Dr Chédly Tabbane: Un autre père fondateur de la médecine tunisienne nous quitte
Par Dr Zahra Marrakchi - Si Chédly Tabbane vient de nous quitter, paix à son âme.
Il est parti discrètement à Nabeul, sa ville natale qu’il adorait, l’homme, grande figure de la médecine tunisienne, un de ses pères fondateurs.
Si Chédly tout court, comme ses élèves aiment l’appeler, forçait l’admiration et le respect de tous, tant il incarnait les valeurs d’un homme de science de haut niveau, modeste, rigoureux, intègre, humaniste et bienveillant, le tout baignant dans une dimension d’innovation et d’esprit de dévouement.
Si Chédly, Professeur émérite à la faculté de médecine de Tunis, était le principal fondateur du Comité pédagogique et s’est distingué par ses innovations pédagogiques qui ont marqué profondément la dernière réforme des études médicales faisant de la faculté de médecine de Tunis une pionnière dans ce domaine. Il a marqué plusieurs générations d’enseignants en leur transmettant avec ardeur et conviction son enseignement de la pédagogie médicale.
Si Chédly était chef du service de pédiatrie à l’hôpital d’enfants de Tunis, et a contribué efficacement à la formation médicale de plusieurs générations de médecins. La qualité de son enseignement était grandement liée à sa rigueur scientifique et à sa grande capacité de mettre en relation les concepts cliniques avec les principes de la science fondamentale dans une relation de causalité physiopathologique permettant à ses élèves d’accéder à un niveau de raisonnement facilitant la résolution des problèmes cliniques.
Il croyait beaucoup à l’apprentissage par l’expérience et non seulement par les efforts de mémoire. C’est à ce titre qu’un jour, au cours de l’une de ses visites, et face à l’une de ses élèves qui ne savait pas à quoi correspondait le qualificatif «gram positif ou gram négatif» qu’on donnait aux bactéries, il lui a demandé de se rendre immédiatement au laboratoire de bactériologie de l’hôpital pour voir de ses propres yeux la technique de coloration qui permet de classer les bactéries, technique d’usage à ce jour. Elle s’en souvient encore avec beaucoup de reconnaissance et d’émotion.
De même, pour les nourrissons hospitalisés pour malnutrition, il a mis en place des préparations diététiques standardisées, comme les fameuses mixtures C900 et K 900 apportant 900 calories par litre, équilibrées, faciles à prescrire et peu coûteuses, ayant permis de sauver des milliers de nourrissons.
Si Chédly ne manquait pas d’humour pour taquiner gentiment ses élèves et, à ce titre, une anecdote rapportée par l’un de ses élèves : «Un jour, un interne réputé pour sa flemmardise vint le prier de partir plus tôt car sa femme, sur le point d’accoucher, était en travail.
Si Chédly l’autorisa à partir mais ne put s’empêcher de lui signifier que ça serait bien pour lui s’il travaillait autant que son épouse ».
Une autre anecdote, vécue par moi-même quand j’étais résidente en pédiatrie en stage clinique à son service au 4e étage de l’hôpital d’enfants : le staff médical était en grande visite avec Si Chédly dans le secteur des grands enfants hospitalisés où j’étais affectée. J’ai commencé par lui présenter mes patients en commençant par un enfant de 12 ans admis pour une décompensation diabétique inaugurale. J’ai commencé ma présentation en disant :» c’est le diabétique ...» Si Chédly m’a arrêtée en disant : «ma fille, comment s’appelle ton patient diabétique ?» J’ai répondu Khemaies. Il a répliqué aussitôt : «si tu parles du diabétique, tu ne vas toucher qu’au problème du diabète mais si tu parles de Khemaies, tu vas avoir tous les problèmes de Khemaies, entre autres son problème de scolarité, ses camarades en classe, lui à l’hôpital, son nouveau problème d’approvisionnement de l’insuline». Il s’est tourné vers Khemaies et lui a posé la question comment il allait faire pour s’en procurer ; Khemaies répondit qu’il devait se rendre au dispensaire tous les jours pour sa piqûre d’insuline. Le dispensaire étant situé à quelques kilomètres de chez lui, il devait s’y rendre à dos d’âne mais que sa famille n’en possédait pas ! Si Chédly s’est tourné vers moi et m’a dit : «ton patient Khemaies a aussi un problème d’âne à résoudre !».
J’ai appris le jour de la sortie de l’hôpital de Khemaies que ce dernier allait avoir un vélo ; j’ignore jusqu’à ce jour comment ce problème a été réglé mais je suis persuadée que Si Chédly était derrière.
C’est cela aussi l’esprit de Si Chédly : l’approche centrée sur le patient dans sa globalité et non seulement sous l’angle du problème de santé du moment !
Ce que nous avons appris de Si Chédly est inestimable tant il était en avance sur son époque. Il a marqué à vie ses élèves par son savoir, son savoir-faire et son savoir-être. Ses élèves ont eu beaucoup de chance de l’avoir côtoyé.
Repose en paix cher maître, la Tunisie peut être fière de toi.
Zahra Marrakchi, l’une de ses élèves.
Z.M.