Hamouda Ben Slama: Non, il (Macron) ne renoncerait pas aux caricatures (de Mahomet) !...
Par Dr. Hamouda Ben Slama - Dans son discours de la colère le Président français a martelé qu’il ne renoncerait pas aux caricatures de Mahomet ; à ce propos je me suis juste permis de mettre son futur (le verbe bien sûr) au conditionnel … En politique; il convient d’être plus prudent et moins péremptoire. On ne sait jamais …
Il se serait contenté de réagir fermement au crime terroriste crapuleux qui a coûté la vie à l’enseignant français Samuel Paty, crime odieux et lâche condamné à juste titre et unanimement, y compris par les communautés musulmanes en France et partout ailleurs dans le Monde, Macron serait resté dans son rôle naturel et habituel .
Mais comme la colère est souvent mauvaise conseillère, craignant peut être aussi de s’aliéner davantage son électorat de droite et lorgnant du côté de celui de Mme Le Pen (2022 n’est pas loin), il est allé trop loin suscitant et créant qu’il l’ait voulu ou non l’amalgame entre le terrorisme et l’Islam ; cela a été perçu comme la stigmatisation (encore une fois) de la religion musulmane et de ses adeptes en France et ailleurs.
Et même s’il a pris la précaution d’usage de dédouaner du bout des lèvres I’Islam des crimes du terrorisme et des méfaits et des excès de l’islamisme et de l’Islam radical, il n’en reste pas moins qu’il a ouvert ou plutôt élargi la brèche de l’intolérance et du rejet de l’autre, surtout si l’autre n’est pas français de souche ou n’est pas français du tout.
La meute s’est vite engouffrée par la brèche ; pèle mêle, une partie de la classe politique en mal de représentativité, des médias en quête d’audimat, des intellectuels chantres d’une laïcité outrancière et rêvant d’en découdre avec la deuxième religion de France, et même des religieux musulmans proches habitués des cercles du pouvoir et qui rappellent les oulémas laudateurs de triste réputation collaborateurs de la Résidence Générale du temps de la colonisation dans nos pays du Maghreb.
Pour la meute, l’ennemi est ainsi tout désigné : c’est l’Islam puisque le terrorisme serait d’après eux islamiste et l’islamisme c’est l’Islam radical or l’islam radical serait selon eux dérivé de l’Islam ; la boucle est bouclée ; pour eux il n’y a pas d’Islam multiséculaire modéré authentique et tolérant ; il n’y a que des islamistes donc potentiellement des terroristes en puissance !...
Voilà M. Macron ce qui reste de vos derniers propos et ce qui est retenu, par vos propres troupes et par une partie de l’opinion publique française ! Vous voulez et prônez un débat raisonnable mais qu’est-il resté de la raison dans vos propos et dans votre démarche !...
Les condamnations vigoureuses de ces propos par nombre de pays arabes et musulmans (habituellement amies de la France), risquent fort de porter atteinte à son image et ses intérêts dans ces contrées et de mettre fin au capital de sympathie et d’amitié qu’on toujours su investir et entretenir les dirigeants français de haut rang auprès de ces populations à majorité musulmane.
L’énorme impact de la visite en Palestine occupée et du coup de gueule de Jacques Chirac contre l’occupant israélien reste encore vivace vingt ans après ; sa popularité et celle de la France y avaient explosé et énormément gagné à l’époque ! Qui ne se souvient pas de la position courageuse de Chirac et de la France contre la guerre à l’Irak après les évènements du 11 septembre ? Nous avions apprécié et nous n’avons pas oublié !
Je crains fort que Le Président Macron n’ait pris lui le chemin inverse car en plus de l’amalgame malheureux qu’il établit de fait et fut-ce implicitement entre islam et terrorisme, voilà qu’il s’apprête à faire publier de nouveau et à large échelle les caricatures de la discorde et notamment en milieu scolaire.
Il s’est publiquement engagé à ne pas renoncer aux caricatures. Si l’on traduit sa déclaration en termes politiquement corrects, Macron s’y engage ainsi à ne pas renoncer à la liberté d’expression ; et dans sa grille de lecture ces caricatures sont partie intégrante du plein exercice de cette liberté. Seulement et dans une autre grille de lecture ces caricatures de la discorde sont perçues comme provocation et offense injurieuse au prophète et à l’Islam par une partie non négligeable des musulmans de France et de musulmans partout ailleurs.
Si « les caricatures et le blasphème font partie de la culture française » comme j’ai entendu la ministre française de la culture l’affirmer récemment, la culture de près de deux milliards de musulmans dans le Monde, dont des centaines de milliers de musulmans de France qu’ils soient français ou non, considère au contraire le blasphème attentatoire à leur religion et au sacré. D’ailleurs dans les législations de la plupart des pays musulmans le blasphème est considéré à juste titre comme un crime ou un délit puni par la loi …
Il y a donc un problème de fond, d’incompréhension historique (qui date des premières vagues de l’immigration dans les années 60) et d’échelles de valeurs sociales.
Car lorsque pour des citoyens vivant sur le même sol, à égalité en principe de droits et de devoirs, l’exercice d’un droit inaliénable tel que la liberté d’expression chez l’un est perçu comme une stigmatisation et une atteinte inacceptable au religieux et au sacré par l’autre (même s’il est minoritaire), il y a problème !
Ces tensions et positions diamétralement opposées durent en réalité depuis des lustres, ravivées et exacerbées épisodiquement lors d’évènements douloureux tel le dernier en date. Deux grandes questions, en suspens et pomme de discorde sont à l’origine de ce misunderstanding (malentendu) historique : immigration (donc islam) d’un coté, laïcité de l’autre coté (perçue à tort ou à raison comme anti religions et en premier lieu anti Islam).
Depuis un demi-siècle au moins ces deux questions, rythment et parasitent la vie politique et sociale en France. Des initiatives plus ou moins pertinentes ont toujours tenté de trouver le consensus (programmes d’intégration, débat sur l’identité nationale cher à Sarkozy, lutte contre le séparatisme cher à Darmanin qui est parait-il choqué par les rayons de nourriture Halal et Cacher etc...).
Il faut dire que ce grand débat a été virusé par les enjeux politiques et électoraux internes ; les vents favorables à la droite et à l’extrême droite en France et en Europe ces dernières années ainsi que la perte d’influence des partis de gauche sont pour beaucoup dans ces blocages …
Il faut se souvenir qu’au début des années 90, un grand ami de la France le roi Hassan II, en fin lettré et connaisseur de ces questions tant du côté français que du côté maghrébin, avait conseillé et prédit que les immigrés marocains (donc par extension maghrébins) ne pourraient jamais réussir pleinement leur intégration car les approches civilisationnelles ne sont pas les mêmes !
A présent et trente après, pour les enfants, petits-enfants et même arrière-petits enfants des immigrés des premières vagues, le contexte est un peu différent car ils sont de plus en plus français et de moins en moins immigrés !
Par ailleurs il y a une telle communauté de liens et d’intérêts entre la France et son environnement régional, notamment maghrébin, qui est en jeu et en danger et que l’approche ne devrait pas se limiter à ne prendre en considération que le seul argument de l’affaire intérieure française qui ne souffrirait d’aucune ingérence ; car ces questions à priori purement franco françaises intéressent au plus haut point et impliquent leurs partenaires à l’échelle régionale !...
Un débat sage et raisonnable (tel que souhaité par Macron) et que nous souhaitons aussi de notre côté permettrait au moins d’aborder cette équation difficile à appréhender tant ses termes paraissent incontournables et inconciliables !
Rien ne peut justifier, légitimer et tolérer que l’on tue son prochain pour quelque motif que ce soit (caricature de Mahomet ou autre) ni même à cause de leur republication et à grande échelle comme les autorités françaises auraient décidé malgré tout et contre toute logique de le faire dans les établissements scolaires à la rentrée des vacances de la Toussaint.
Pourquoi ces mêmes autorités ne permettent pas concomitamment dans un souci d’équilibre et de véritable instruction des élèves, de leur faire lire le merveilleux poème que Victor Hugo, dans le cadre de La légende des Siècles, a publié sur la mort du prophète de l’islam en 1858 et qui s’intitule « L’an 9 de l’hégire » (l’année dans le calendrier hégirien de la mort de Mahomet) . Voici quelques vers de cette ode à un saint homme :
Si des hommes venaient le consulter, ce juge
Laissait l’un affirmer, l’autre rire et nier,
Ecoutait en silence et parlait le dernier.
…….
Lui, reprit : « Sur ma mort, les Anges délibèrent ;
L’heure arrive. Ecoutez. Si j’ai de l’un de vous
Mal parlé, qu’il se lève, ô peuple, et devant tous
Qu’il m’insulte et m’outrage avant que je m’échappe,
Si j’ai frappé quelqu’un, que celui-là me frappe. »
Et, tranquille, il tendit aux passants son bâton.
Une vieille, tondant la laine d’un mouton,
Assise sur un seuil, lui cria : « Dieu t’assiste ! »
Si l’on veut réellement préserver et universaliser la véritable liberté d’expression, qui devrait tenir compte de celle de l’autre, inculquez les textes d’anthologie qui transcendent et humanisent. À vos écoliers (ainsi d’ailleurs qu’aux milliers de jeunes non français qui fréquentent les établissements français d’enseignement dans le Monde dont les pays à population musulmane et en premier lieu les pays maghrébins).
Faites savoir par exemple que Alphonse De Lamartine a écrit un livre intitulé ‘ la vie de Mahomet ’ dans lequel il dit :
« Jamais homme n’accomplit en moins de temps une si immense et durable révolution dans le monde… » « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? ».
Le prophète de l’Islam était un conciliateur et un fédérateur ; voici un exemple de sa magnanimité :
La tribu de Qouraish qui commandait La Mecque était ennemie de l’Islam et de Mahomet. A l’aube de l’Islam et tout au long des treize ans durant lesquels le prophète est demeuré à la Mecque, les membres de Qouraish le provoquaient, le harcelaient et le boycottaient, lui et les siens. Ils tentèrent de le tuer à plusieurs reprises jusqu'à ce qu’il réussisse à s’enfuir et se réfugier avec ses compagnons à Médine qui devint le haut lieu de l’épopée de l’Hégire. Ses ennemis mobilisèrent la plupart des tribus arabes et menèrent plusieurs guerres contre lui et ses fidèles.
Malgré tout cela et lorsqu’il revint en vainqueur à la Mecque avec une armée de 10 000 musulmans, magnanime et fédérateur, il ne chercha à se venger de personne et notamment de ceux qui étaient ses ennemis. Il dit plutôt aux notables vaincus de Qouraish ses pires ennemis et qui redoutaient et s’attendaient à la vengeance du vainqueur : « je vous dis ce que Joseph (Youssouf) dit à ses frères : « je ne vous fais aucun reproche. Allez ! Vous êtes tous libres ! » إذهبوا فأنتم الطلقاء
Coïncidence et heureux hasard ; le Monde musulman commémore le jeudi 29 octobre la naissance du prophète Mohamad ; cette fête du Mouled que les Maghrébins par exemple fêtent traditionnellement et pieusement ; nous la souhaitons douce cette année particulièrement aux millions des musulmans de France en leur assurant qu’ « il n’y a rien de si merveilleux que la naissance de Mahomet » comme l’écrivait Montesquieu dans ses lettres persanes.
Dr. Hamouda Ben Slama
Ancien ministre
Membre fondateur et ancien Secrétaire Général
de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme