et de données comptables (nombre de personnes contaminées, entrées à l’hôpital et en réanimation, décès, guérisons, etc.). Seulement, le rôle de phare et de balise assigné à ce conseil scientifique est rendu très confus au point qu’il a été parfois interprété comme un nouveau centre de décision. Et paradoxalement, en se substituant au politique par opportunisme ou excès de zèle, il apparait comme un rouage de la fabrication du consentement à même d’imposer des mesures gestionnaires (confinement, interdiction de circuler entre les gouvernorats, arrêt ou reprise d’activités…) pour adapter les personnes à l’évolution de leur environnement. Si ce recours massif aux experts en temps de crise n’est pas une nouveauté dans plusieurs pays du monde, dans d’autres, il est rare qu’il soit aussi mis en avant publiquement. En Tunisie, traditionnellement quand le pouvoir politique fait appel au corps scientifique, c’est pour former « une commission » pour l’éclairer sur les causes de tel ou tel évènement. Le dernier exemple en date est le décès de plusieurs nourrissons dans un hôpital de Tunis en mars 2019 dont les résultats (en supposant que ladite commission ait fait correctement son travail) sont généralement renvoyés à la calandre grecque (parfois avec ou sans la complicité de certains scientifiques).

Comme dans la plupart des pays, la solution préconisée, dès l’apparition de la première vague d’infection par le Covid-19 et qui vise avant tout à protéger le système hospitalier,a été le confinement général de la population.La conséquence la plus immédiate a été de mettre tout un pan d’activités à l’arrêt générant des difficultés économiques particulièrement pour la partie vulnérable de la population. De ce fait, cette crise, plurielle et multiforme, nous a emprisonnés mentalement et physiquement. La population est dans une situation d’effort maximal et de soumission à des contraintes inédites : plus de sorties, plus de loisirs, plus de liens sociaux, plus de rassemblements... En vivant cette expérience, même si la façon de la vivre est très inégalitaire entre les couches de la société, les personnes ne peuvent être que passives alors que leur survie est fortement dépendante de leur liberté dans le temps et dans l’espace. Rapidement et pour soulager la tension qui s’est créée, on a vu la connexion numérique (pour le télétravail, le shopping…) beaucoup plus utilisée que d’habitude au risque de tenir lieu, me semble-t-il, d’un rite religieux. L’enjeu apparait ainsi important pour que cette situation nouvelle ouvre la voie à la naissance d’un capitalisme numérique qui couve déjà dans la société avant la pandémie.De plus, le confinement est apparu comme un accélérateur de la forte tendance à la consommation d’informations fournies par les réseaux sociaux. C’est à croire que le temps du cerveau disponible est fortement cambriolé par des « friandises cognitives » foisonnants sur les écrans.Enfin, cette situation s’est révélée propice à l’exacerbation de la violence contre la frange de la population la plus vulnérable particulièrement les femmes et les enfants.

Confinement et après…

Malgré ce rapport paradoxal au temps et à l’espace qui a pousséà la passivité et le fait que la population s’est trouvée désemparée par cette crise, le confinement a, par-dessus tout, un effet sur la perspective temporelle. Notre cerveau a besoin de se raccrocher, dans l’espace et dans le temps, à un point de départ mais aussi à un point final. C’est ainsi que les ambigüités des discours politiques et scientifiques au sujet de la finalité de ce confinement, appuyées par des données montrant que le nombre de cas positifs baisse continûment, ont laissé entendre que la fin de la pandémie est au bout de cette période de claustration. Comme si, une fois le pic passé, la décrue définitive de l’épidémie est inexorable. Et en effet, lors du desserrement du confinement au printemps dernier, un bruit de fond épidémique a persisté en termes de cas positifs. Conséquences, le relâchement de la population était quasi-total. Ce comportement est incarné par la défiance des citoyens à l’égard des paroles publiques et des expertises qui « tombent d’en haut », sans considération pour « le terrain » et les difficultés des vies ordinaires. Cette défiance est particulièrement forte dans les parties de la population qui entretiennent un rapport distant ou conflictuel aux institutions publiques fragilisées. Ces dernières sont incapables de mettre en ordre d’application les décisions à prendre dont les mesures barrières (distanciation physique, masque, gel hydro alcoolique…). Si ces mesures sont nécessaires pour la gestion de cette période, elles sont aussi, pour le citoyen, un fardeau financier qui vient compliquer davantage une situation économique déjà précaire et que le pouvoir politique n’a pas daigné à prendre en compte. Le port du masque, très partiellement suivi, est un exemple saillant de cette défiance. Alors qu’au fil des mois du confinement et du desserrement de celui-ci, plusieurs études et la réalisation d’une importante méta-analyse ont permis de lever les incertitudes quant à son utilisation générale à reconnaitre son efficacité à réduire considérablement les taux de transmission si un nombre suffisant de personnes les porte en public. Un deuxième exemple est l’échec parfois constaté dans la prise en charge sanitaire des décès du Covid-19 et les conséquences psychologiques sur les familles. Ceci a généré des confrontations parfois brutales entre une population qui tient à ses rites funéraires et des agents sanitaires des municipalités soucieux des risques de contamination à grande échelle.

Dès la fin de la première vague, aussi bien le pouvoir politique que les experts scientifiques ont commencé à avertir sur la menace de l’imminence d’une deuxième vague si les gestes barrières continuent à ne pas être respectés. Cette menace a couru tout le long de la période post confinement jusqu’en automne sans qu’aucun soubresaut épidémique n’a été enregistré. Trois conséquences peuvent être dégagées de ces évènements post confinement : La première est que le bruit de fond épidémique qui a persisté au cours de cette période a laissé entendre, pour beaucoup de personnes, que l’épidémie va finir par s’essouffler et la vie sociale par reprendre comme avant. La deuxième est que le discours scientifique, obscurci par une pensée d’ordre essentiellement politique, a contribué à ternir l’image de la science aux yeux des personnes. La troisième conséquence est que, ces faits observés sont aussi appréhendés pour raviver l’hypothèse controversée de la saisonnalité du Covid-19. Cette hypothèse, formulée par plusieurs scientifiques dès les mois de juin-juillet 2020, est basée sur les observations de la temporalité de l’épidémie dans les hémisphères sud et nord.

Le virus fait de la résistance

Une deuxième vague semble surgir depuis le mois de décembre 2020 et le pays est confronté à des statistiques inquiétantes qui indiquent l’inéluctabilité d’une augmentation exponentielle du nombre de contaminations. Ce serait une erreur de comprendre cette résurgence du virus sous un seul angle. Mais, coïncidence ou non, elle est aussi présente en cette période dans plusieurs pays de l’hémisphère nord. Elle serait alors une vague saisonnière, auquel cas elle corrobore l’hypothèse précédente, ou due à « l’incivisme » des personnes que notre conseil scientifique n’arrête pas de dénoncer avec zèle ou, enfin, coïncide avec un emballement cinétique de la contagion due à l’apparition de nouveaux mutants dont la contagiosité est nettement plus importante que celle du virus de départ.Dans tous les cas, sous la menace de la terrible complexité des choix politiques et leurs conséquences sur les situations économiques etpsychologiques, un confinement, limité dans la durée (quatre jours) mais de plus longue durée pour les écoles et les universités, a été décidé par le pouvoir politique.Une décision sujette à beaucoup de questions sur son éventuelle efficacité surtout en absence d’une évaluation sérieuse des effets du couvre-feu instauré dans le pays depuis de longues dates et d’une politique de dépistage systématique permettantun pilotage rapide et adapté. Dans cette situation cacophonique où se mêlent défiance de la population et absence de communication et de transparence desinstances politique et scientifique, l’ébauche du ou des scénarios de sortie de crise est suivie scrupuleusement partous les acteurs de la société, les scientifiques et les pouvoirs publiques en premier.

Sortie de crise?

L’inquiétude qu’a provoquée cette pandémie au sein de toutes les populations, a généré légitimement des questions sur le devenir de la société après la pandémie : notre société vit-elle réellement une « crise » ou une mutation ? Faut-il s’attendre à ce qu’elle revienne à un état voisin de son état passé ? Sommes-nous en train de vivre le début de changements définitifs ? Un futur dont la configuration est incertaine et qui était abandonné en jachère intellectuelle durant la première période de l’opération de confinement. Chacun le sent confusément et cherche un support auquel se raccrocher. Ce support s’apparente pour quelques-uns, hélas, à un déni apportant une vérité absolue. D’autres dont le pouvoir politique et les experts scientifiques, le relie à un évènement passager et pour nous rassurer, évoquent la fin de la « crise » comme la fin d’un épisode. Enfin, d’autres assumant véritablement leur sort de personne humaine, qualifie ce support d’une recherche d’un projet à long terme, c’est-à-dire d’une utopie réalisable.

Le vocable « crise » utilisé pour désigner la pandémie actuelle a, me semble-t-il, une histoire de significations élastiques qui camoufle la réalité au lieu de la décrire. Il caractérise généralement un épisode, dont le contenu est variable, dont la durée peut être plus ou moins longue, mais qui comporte toujours un début et une fin. En l’employant dans le cas de la pandémie actuelle, on marque notre confiance en la stabilité des équilibres du monde d’avant la pandémie. Le risque est alors important de sous-estimer son caractère global au même titre que d’autres crises telles que le changement climatique et la destruction de la biodiversité. En tout état de cause et au-delà du fait qu’il est extrêmement difficile, selon les dires de plusieurs scientifiques, de prévoir à l’avance comment cette épidémie va évoluer, une recherche intensive est lancée pour trouver un traitement efficace qui rendrait la maladie du Covid-19 moins dangereuse. S’en suit alors une longue période de tergiversationqui s’est distinguéepar une confrontation brutale entre des scientifiques. Ceux adossés à des laboratoires pharmaceutiques puissants, vantent les bienfaits de « nouvelle molécule » telle que le «remdésivir ». D’autres sont adeptes de « vieux remèdes » à large spectre tels que « l’hydrox chloroquine ».Et la tendance est grande pour traduire des désaccords comme si c’était une arène où c’était le plus fort ou le plus flamboyant qui devait l’emporter. Un scénario qui argue hélas, de la façon pitoyable avec laquelle le monde compte négocier la trajectoire d’une éventuelle sortie de cette crise. Au-delà du champ strictement scientifique, cette brutalité cache en son sein d’énormes enjeux financiers, politiques, idéologiques et éthiques. Les traitements sus mentionnés ou d’autres utilisant des combinaisons de molécules sont des exemples de cette concurrence. Après plusieurs expérimentations, rien ne garantit que l'un de ces traitements se révèle efficace. D’ailleurs, le fait qu’il n’y ait pas encore eu de nouvelles de ces essais signifie qu'aucun jusque-là n'a fait ses preuves de façon spectaculaire. Résultat, en absence d’une coopération intelligente entre les différentes parties et grâce à un chauvinisme exacerbée, on ne peut que déplorer le coup de frein infligé au progrès de la science permettant peut être, de trouver une réponse aux réactions de cette immense machine virale qui continuent à échapper à l’humain.

Vaccin est-tu là?

Dans cette phase d’urgence sanitaire et en absence d’un traitement efficace, le monde entier souhaite que l’on découvre rapidement un vaccin protecteur du Covid-19. Un choix qui sous-tend l’idée que le système immunitaire humain demeure le seul rempart efficace à cette infection virale. Sur le plan de la découverte, le pipeline de vaccins est plutôt rempli. Du coup, un effort financier de calibre mondial, rarement vu auparavant, a engagé une course effrénée dans le monde de la recherche. Résultat, un an à peine après le début de la pandémie (l’histoire montre qu’il faut plusieurs années pour la mise au point d’un vaccin car habituellement les phases d’essai sont conduites avec parfois plusieurs années d’écart entre elles), plusieurs vaccins prétendument efficaces à long termes, sont mis sur le marché. Ceci a suscité légitimement des inquiétudes aussi bien dans les milieux politiques que scientifiques quant au déroulement des essais cliniques dans des temps record avec peu de recul. Il va de soi qu’il est essentiel de démontrer l’excellente innocuité du produit injecté surtout que, dans le cas présent, la campagne de vaccination pourrait toucher plusieurs millions voir des milliards de personnes. En effet, après une évaluation scientifique et un jaugeage du rapport bénéfice risque des vaccins disponibles, plusieurscaractéristiques sont encore sujettes à questions par manque de recul. Ellesconcernent notamment la sécurité, la durée de l’immunité, l’efficacité contre d’éventuels variant du Covid-19… Il est clair qu’une partie de la recherche est encore plus empirique et balbutiante. Ceci n’a pas empêché qu’un foisonnement de déclarations contradictoires inonde les médias et les réseaux sociauxsur la signification de la découverte d’un vaccin sécuritaire et efficace : Une revanche meurtrière contre ce virus, l’immunité collective sera atteinte grâce à ce vaccin et donc son éradication, les personnes vaccinées ne sont plus contaminants ni contaminées, le vaccin ne signifie pas la fin de la pandémie, les mesures barrières restent de mise même après vaccination…

Il faut dire qu’à l’heure actuelle, les preuves scientifiques manquent pour conférer à l’un des vaccins actuellement sur le marché la certitude d’éradiquer le virus, d’espérer une immunité collective ni d’empêcher les gens de contracter l’infection ou de transmettre le virus. Bien au contraire, selon l’OMS, le destin du Covid-19 est « …de devenir endémique, comme l'ont fait quatre autres coronavirus humains, et qu'il continuera à muter au fur et à mesure qu'il se reproduit dans les cellules humaines, en particulier dans les zones de contaminations plus intenses ». Le premier rôle des vaccins est toujours, selon l’OMS de « prévenir les maladies symptomatiques, les maladies graves et les décès » et donc les mesures barrières restent de mise même pour les personnes vaccinées. C’est dire qu’on est loin de la perception assez croissante selon laquelle la pandémie est terminée.

Vaccins et bataille géopolitique

La bataille géopolitique autour de l’origine du vaccin est un autre aspect troublant et désespérant de cette course aux vaccins : Les vaccins occidentaux « modernes et efficaces » contre les vaccins chinois, russes… « classiques et douteux ». Une bataille menée par des autorités sanitaires de certains pays occidentaux qui nous ont servi une propagande médiatique hostile aux vaccins chinois et russe en laissant entendreque les protocoles expérimentaux sont frauduleux et en soupçonnant l’inexpérience des chercheurs chinois. On peut se demander, au vu de ce bourrage de crâne médiatique, comment les pouvoirs politiques de Chine ou de Russie ont autorisé l’injection à leur population, de produits dont l’innocuité serait douteuse et que plusieurs autres pays se sont précipités pour se pourvoir ces vaccins ? Il apparait encore une fois, que dans cette situation d’incertitude et d’urgence dont l’issue ne peut être que mondial (ce virus et ses variantes actuels et prochains ne reconnaissent pas les frontières), ce sont les luttes de pouvoir et non la recherche collaborative qui sont mises en avant. Cette stratégie aura inévitablement ses effets sur les campagnes de vaccination.
 En effet, au-delà des perceptions des uns et des autres, des discours scientifiques contradictoires sur plusieurs points et du chauvinisme exacerbé de certains,plusieurs pays ont entamé les campagnes de vaccination avec plus ou moins de réussite et plus ou moins de transparence sur les stratégies adoptées.Jusqu’à récemment, quelques dizaines de millions de doses ont déjà été administrées dans quelques pays, la plupart à revenu élevé. Ceci est réalisé alors que déjà des facteurs inattendus viennent perturber le déroulement de ces campagnes : nombre de doses des vaccins insuffisant, spectre de nouvelles souches bien plus contagieuses viennent mettre à l’honneur l’efficacité de ces vaccins,… Signalons qu’à l’heure actuelle, plusieurs vaccins, qui nécessitent tous l’administration de deux doses pour être pleinement efficaces, sont actuellement en circulation dans le monde. Cependant, le lancement de la vaccination a rapidement révélé que la promesse (prêchée haut et fort aussi bien par les pays nantis que par l’OMS) d’un accès équitable aux vaccins à travers le monde a sérieusement les plombs dans l’aile. Les autorités politiques, abonnées aux critiques depuis le début de la pandémie, jouent gros sur la réussite de la campagne de vaccination. Des crises politiques sont envisageables en cas d’échec sanitaire. Parfois, il va même de la survie politique des pouvoirs en place que de réussir coûte que coûte cette action, quitte à débourser le prix le plus fort pour accéder à un nombre de doses suffisants. Une course contre la montre est alors lancée mais également contre le scepticisme d’une frange des populations à l’égard du vaccin en général et celui nouvellement expérimenté utilisant la technique de l’ARN messager en particulier.

Quelles leçons tirer?

La situation que nous vivons nous apprend que cette épidémie appuie de façon plus ou moins forte sur un certain nombre d’inégalités qui sont préexistantes dans la société tunisienne. Des inégalités sociales très fortes d’une part mais aussi des inégalités de santé. Ces dernières sont le fait d’une surreprésentation de personnes avec des comorbidités dans la frange la plus pauvre de la population.Les effets sanitaires et psychologiques des inégalités, que nous voyons émerger à l’occasion de cette pandémie, sont désastreux sur la qualité de l’environnement social. Il va donc de soi qu’agir pour limiter les effets dévastateurs des crises sanitaires actuelle et future consiste à éviter de tomber dans l’amnésie collective qui se met en place une fois l’épidémie actuelle se termineen cherchant désespérément à réactiver la vie d’avant avec plus de frénésie. A cet égard, la crise actuelle et le quasi-effondrement de l’édifice économico-financier du pays suffisent-ils à provoquer le big-bang qui mettrait fin une fois pour toute au système actuel ou déclencher le processus évolutif de sa transformation alimenté par une pression publique constante ? Là c’est l’occasion de réactiver l’idée de progrès. De tout temps, le bien-être matériel de chacun a dépendu de façon cruciale des rapports sociaux des individus. Il n’est pas difficile de voir que les gens à faible statut social se sentant peu respectés, extériorisent souvent la colère et la frustration enfouies contre les plus vulnérables notamment les femmes, les enfants, les minorités et les biens publiques induisant ainsi des problèmes de santé et aggravant divers dysfonctionnements sociaux. Il n’est pas aussi difficile de constater, et la crise sanitaire actuelle a agi comme un produit décapant pour le révéler, que la confiance entre les personnes s’est dégradée d’une manière sensible et proportionnellement à la montée des inégalités sociales. Une société plus égalitaire change les états d’esprit, elle incite les gens à percevoir les enjeux sociaux et environnementaux comme des problèmes qu’ils peuvent résoudre par eux-mêmes, en coopérant avec les autres.Les obstacles ne sont pas techniques, pratiques ou financiers mais politiques, intellectuels et idéologiques. Dans ce sens, le progrès consiste à distinguer la nature des produits qui peuvent faire l’objet de marchandises de ceux qui sont des biens et services publics ou communs et qui ne peuvent en aucune manière être objets de marchandisation. Ces biens publics qui étaient traditionnellement protégés car sources de vulnérabilité des sociétés doivent le rester : la santé, l’éducation, l’eau, l’énergie, certains produits pharmaceutiques et recherches scientifiques. Le modèle de gestion et d’organisation doit être adapté à chacun de ces biens en considérant la décentralisation et la participation populaire comme choix qui s’imposent. Il va de soi que nul ne peut douter de la terrible complexité des décisions politiques à prendre dans le contexte socio-économique actuel de notre pays. Car il faut intégrer à la capacité de chaque décision prise, leur capacité à résoudre les conséquences économiques, sociales et psychologiques que cette pandémie continue inévitablement d’engendrer. Mais aussi, nul ne peut comprendre une attitude d’un pouvoir politique qui s’apparente depuis des années, à un funambule qui marche sur un volcan. Tenter de penser la société de demain et agir de façon attractive en faisant valoriser l’intelligence collective est une occasion que le pouvoir politique ne peut continuer à gâcher. Dans « l’homme révolté » Camus disait “La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent.”

Pr. Habib Batis



 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Air - 26-01-2021 14:06

Merci pour ce bel article rempli de sagesse et d'exactitude scientifique.

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